Agence solitaire ou pièce d'un puzzle ?

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Dans le monde de la communication, le mélange des genres entre groupes et réseaux internationaux n’a rien de neuf. Les possibilités sont infinies : une agence peut faire partie d’un groupe international mais pas d’un réseau et ne pas se voir confier de budgets internationaux, tandis que d’autres groupes peuvent présenter davantage d’intégration. Sans oublier les agences locales complètement indépendantes. Quelques interlocuteurs de premier plan nous expliquent quels sont les avantages et les inconvénients en matière de travailler, seul, ou au sein d'une une structure internationale.

Lorsque Publicis a ouvert ses portes à Bruxelles, en 1959, c’était la première filiale étrangère du groupe français. Son siège principal étant à Paris, qui n’est qu’à une petite heure de train, les contacts avec la maison mère sont très réguliers. Quels sont les avantages pour une agence locale de faire partie d’un tel groupe international ? Avant tout, il s’agit d’un échange de connaissances (best practices), d’outils et de talent. « Par exemple, nous travaillons étroitement avec le siège du département Stratégie, qui est à Londres, » explique Johan Parmentier, Group CEO de Publicis Belgium. « Cela nous permet d’utiliser toute une série d’outils stratégiques innovants. De plus, le groupe peut facilement nous indiquer des opportunités. » Les prestations créatives sont d’ailleurs suivies de près par la hiérarchie. Si l’agence locale a de bons résultats créatifs, on lui confiera plus facilement des tâches plus importantes et plus internationales. Par exemple, la campagne d’affichage pour BNP France a été développée à Bruxelles, tout comme la campagne européenne d’Orange, et Bruxelles travaille avec l’agence italienne sur le film de lancement de Heineken. « Nous assistons à une pollinisation croisée dans tous les domaines, » conclut Johan Parmentier. « Cela nous permet de travailler de façon encore plus professionnelle. L’approche est très pragmatique, orientée plutôt vers des process que vers des procédures lourdes. De cette façon, nous travaillons sur de grands projets au sein d’une équipe internationale, très ‘mean & lean’, tout en y incluant quelqu’un de l’organisation régionale. »

Pour les embauches, les licenciements et les investissements importants, il faut respecter les procédures fixes du groupe. Si les performances sont bonnes, vous recevez rapidement davantage de marge de manœuvre. C’est donc une bonne chose que l’agence bruxelloise grandisse d’année en année. N’y a-t-il donc aucun inconvénient à appartenir à une structure internationale ? « Évidemment, il y a des choses que l’on contrôle moins, » répond Johan Parmentier. « Par exemple, tout ce qui concerne les TIC doit passer par le service center. Mais au sein du groupe, l’accent est mis sur l’esprit d’entreprise, les clients et l’innovation. Et vous pouvez prendre cela au pied de la lettre, ne vous attendez pas à une administration accablante, ni à de la paperasserie. » Les agences locales s’échangent sans cesse des clients au sein de Publicis et les références des agences sœurs sont mises en avant selon les clients locaux potentiels. La campagne européenne d’Orange, par exemple, est une référence précieuse pour un client local tel que Mobistar. « Souvent, les clients frappent à la porte de Publicis et demandent la meilleure solution, cela ne les intéresse pas de savoir quelle agence locale – Leo Burnett ou Publicis – va le faire, » constate Johan Parmentier. « C’est alors à nous de chercher la meilleure équipe. Il est alors tout à fait possible que les équipes créatives d’agences locales rivalisent entre elles. En fait, nous sommes rivaux quand nous le devons et alliés dès que nous le pouvons. » Au sein d’un groupe côté en bourse, un rapport financier est présenté chaque mois au siège régional. La direction régionale a son mot à dire pour les décisions importantes. « Tant que nous ne faisons pas de bêtises, ils nous laissent faire, » plaisante Johan Parmentier. « Nous bénéficions de la liberté d’une agence autonome et des économies d’échelles d’un grand groupe international. Les employés locaux qui ont fait leurs preuves ont des possibilités d’avancement au niveau du groupe. Nous en avons d’ailleurs quelques-uns qui travaillent désormais régulièrement à Londres. »

Initiative

Sylvie Irzi est à la tête de l’agence de communication Initiative et de l’agence média Media Brands Belgium depuis quatre ans. Les deux agences appartiennent au groupe américain côté en bourse IPG (Interpublic), le quatrième plus grand groupe de communication au monde. Ici aussi, on ne jure que par l’esprit d’entreprise. Sylvie Irzi en est un très bel exemple. Elle a fait ses armes dans le monde du web et de la technologie, a travaillé trois ans à Shanghai, a été responsable des produits de consommation pour Microsoft Belgique, où elle a mené le change management. « Nous bénéficions ici d’une grande autonomie, au sein d’un cadre bien défini, » explique-t-elle. « Nous nous en tenons à des objectifs définis au préalable et à un business plan, les investissements sont étudiés et nous faisons des rapports trimestriels. Nous y prêtons au moins autant d’attention qu’aux rapports faits aux clients. » Lorsqu’on lui demande s’il y a des avantages à être intégré à un groupe international, la réponse est sans équivoque : « L’économie d’échelle ». Les agences locales bénéficient en effet d’outils avancés pour les études de marché, pour la compréhension des consommateurs, etc. « Nous avons accès à des outils qui nous permettent de proposer un service très professionnel, » souligne Sylvie Irzi. « En outre, on nous donne les moyens d’accommoder le budget de n’importe quel client. » Le soutien apporté par l’organisation internationale se fait sentir dans différents domaines. Par exemple, si vous avez besoin d’une expertise particulière sur la stratégie automobile pour un pitch présenté à une marque automobile telle que BMW, vous pouvez l’emprunter dans une agence sœur. Les clients choisissent-ils spécifiquement une agence qui appartient à un groupe international ? « C’est certainement un atout, mais ce n’est pas le principal, » répond Sylvie Irzi. « Ils recherchent en premier lieu la compétence et la réactivité. » L’activité reste par ailleurs essentiellement locale, avec des clients tels que La Loterie Nationale, Delhaize, Ikea, BMW, MediaMarkt, JBC, AS Adventure, Brantano, des institutions financières et quelques parcs d’attraction pour Initiative, et Coca-Cola, Colruyt, TUI et Brico pour Media Brands. Pour les employés, l’esprit d’entreprise se traduit par de la flexibilité et de la mobilité. Les ressources humaines sont de plus en plus gérées au niveau du groupe, les employés ont la possibilité de travailler à l’étranger ou d’y intervenir ponctuellement et des échanges entre agences de différents pays sont organisés. « Mais les Belges sont plutôt casaniers, » commente Sylvie Irzi.

Le salaire est régit par des directives internationales, mais au final, ce sont les habitudes locales qui font la différence. Par exemple, en Belgique, il est habituel de demander une voiture de fonction. Est-ce que cela attire pour autant des profils spécifiques ? « Nous travaillons avec des gens qui se sentent bien dans notre culture d’entreprise, » réagit Sylvie Irzi. « Nos équipes recherchent cette culture. Nous jouissons d’une grande liberté et nous pouvons organiser notre vie et notre travail comme bon nous semble, tout en nous sentant épaulés par une grande organisation. La culture d’entreprise a évolué de façon positive ces dernières années, grâce au change management. Les gens sont satisfaits. J’en veux pour preuve que nous avons un très faible turn over de nos employés. En 2015, seuls deux de nos 150 collaborateurs sont partis. » Sylvie Irzi fait état d’une organisation horizontale et d’agences avec un positionnement spécifique, mais le monde de la communication connaît de profonds changements : la technologie, la science et la créativité forment un cocktail détonnant qui constitue un véritable moteur. « Nous sommes très motivés et nous voulons surmonter les obstacles, » poursuit Sylvie Irzi. « Nous n’avons pas peur de prendre des risques et nous apprenons de nos erreurs. Cela reflète la culture d’entreprise américaine, basée sur l’esprit d’entreprise. Enfin, nous sommes libres de façonner notre avenir, nous bénéficions de respect et de confiance et nous avons la volonté d’agir. »

Mortierbrigade

Evert Vermeire a quitté ses fonctions chez Publicis il y a trois ans pour devenir business director chez Mortierbrigade, où il dirige la section commerciale. « En tant qu’agence indépendante, nous défendons notre ADN, nous menons un combat contre la médiocrité, » déclare Evert Vermeire. « Nous voulons faire un meilleur travail que les autres. Les clients ne nous choisissent pas par hasard et leur choix n’est pas forcé, il n’est pas aiguillé par un réseau ou un groupe auquel l’agence pourrait appartenir. Cela se traduit par des liens très personnels et directs avec le client. Vous êtes ici directement en contact avec l’expert concerné, avec les responsables créatif, stratégie ou de la production. C’est l’avantage d’une petite structure. Nous travaillons à 35, de façon très ‘lean & mean’. Pour éviter les profils intermédiaires coûteux, nous ne travaillons pas avec un account management classique. Nous prenons en outre toutes nos décisions nous-mêmes et nous ne devons pas forcément vendre quelque chose à un client parce que le groupe international a un nouveau service ou un nouveau produit à vendre, comme c’est souvent le cas dans les agences média. Nous sommes également très flexible. Au niveau de la structure, nous n’avons pas de ‘one size fits all’. Nous travaillons de façon complètement différente pour VPRO, Humo ou La Loterie Nationale. VPRO attend le regard frais et créatif de quelqu’un d’extérieur, nous ne devons pas recréer leur contenu de A à Z, ils en ont déjà beaucoup. Pour La Loterie Nationale, nous sommes très actifs en production, et notamment en création de matériel POS. »

Les agences qui font partie d’un groupe international ont accès à l’expertise de leur réseau, mais Evert Vermeire voit un grand écart entre le pitch et la réalité. Nombreux sont les clients qui veulent être certains que les experts qui viennent présenter un pitch seront prêts à faire le travail par la suite. Avec les experts internationaux renommés, ce n’est certainement pas le cas. « Prenez un client comme la SNCB, pour qui nous avons un budget sur cinq ans, » explique Evert Vermeire. « Nous accompagnons le client de A à Z. Il s’agit de dossiers complexes, avec des ancrages locaux forts et pour lesquels il faut être vigilant aux aspects sociétaux et politiques. » Dans les grands groupes, on porte beaucoup d’attention aux rapports faits au siège. Bien que cela soit une tâche du management, cela provoque toujours beaucoup de tension aux niveaux inférieurs. Les targets ont-elles été atteintes ? Tout comme les clients, les collaborateurs optent aussi pour une structure plate où on accorde plus d’importance au travail effectué qu’aux titres. « Nous pouvons être fiers du fait que la plupart des créatifs qui nous quittent deviennent ensuite directeur créatif ailleurs, » poursuit Evert Vermeire. « On peut dire que nous sommes comme un vivier pour les talents créatifs. » Bien sûr, une agence locale autonome est moins bien équipée pour décrocher les budgets internationaux. « Lorsqu’un pitch international est basé sur le procurement, nous ne participons pas, » constate Evert Vermeire. « Mais s’il est basé sur le contenu, nous tentons notre chance. C’est ainsi que nous avons travaillé pour Adecco dans 63 pays pendant trois ans ainsi que pour Kia. » Que les entreprises s’organisent de façon plus régionale ou plus internationale, Mortiebrigade doit pouvoir trouver un point de contact au niveau du Benelux ou européen. Cela reste un défi de chaque instant. Dans une agence locale avec une structure plate, les perspectives d’avancement classiques sont moins importantes. « Nous ne pouvons pas non plus offrir à notre équipe le parcours classique d’une carrière à l’international, mais bon nombre de nos anciens collaborateurs ont trouvé leur voie dans des agences amies à l’étranger. C’est le revers de la médaille, mais il y a aussi un net avantage : personne ici n’accorde beaucoup d’importance à son propre titre et ne perd son temps à des manigances politiques, ce qui nous permet de consacrer toute notre énergie au contenu et à la qualité du travail. Le travail est très ‘hands on’. Nos employés reçoivent rapidement des responsabilités et participent à l’élaboration du projet. »

De façon générale, dans le monde de la communication, la tendance est à l’internationalisation. Par ailleurs, il y a aussi un marché pour les agences locales. De nombreuses entreprises locales choisissent un acteur indépendant en toute connaissance de cause. C’est une tendance que l’on constate particulièrement dans le jeune monde du numérique.


Réseaux

Voici un bref aperçu des tendances dans le monde des agences de communication et des agences média. Maintenant que le ‘online’ remplit une fonction de plus en plus stratégique, ce n’est plus une tendance que de placer cette activité dans une structure séparée. Online, réseaux sociaux et SEO sont désormais au cœur de l’organisation et ce n’est pas prêt de changer. De façon générale, la tendance est aux économies d’échelle par les fusions et les rachats par des groupes internationaux, malgré l’échec de la fusion entre Omnicom et Publicis. Au sein des groupes, des structures sont mise en place dans le but d’éviter les conflits d’intérêts entre clients. Ce sont des business units à part entière, avec un senior management, des media planners et des acheteurs, mises sur pied à la demande de l’organisation internationale. Au niveau opérationnel, les processus accélèrent. Les tâches répétitives sont automatisées dans la mesure du possible afin de libérer du temps pour l’analyse, au lieu de se livrer à l’exercice fastidieux du data crunching. Dans le domaine du online, l’automatisation se développe plus lentement, car le secteur lui-même est encore en pleine mutation. Quant à l’organisation, les agences qui font partie de groupes internationaux consacrent énormément de temps à la préparation de rapports fréquents – trimestriels, mensuels… Un temps qui n’est donc pas consacré au client. Le management d’agences indépendantes est responsable de 100% de la gestion. Il ne bénéficie pas du soutien – back-office, expertise internationale et outils – d’un grand groupe international et ne peut pas non plus prétendre aux budgets internationaux. L’agence Air fait partie des exceptions et bénéficie du meilleur des deux mondes. Air fait travaille avec le groupe (IPG) et accepte les budgets internationaux à ses propres conditions. De cette façon, l’agence reste autonome et est le partenaire exclusif de McCann en Belgique. Les agences média font partie de groupes internationaux. Les tentatives de création d’agences média locales se soldent souvent par un échec à cause des hauts coûts d’investissement engendrés par l’expertise, la recherche et les outils nécessaires.