Interview avec David Droga « J'aime les choses simples »

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David Droga est la rock star du monde de la publicité. Plus tôt dans l'année, « son » Droga5 a été repris par Accenture Interactive. Quel est son point de vue concernant l'avenir de la publicité et de la communication entre les marques et les consommateurs ? - Nils Adriaans

Au lieu d'être absorbé par un plus gros poisson, Droga5 aurait pu acquérir un plus petit poisson avec les compétences d'Accenture Interactive, et ainsi rester indépendant. Pourquoi n'avez-vous pas fait cela ?

David Droga :« Il est vrai que j'ai toujours clamé haut et fort ma fierté concernant notre indépendance. Mais il est tout aussi vrai que lorsqu'on regarde ma carrière, on constate que j'aime aller de l'avant, et souvent rapidement, et que je ne prends pas toujours la décision la plus évidente. Ceci dit, il faut également savoir que nous ne nous sommes pas préoccupés de rester indépendants ou non, ou de savoir si nous allions intentionnellement nous faire racheter ; nous n'avons jamais tenté de nous vendre. Les conversations avec Accenture Interactive avaient déjà cours depuis trois ans, d'abord de façon informelle car nous avions un client commun, puis de plus en plus sérieusement au fil du temps. Mais nous avons également connu des périodes entières où nous ne discutions plus. Ce n'était d'ailleurs pas nécessaire : l'entreprise était déjà interactive, et nous avions engagé de nombreux codeurs et professionnels des données, nous étions une entreprise très saine de 600 employés. Pourquoi avons-nous dit oui ? Parce que nous faisons ainsi un bond vers l'avenir. S'il faut tout faire soi-même, le processus dure beaucoup plus longtemps. Peut-être même trop longtemps, à terme. Maintenant, nous sommes soudain devenus une experience agency de top niveau pour nos clients, et travaillons avec tous les touchpoints. À cela s'ajoute que je n'ai pas peur de la collaboration. En bref, les possibilités étaient trop intéressantes pour ne pas le faire. »

David Droga : « Disons-le en ces termes : j'ai mené des conversations plus intéressantes au cours des derniers mois que pendant les cinq années précédentes. »

En tant que publicitaire, quel effet cela fait-il de travailler avec des consultants ?

« Nous n'en sommes bien sûr qu'au début. Une grande partie de la journée consiste à faire la même chose qu'avant. Bien sûr, depuis que l'accord a été conclu et que tout le manège médiatique est derrière nous, j'ai de nouveau plus de temps pour les clients. Mais nous essayons avant tout de faire en sorte que tout fonctionne ; nous nous réunissons pour des briefings qui s'étendent bien au-delà du feu d'artifice qu'est souvent la publicité, et nous discutons beaucoup dans le cadre d'un tel processus. Nous avons aujourd'hui au sein de notre équipe un certain nombre de leurs spécialistes des données, et nous tenons tous les jours des réunions pour apprendre la “langue” de chacun. Par ailleurs, Brian Whipple, CEO d'Accenture Interactive, et moi comparons nos notes littéralement chaque semaine. Disons-le en ces termes : j'ai mené des conversations plus intéressantes au cours des derniers mois que pendant les cinq années précédentes.

Avant l'accord avec Accenture Interactive, notre plus grand rêve était de pouvoir faire une différence. Mais même avec nos grands récits stratégiques, nous ne parvenions à prendre part qu'à une petite partie du véritable processus décisionnel des marques à l'échelle de l'entreprise. Nous n'avions ni la taille, ni le poids nécessaire. Désormais, le storytelling fait partie de tout ce que nos clients font. Dans le même temps, nous apprenons à définir notre place. Ce que j'entends par là : la publicité constitue “simplement” un élément de la croissance d'une entreprise, mais la créativité, qui est bien plus vaste, apporte une valeur ajoutée considérable. Notre ambition consiste à étendre cela à tous les touchpoints. »

David Droga : « Je préfère collaborer avec des marques qui ont une intention plus élevée, mais je ne suis pas Mère Teresa non plus. »

Droga5 était connue pour réaliser un travail capable d'explorer toute la palette des émotions. Concrètement, quel type de travail pouvons-nous attendre de Droga5 Part of Accenture Interactive ?

« Nous voulons surtout construire davantage de choses. En revanche, je ne peux pas encore vous dire à quoi cela ressemblera. Dans tous les cas, Accenture Interactive dispose de plus de codeurs que n'importe quel holding (agence de réseau internationale). Pensez à des campagnes derrière lesquelles se cache une énorme machine de communication numérique. Et à un service clientèle complet à la structure plus créative. L'avantage de la technologie et des données est que vous pouvez proposer à vos clients une bien meilleure sécurité que la réponse pleine d'espoir selon laquelle “la campagne connaîtra un réel succès”. De la sorte, nous pouvons orienter la créativité de manière plus ciblée et disposer d'un peu plus de marge de manœuvre. Nous évitons ainsi de gaspiller de la créativité.

En ce qui concerne le renoncement à Droga5, je suis extrêmement heureux de l'année couronnée de succès que nous avons eue : avec notre travail réalisé pour Game of Thrones, l'engouement des réseaux sociaux pour IHOb et le succès de The Truth is Worth It pour le New York Times à Cannes (la campagne a remporté deux Grand Prix, dans les catégories Film et Film Craft, NA). Nous nous arrêtons à un sommet. »

« Je sais très bien ce qui parle aux émotions des gens » – David Droga

À Cannes, dans le cadre d'une double interview en direct avec M. Whipple, vous avez parlé d'un secteur en pleine décroissance.Le journal international britannique vient justement de publier un article sur le “golden age” à venir pour le monde de la publicité, en raison de tout le contenu nécessaire pour tous les canaux...

« Je pense que nous avons tous les deux raison. Je parlais de la publicité de masse telle que nous la connaissions jusqu'à présent, avec de beaux films et de belles campagnes à la télévision, dans les journaux et sur des sites Internet populaires. Elle connaît un déclin, ceci est un fait. Dans le même temps, les sommes consacrées à la publicité sont plus importantes que jamais. Pour le contenu sur les réseaux sociaux, mais aussi pour Google, Facebook, etc. Aujourd'hui, tout le monde s'intéresse à la publicité, et tout le monde cherche soudain à recourir à la créativité pour attirer la capricieuse et inaccessible attention du consommateur. Pour répondre plus directement à votre question : ma vision des choses est que nous devons nous rendre compte que le travail, la créativité sont cruciaux. Il suffit de voir les discussions à Cannes. Lesquelles sont les plus populaires ? Celles qui parlent du travail, des visions et de l'impact. Nous devons accueillir à bras ouverts les Google de ce monde, ils ont un gigantesque impact sur notre manière à tous de communiquer, mais ce ne sont pas eux qui font la différence de manière décisive dans le contact avec le consommateur. C'est le travail qui fait la différence. »

À l'origine, vous êtes copywriter. Écrivez-vous encore de temps en temps ?

« Oulah, je pense que cela fait bien 20 ans que je n'ai pas travaillé sur un briefing. Heureusement, les circonstances font que j'ai toujours été entouré de nombreux créatifs de qualité. J'aime croire que j'étais un bon auteur, et je le suis toujours, je pense. Mais j'ai compris très jeune que j'étais un auteur plutôt égoïste, que je n'avais pas l'esprit d'équipe, tout devait se dérouler à ma façon.

Je semblais être meilleur directeur créatif, qui sait attirer à lui des copywriters et autres créatifs encore meilleurs. Je sais très bien ce qui parle aux émotions des gens, ce qui touche leur âme. J'aime quand la publicité provoque un choc. À côté de cela, j'aime les choses simples, cela m'aide à bien travailler. On évite les distractions de la sorte. »

Quelles évolutions avez-vous constatées chez les marques au fil des ans ?

« Elles doivent désormais servir un objectif clair accepté socialement. Il ne doit pas nécessairement consister à créer un monde meilleur. Mais les marques sont le reflet du monde réel, et le consommateur exige de plus en plus de la part des marques un comportement responsable, elles n'échappent donc pas à cette réflexion. Il faut également avoir une opinion claire lorsqu'on les interroge sur le sujet. J'applaudis cette attitude, et je l'ai toujours fait. J'admire les marques qui s'expriment sur des sujets sociaux ou politiques. Il semble s'agir d'une tendance, et les marques doivent faire attention à ne pas perdre l'équilibre dans ce domaine. Mais j'en suis heureux, car tout comme vous, je suis un consommateur et un habitant de cette planète. En bref, les marques évoluent avec le climat socioculturel, politique et économique de la même façon qu'elles l'ont toujours fait afin de cultiver leur lien avec le consommateur. »

« J'admire les marques qui s'expriment sur des sujets sociaux ou politiques. » – David Droga

Estimez-vous être un publicitaire à succès, c'est-à-dire que vous avez permis à vos clients que les gens leur achètent énormément de produits et de services, tout en étant responsable de la société de consommation extrême dans laquelle nous vivons ?

« Absolument, mais je ne ressens pas de culpabilité. En ce qui me concerne, je cherche surtout à éviter de faire comme si j'étais bon alors que je ne le suis pas. Je préfère collaborer avec des marques qui ont une intention plus élevée, mais je ne suis pas Mère Teresa non plus. Je vends aussi de la bière et de la pizza, mais je trouve qu'il est important d'être conscient de sa responsabilité sociale, surtout en cette période où la Terre a besoin de nous. Cela commence à me poser problème lorsqu'il s'agit de produits que je préférerais ne pas donner à mes enfants, tels que les sodas. Mon objectif de directeur ne peut être différent de mon objectif de père, cela ne fonctionnerait pas. Nous possédons un ranch à deux heures de New York où nous passons autant de temps que possible. J'essaie de transmettre à mes enfants la valeur de la nature. »

Vos enfants s'intéressent-ils à ce que vous faites ?

« L'aîné est à l'école de cinéma de USC à Los Angeles depuis cette année. Les trois autres sont aussi créatifs. C'est surtout très chaotique à la maison, disons comme cela. Ils s'intéressent à ce que je fais comme des adolescents s'intéressent à ce que leur père fait, et heureusement. Non, ils ne s'imaginent pas forcément déjà travailler au sein d'une agence de consultance (rires). À moins qu'elles ne les paient énormément (rires encore plus forts). »