{Interview} L'IA dans la publicité, est-elle vraiment "intelligente" ?

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Dans le numéro de septembre 2025 de PUB Magazine, il sort bientôt, vous trouverez une discussion avec quatre CEO d’agences de publicité sur les crises supposées dans (et l’avenir de) la filière publicitaire. Évidemment, l’« ogre » IA, alias intelligence artificielle, est évoqué à plusieurs reprises. Nous avons aussi demandé à ces quatre CEO comment ils perçoivent l’IA et comment ils travaillent avec elle. Voici déjà leurs réponses en avant-première. La question était simple : « Comment utilisez-vous l’IA actuellement, et où fixez-vous la limite avec la créativité ? » Ah oui, précision : aucun d’eux n’a eu recours à l’IA pour répondre… c’est du pur travail de réflexion personnelle !

Karel Vinck, fondateur et CEO de Finch Collective

« Aujourd’hui, l’IA est partout. Elle fait partie de la boîte à outils de chacun et permet de travailler beaucoup plus efficacement. Elle ouvre la porte à de nouveaux services. Elle rend possible le recours à des formules d’abonnement pour des produits que nous développons nous-mêmes. Elle permet de créer des images à un coût dérisoire. Et ainsi de suite. Et surtout, n’oublions pas que l’IA, ce n’est pas seulement ChatGPT. Son adoption réelle n’en est encore qu’à ses tout débuts. »

Gio Canini, country manager Belgium WPP

« Notre secteur repose sur le talent et a prouvé ces dernières décennies sa capacité à gérer les disruptions. Cela a conduit à une offre de services plus large et technologiquement plus solide. La disruption de l’IA est toutefois exceptionnelle, car elle affecte en profondeur le fonctionnement des agences et leur collaboration avec les clients. Elle met notre savoir-faire opérationnel et nos modèles de rémunération sous pression.

Chez WPP, nous aborderons ces adaptations avec une priorité claire : renforcer encore davantage la précision stratégique et la créativité. Nous sommes transparents sur notre usage de l’IA. Mieux : via WPP Open, nous offrons à nos clients de puissants outils en libre-service et co-créatifs qui leur permettent d’automatiser certaines tâches du processus DIPAM (Discover, Ideate, Plan, Produce, Activate, Measure). Cette plateforme regroupe quelque 300 applications IA aux fonctionnalités variées.

Un point essentiel : chez nous, l’IA est toujours “human augmented” : la technologie soutient et accélère, mais ne remplace jamais le talent créatif et stratégique de nos équipes. C’est ainsi que nous rendons notre travail plus pertinent et plus impactant, sans perdre le facteur humain. J’ai d’ailleurs été soulagé de constater que les clients auxquels nous avons présenté nos cockpits IA continuaient d’insister sur l’importance de la créativité. C’est, et ça doit rester, la véritable différence. »

Nicolas De Bauw, co-CEO TBWA\Belgium

« Nous utilisons l’IA lorsqu’elle a du sens, et nous le faisons volontairement dans une logique test & learn. Les licences, l’usage, la formation et la gouvernance demandent du temps et donc de l’argent. La valeur ajoutée se situe dans la rapidité, la variété, un meilleur étayage et des solutions qui n’existaient pas hier.

Concrètement, nous utilisons l’IA en amont pour la recherche, l’analyse culturelle, l’analyse de données et l’extraction d’insights. En stratégie et en planification, elle accélère la formulation d’hypothèses et la réflexion par scénarios. En création et en exécution, c’est surtout un assistant digital : maquettes, contrôle qualité, relectures, etc. Le travail conceptuel, l’art direction et la direction éditoriale restent entre des mains humaines.

L’enjeu est de former les modèles sur notre savoir et notre expérience, nos outils propriétaires et les données de nos clients. Mais partager ces données suppose des garde-fous juridiques et contractuels : nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de faux pas. C’est un exercice d’équilibre permanent et des choix que nous devons faire ensemble, entre gains potentiels et risques potentiels. Souvent, il est encore moins coûteux et plus efficace aujourd’hui de produire de manière conventionnelle que via l’IA et les risques associés.

Quoi qu’il en soit, je suis absolument convaincu d’une chose : les gens veulent des conseils venant de gens. Des gens assistés intelligemment, certes. Mais des gens quand même. L’expertise que nous avons comme spécialistes en marcom, et le statut de trusted advisor qui l’accompagne, ne disparaîtra pas de sitôt. »

Jonas De Wit, co-fondateur et CEO de Lucy

« Nous ne voyons pas vraiment l’IA comme une menace pour notre cœur de métier. Celui-ci reste la définition de stratégies de marque et la conception de campagnes créatives. Nos clients ressentent chaque jour notre valeur ajoutée humaine à ce niveau.

L’IA nous fait gagner du temps en recherches et améliore énormément la visualisation de nos concepts. Les stratèges l’utilisent pour collecter plus vite des données, les directeurs artistiques pour générer de meilleurs moodboards et storyboards afin de visualiser leurs idées. Les designers et motion designers s’en servent pour aider à la production visuelle. Nous avons d’ailleurs déjà livré des spots TV complets produits uniquement en interne avec l’IA.

Mais la réflexion stratégique et créative, l’écriture et la conception restent bel et bien le fruit de l’imagination, de l’expérience et du savoir-faire humains. Et oui, nous précisons toujours qu’il s’agit d’images générées par l’IA — pour l’instant du moins — destinées à visualiser les concepts. Les clients savent désormais qu’avec l’IA, beaucoup de choses sont possibles et que nous maîtrisons ces outils. Résultat : certains partent déjà du principe — parfois à tort — que la production ne nécessite pas un gros budget.

Aujourd’hui, les clients voient surtout l’IA comme une manière de réduire les coûts dans un processus de production, alors que pour nous, en tant qu’agence créative, ce sont ses possibilités créatives qui sont les plus intéressantes. »