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La poignée de main est chaleureuse. Il va sans dire que nos deux hommes se connaissent, puisque l’un est à la tête du plus grand groupe média de Flandre, tandis que l’autre dirige le plus grand groupe audiovisuel privé de Belgique francophone. « Je me rappelle même des débuts de Christian en 1989, » dit Philippe Delusinne (RTL-TVI) en parlant de Christian Van Thillo (de Persgroep).

Nous nous trouvons chez Cook & Book à Woluwé, Christian Van Thillo ne connaissait pas l’endroit et il est impressionné. Nous commandons un verre et la conversation est entamée. Ils parlent néerlandais, bien que Philippe Delusinne et Christian Van Thillo se parlent d’habitude en français, avouent-ils. Tous deux sont d’ailleurs de remarquables bilingues. Philippe Delusinne a grandi dans une famille francophone à Renaix, mais se sent culturellement Flamand, dit-il. « En fait, cela fait longtemps que je voulais danser avec Christian, » dit-il. Il veut dire par là qu’il aimerait voir RTL-TVI et Medialaan faire quelque chose ensemble, précise-t-il rapidement, car Christian fronçait déjà les sourcils. Ils se rappellent encore très bien où et quand ils se sont rencontrés pour la première fois : c’était un événement pro organisé par Rik De Nolf en Espagne. De Persgroep était alors client de McCann Erickson, où travaillait Philippe Delusinne. Ils parlent de la complexité du marché et du retour à l’intégration des compétences au sein des agences. « On pense que cela va faciliter les choses parce que c’est mesurable, » dit Christian Van Thillo. « La réalité montre plutôt l’inverse, ce n’est pas parce que c’est plus mesurable que c’est plus facile. L’intégration, bien gérée, peut donc être une bonne idée. » Philippe met sa casquette de journaliste.

Comment définis-tu de Persgroep en 2016 ?

« Nous avons déjà fait deux grands bonds en avant. En 2009, nous avons repris PCM, ce qui a doublé notre taille. Ensuite, en 2014, nous avons repris Mecom, ce qui nous a rendu plus grand aux Pays-Bas et au Danemark. Les raisons de ces acquisitions étaient que la numérisation de notre activité centrale est un fait, même si elle progresse bien moins vite que ce que nombreux avaient prédit. La consommation médiatique des gens n’est pas guidée par la technologie, mais par le confort d’utilisation. Pour de nombreuses choses, telles que les flashs info, les smartphones et tablettes sont plus pratiques, mais la plupart des gens préfèrent toujours lire de plus longs articles sur papier, car ils trouvent cela plus agréable. L’évolution numérique est en partie révolutionnaire et en partie lente. Par nos dernières acquisitions, nous voulions créer un avantage d’échelle pour rendre nos médias plus efficaces et pour mieux mettre en œuvre notre transformation numérique. Cette année, Het Laatste Nieuws a engrangé davantage de revenus publicitaires numériques, par rapport au print, c’est un moment charnière. Le fait que notre chiffre d’affaire ait pratiquement triplé – de 0,5 à 1,4 milliard d’euros – devrait assurer l’avenir de notre plus grande activité, les médias d’actualité. Nous travaillons sur le développement numérique de nos activités audiovisuelles. Vtm.be et Stievie rencontrent un franc succès et ouvrent la porte à un excellent targeting, bien que l’on oublie souvent que la télévision linéaire était le premier média à pratiquer la publicité ciblée. »

Le sud et le nord

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« Avons-nous pris les bonnes décisions ? Je ne sais pas, mais so far so good. »

Pendant un moment, Roularta avait les yeux rivés sur la France. Vous non, même pas sur la Belgique francophone. Comment ça se fait ? 

« En Belgique francophone, il y a la collaboration avec Rossel, à travers Mediafin et nous avons également 7sur7.be, mais nous n’avons pas d’autres projets… Dans les années quatre- vingt, mon père avait beaucoup de problèmes avec Femmes d’Aujourd’hui et j’ai manifestement hérité de ce traumatisme professionnel. Dans notre pays, nous nous concentrons sur la Flandre. Dans la vie, tout n’est pas basé sur des stratégies, il y a aussi des intuitions qui entrent en ligne de compte. Il y a tout de même des différences culturelles entre le nord et le sud, bien que je ne sois pas séparatiste ! Enfin, il ne faut jamais dire jamais… »

Est-ce possible de continuer à fonctionner en tant que stand-alone audio-visuel sur un marché européen ?

« RTL-TVI n’est-elle pas aussi un acteur local ? »

RTL est en effet plutôt une fédération de chaînes locales, nous ne sommes pas un vrai réseau.

« Il y a aussi des acteurs tels que Liberty Global, où l’on se dit : nous avons le câble, nous avons internet, ce qui manque c’est du contenu. Est-ce pour autant une bonne stratégie ? Quelle est leur activité centrale et où peuvent-ils gagner ? Pas facile de répondre à cette question. En tant qu’acteur local, nous pouvons certainement poursuivre notre route via Medialaan avec succès sans appartenir à un grand groupe télévisé. Mais nous réfléchissons tout de même aux avantages des synergies avec d’autres médias flamands, car il y en a. Peut-être vaut-il mieux être multimédia au niveau local que mono-média sur plusieurs marchés. Avons-nous pris les bonnes décisions ? Je ne sais pas, mais so far so good. »

Les chaînes publiques

La proximité et les synergies sont essentielles. Et les infos ! Tant que SBS n’aura pas l’actualité, ils auront du mal à rester. Et en Flandre, la VRT occupe une position forte…

« Je ne pense pas qu’il faille avoir l’actualité pour réussir en télévision. Ce qui est vrai c’est que la VRT marche bien et a réussi à obtenir des revenus publicitaires importants sur le marché. On peut dire ce que l’on veut, mais c’est une décision des autorités publiques et en tant qu’acteur privé, vous devez apprendre à l’accepter. Reste à voir quel rôle la VRT peut jouer dans le numérique. Heureusement, nous menons un dialogue constructif, car nous devons trouver un mode de cohabitation qui soit juste pour tout le monde. »

Quelle est la part de ton influence directe sur la radio, la télévision et le print ?

« J’ai sciemment décidé de me tenir à distance. Trois milles journalistes travaillent dans notre groupe : ils doivent pouvoir faire leur travail en toute indépendance. Je suis leur CEO et éditeur, mais je reste en dehors du contenu, d’ailleurs, en tant que personne aussi, je suis un outsider. Je fais exprès de ne pas donner beaucoup d’interviews, cela correspond aussi à ma personnalité, d’ailleurs. Je ne veux pas devenir un BV (ndlr, bekende Vlaming, soit un Flamand célèbre), on le paie toujours très cher. Je veux encore pouvoir boire un verre ou manger quelque part sans être reconnu. »

Dans le sud du pays c’est parfois différent, mais à quel point es-tu indépendant des influences de la politique ?

« Je peux appeler un homme politique d’un certain parti pour lui parler de sujets qui nous concernent, comme la législation sur les droits d’auteur, même si ce même homme politique s’est fait démonter par les journaux le matin-même. Pour les questions et les plaintes, ils doivent s’adresser au rédacteur en chef. Ces 27 dernières années, j’ai été interpellé personnellement cinq fois maximum et la plupart du temps, c’était pour des égos blessés. Nous faisons bien sûr des erreurs, bien que l’éthique professionnelle soit au cœur de notre métier. »

L’avenir

Quel sera l’avenir de de Persgroep sans Christian Van Thillo ? Vas-tu rester jusqu’à tes nonante ans, comme Albert Frère ? Travailles-tu avec des ‘lieutenants’ ?

« Ce n’est pas l’âge qui détermine combien de temps on fait quelque chose. J’ai commencé à 27 ans, j’en ai maintenant 54, cela fait donc 27 ans que je suis ici. Et de Persgroep était déjà une grande entreprise lorsque j’ai commencé. Parfois, à la fin d’une année, je suis vidé et je me demande combien de temps je tiendrai encore. Mais après de bonnes vacances, il y a toujours des choses excitantes qui se profilent à l’horizon et je retrouve mon enthousiasme (rires). Et ce que tu appelles des ‘lieutenants’, ce sont dans notre groupe des CEO à part entière qui font leur travail bien mieux que je ne pourrais jamais le faire. Nous faisons du brainstorming ensemble, il y a beaucoup moins de rapports hiérarchiques. Je m’occupe des produits, des gens qui les réalisent et de la finance. A l’avenir, il y aura peut-être un échelon intermédiaire en plus, comme un CEO pour le gestion quotidienne et la politique opérationnelle, et je serai comme un directeur exécutif. Tout le monde a une date de péremption. Peut-être que la mienne sera après mes 60 ans. »

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« Tout le monde a une date de péremption. »

Notre Premier ministre, Charles Michel, veut nous faire travailler jusqu’à 67 ans !

« C’est probablement une bonne nouvelle pour moi (rires) ! »

Lorsque l’on développe une entreprise, il y a trois étapes : diriger, chercher les opportunités qui se présentent et conquérir le marché offensivement. A quelle étape est de Persgroep ?

« Je dirais entre les étapes 2 et 3. Si une grande opportunité se présente, nous l’examinons. En ligne, nous cherchons notre place, nous sommes encore trop légers. Et nous pensons toujours d’abord à l’intégration, puisque nous sommes actuellement dans une phase qui nous transformera jusque 2020. Dans le domaine des technologies, il y aura certainement de nouvelles choses, mais elles seront moins spectaculaires que les tablettes et les smartphones. L’un des grands défis, c’est de développer cette entreprise, qui tourne autour du business-to-consumers et qui vend de l’espace publicitaire, en une entreprise qui se concentrera toujours sur le consommateur, mais qui vendra dans le même temps des solutions marketing. Google, Facebook, LinkedIn, ces entreprises marchent sur nos platebandes. Nos régies évoluent de la vente d’espace à l’offre de solutions marketing incluant les technologies publicitaires et la gestion de projets. »

Deux questions

J’ai encore deux questions. Le temps est écoulé, donc je vais répondre moi-même à la première question : y a-t-il de la place pour un troisième groupe médiatique en Flandre ? La réponse est non (hilarité générale). Et la deuxième : quelle question aurais- tu aimé que je te pose ?

« En fait, c’est plutôt moi qui aurais quelques questions pour toi, mais ce sera pour une prochaine fois (rires). Peut-être juste une question : y a-t-il des choses que j’ai dites avec lesquelles tu n’es absolument pas d’accord ? »

Si je regarde ce que nous faisons, notre modèle économique est basé sur la publicité. Cela va changer, tout comme notre relation avec le câble. Mais nous sommes une marque qui a un nom. Les gens nous regardent parce qu’ils nous connaissent. Que se passera-t-il dans cinq ans ? Je n’en sais rien.

« Et que réponds-tu lorsque Netflix te demande si tu serais prêt à proposer tes séries entièrement sur Netflix ? »

Je demande à Netflix ce que Medialaan a répondu à la même question (rires). Et deuxièmement, je leur dis qu’il faut d’abord en parler avec les autres chaînes de RTL…

« Pour terminer : un conseil que tu voudrais nous donner ? »

Réfléchissez quand même à une meilleure collaboration entre Medialaan et RTL…(rires).