ACCESSIBILITÉ DES PROGRAMMES : L’ÉCART SE CREUSE ENTRE LES MÉDIAS

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Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) publie son second bilan sur l’application du règlement en matière d’accessibilité des programmes aux personnes en situation de déficience sensorielle. Depuis 2021, de nouvelles obligations prévues dans le règlement accessibilité sont imposées par paliers annuels aux éditeurs et distributeurs de services de médias audiovisuels.

Ces obligations concernent essentiellement le sous-titrage en différé et en direct, l’audiodescription et l’interprétation en langue des signes de leurs programmes. Ce second rapport dresse des constats similaires au précédent et renforce certaines tendances, notamment concernant les difficultés auxquelles sont confrontés les éditeurs de Fédération Wallonie-Bruxelles pour concrétiser leurs obligations. En effet, si les résultats sont très encourageants en matière de sous-titres adaptés et d’audiodescription pour les plus grands éditeurs soumis à des obligations de résultats, c’est la tendance inverse que l’on observe pour les plus petits éditeurs qui sont quant à eux soumis à des obligations de moyens.

À peine 1% des programmes rendus accessibles pour les éditeurs soumis à des obligations de moyens

Les obligations quantitatives et qualitatives varient en fonction de la taille des éditeurs et du type de services qu’ils proposent. Si l’ensemble du secteur doit pouvoir atteindre des objectifs quantifiés très clairs, certains éditeurs sont soumis à des obligations de "résultats" et d’autres à des obligations de "moyens". Les premiers doivent atteindre les objectifs fixés, les seconds sont soumis à des obligations moins importantes et doivent justifier des démarches entreprises dans le cas où les objectifs ne sont pas atteints. En matière de sous-titrage et d’audiodescription, le CSA constate que la grande majorité des acteurs soumis à des obligations de résultats ont fourni les efforts nécessaires pour atteindre, voire dépasser les objectifs fixés.

Sur le plan qualitatif, le CSA salue la qualité des sous-titrages en différé que proposent les éditeurs, ainsi que l’interprétation en langue des signes des programmes d’information. La qualité des sous-titres en direct ou semi-direct est quant à elle à améliorer pour garantir la bonne compréhension des programmes. Le CSA constate également une variabilité dans la qualité apportée à l’audiodescription des programmes. Certaines audiodescriptions respectent parfaitement les critères de la Charte et favorisent une réelle immersion du public, d’autres moins, notamment du fait de descriptions imprécises.

Parmi les éditeurs soumis à des obligations de moyen (chaînes privées), les résultats sont nettement moins encourageants. Aucun de ces services dont l’audience annuelle est inférieure à 2.5% n’a diffusé 26.25% des programmes avec un sous-titrage adapté ou une interprétation en langue des signes. De plus, les taux d’augmentation sont faibles si ce n’est inexistants. Le CSA relève toutefois que le service ABXplore et les services BeTV se démarquent avec entre 6 et 9% de programmes disposant de sous-titres adaptés. Sur les autres services, moins de 1% de la programmation est accessible aux personnes en situation de déficience auditive. En audiodescription, aucun média linéaire et non-linéaire soumis à une obligation de moyen n’atteint l’objectif d’audiodécrire 11,25% de fictions et de documentaires diffusés entre 13 et 24h. Plus de la moitié d’entre eux ne proposent aucun programme audiodécrits.

Le CSA relève que AB3 n’atteint pas l’objectif de 15% en matière d’audiodescription pour la seconde année consécutive. L’éditeur n’a pu valoriser que 1,17% de ses fictions et documentaires en audiodescription. L’éditeur a été entendu par le Conseil d’autorisation et de contrôle du CSA qui prendra prochainement une décision.

Élargir l’aide financière à tous les acteurs 

Ces constats inversement proportionnels à ceux des plus grands éditeurs soumis à des obligations de résultats, s’expliquent principalement par les subsides dont bénéficient les éditeurs publics et les éditeurs privés qui disposent d’une audience supérieure à 2,5%.  Entre 2029 et 2022, la RTBF a bénéficié d’un subside de 8.100.000,00 € et le Réseau des Médias de Proximité d’un subside de 1.900.000,00 € pour atteindre les objectifs fixés par le règlement accessibilité. Ce mécanisme de compensation financière a ensuite été élargi aux éditeurs privés soumis à des obligations de résultats. Pour le moment, deux éditeurs sont concernés en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il s’agit, d’une part, de Mediawan qui devrait bénéficier d’un soutien financier de 3.505.000€ entre 2024 et 2028 (pour remplir ses obligations en matière d’audiodescription) et, d’autre part, de RTL Belgium qui recevra une aide financière de 10.435.000€ entre 2024 et 2028 pour répondre à ses obligations de sous-titrage adapté et d’audiodescription.

Les coûts importants relatifs au sous-titrage et plus encore à l’audiodescription placent les plus petits éditeurs privés dans une situation difficile pour atteindre leurs objectifs en matière d’accessibilité. Ces derniers se trouvent également désavantagés vis-à-vis des plus grands éditeurs qui bénéficient d’un soutien financier pour atteindre leurs objectifs. En rendant accessibles leurs programmes, ces derniers peuvent toucher une audience plus large encore qui inclut les personnes en situation de déficience sensorielle, mais aussi une série d’autres publics pour lesquels le sous-titrage est utile voire nécessaire.

Ces plus petits acteurs représentent pourtant une plus-value à l’intérieur du paysage audiovisuel et en matière de pluralisme des médias.

Dans l’état actuel des choses et en l’absence de solutions pérennes pour limiter les coûts relatifs à l’accessibilité des programmes, le CSA appelle le Gouvernement à élargir le mécanisme de compensation financière à l’ensemble des acteurs soumis à des obligations de moyens, ou à envisager d’autres dispositifs de soutien spécifiques aux éditeurs concernés par des obligations de moyens. Certaines pistes pourraient être envisagées, telles que des subventions ponctuelles pour l’achat de matériel, ou encore la mise en place d’un mécanisme de tax shelter comme au cinéma…

L’IA comme piste pour limiter les coûts ? 

Certains éditeurs se sont déjà tournés vers des solutions d’intelligence artificielle pour réduire les coûts relatifs à l’accessibilité des programmes. La RTBF a fait appel à une société canadienne pour audiodécrire par le biais de l’IA son programme "Drag Race" et sa série "Baraki".

Dans leur rapport intitulé "L’accessibilité des contenus audiovisuels aux personnes handicapées ", l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel et le Conseil de l’Europe soulignent les perspectives qu’offre l’intelligence artificielle. Elle pourrait en effet à terme permettre de dépasser les difficultés techniques et financières qui contraignent l’accessibilité des programmes. Le rapport évoque les atouts de l’IA en matière de reconnaissance d’images et de reconnaissance faciale pour les personnes qui présentent un handicap visuel ainsi que pour le sous-titrage en temps réel. Il recommande enfin de procéder à de nouveaux investissements dans la recherche, la conception, le développement, la production et la distribution de technologie de reconnaissance de la langue des signes, par exemple au moyen d’avatar.

Toutefois, le rapport nuance la capacité des technologies actuelles à transmettre et permettre la compréhension de tous les éléments d’information. Une nuance que partage le CSA et les associations représentatives des personnes en situation de déficience sensorielle.

L’utilisation de ces technologies est une piste sérieuse à explorer pour répondre aux difficultés rencontrées, mais cela ne pourrait se faire au détriment de la qualité des programmes rendus accessibles, singulièrement en matière d’audiodescription et de traduction en langue des signes.

Le prochain bilan du CSA sera publié 5 ans après l’entrée en vigueur du Règlement. L’occasion de procéder à une évaluation approfondie de la mise en œuvre du Règlement et de sa concordance avec les attentes du public, notamment au regard de l’émergence des pratiques basées sur les nouvelles technologies et les moyens dont disposent les éditeurs pour répondre à leurs obligations.