Amnesty renomme l’avenue Roosevelt « avenue Khashoggi »

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Le 2 octobre 2019, un an après l’exécution extrajudiciaire de Jamal Khashoggi, Amnesty International a renommé l’avenue Franklin Roosevelt – où se situe l’ambassade d’Arabie saoudite, à Bruxelles – « avenue Jamal Khashoggi », en hommage au journaliste saoudien. Des militant·e·s ont dipsosé à cet effet des plaques de rue au nom de Jamal Khashoggi et des panneaux commémoratifs devant et à proximité de l’ambassade.

« Tous les beaux discours sur le fait d’assumer la responsabilité de l’homicide de Jamal Khashoggi sonnent creux s’ils ne sont pas assortis de la libération immédiate et inconditionnelle des dizaines de personnes qui croupissent en prison et sont exposées au risque de torture et d’autres mauvais traitements, uniquement pour avoir exprimé leur opinion de manière pacifique », a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches sur le Moyen-Orient à Amnesty International.

Amnesty International a recensé au moins 30 cas de prisonniers d’opinion qui purgent actuellement des peines comprises entre cinq et 30 ans de prison uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Parmi eux figurent Mohammad al Qahtani, membre fondateur de l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA), qui militait en faveur de la protection et de la promotion des droits humains et apportait une aide juridique aux familles de détenus, et Waleed Abu al Khair, un avocat qui représentait des défenseurs des droits humains avant d’être incarcéré. Mohammad al Qahtani et Waleed Abu al Khair ont comparu devant le tribunal antiterroriste, qui les a condamnés à 10 et 15 ans de prison respectivement en raison de leur travail pacifique en faveur des droits humains.

Selon des articles parus la semaine dernière sur un documentaire diffusé dimanche 29 septembre, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a reconnu pour la première fois sa responsabilité dans le meurtre de Jamal Khashoggi, « parce que c’est arrivé sous [s]a direction ».

« L’annonce de Mohammed ben Salmane, qui affirme assumer la responsabilité du meurtre de Jamal Khashoggi, ne sera qu’un coup de communication raté si elle n’est pas assortie d’une action déterminée, concrète et immédiate. Il s’agit de mettre fin promptement à la répression, de libérer tous les défenseurs des droits humains et de laisser circuler librement dans le pays des observateurs indépendants de la situation des droits humains, entre autres pour observer et rendre compte publiquement du procès en cours pour le meurtre de Jamal Khashoggi », a déclaré Lynn Maalouf.

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Jamal Khashoggi aurait été étranglé quelques instants après être entré dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite en Turquie, le 2 octobre 2018. Le rapport de l’ONU publié en juin 2019 par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Agnès Callamard, a conclu que le journaliste a été victime d’« une exécution extrajudiciaire pour laquelle l’État d’Arabie Saoudite est responsable aux termes du droit relatif aux droits humains ». L’Arabie Saoudite a refusé de coopérer avec Agnès Callamard lors de son enquête.

Le procès des 11 suspects accusés d’être impliqués dans le meurtre de Jamal Khashoggi, qui a débuté en janvier 2019 en Arabie saoudite, se déroule à huis clos et se caractérise par une forte opacité. En dehors de la présence de diplomates, les responsables saoudiens n’ont pas autorisé de suivi indépendant de la procédure. Cinq suspects encourent la peine de mort, requise par le ministère public.

À ce jour, on ignore comment l’enquête a été menée, si les accusés ont pu consulter l’avocat de leur choix et bénéficier d’autres garanties d’équité des procès et, surtout, où se trouve la dépouille de Jamal Khashoggi et si elle a été rendue à sa famille.

Amnesty International note depuis des années les graves défaillances qui gangrènent le système judiciaire saoudien, notamment les détentions prolongées sans inculpation ni jugement, l’absence d'assistance juridique lors de l’enquête, l’utilisation d’accusations vagues et non codifiées qui ne correspondent pas à des infractions reconnues par la loi et les pressions exercées sur les détenus pour qu’ils signent des « aveux » et acceptent des peines de prison préétablies afin de se soustraire à une détention arbitraire prolongée. Du fait de l’absence d’indépendance, de transparence et d’équité des procédures judiciaires, le système pénal saoudien est loin d’être conforme au droit international relatif aux droits humains et aux normes en la matière.

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Depuis le meurtre de Jamal Khashoggi, la répression visant les défenseurs des droits humains, les journalistes et les organisations de la société civile se poursuit avec la même intensité. Des défenseures des droits humains ont été inculpées et jugées pour avoir fait campagne pacifiquement en faveur des droits fondamentaux et des droits des femmes dans le pays. Si plusieurs d’entre elles ont bénéficié d’une libération provisoire ces derniers mois, Loujain al Hathloul, Samar Badawi, Nassima al Sada et Nouf Abdulaziz sont maintenues en détention arbitraire depuis mai 2018. Au moins 14 militants de la société civile, écrivains et proches de militants détenus ont également été placés en détention arbitraire il y a presque six mois et n’ont toujours pas été inculpés.

Par ailleurs, la peine de mort est utilisée comme une arme politique contre la minorité chiite ; ce fut le cas au mois d’avril lors de l’exécution collective de 37 hommes, pour la plupart des chiites. Au moins 14 autres condamnés exécutés avaient été déclarés coupables d'infractions liées à leur participation à des manifestations contre le gouvernement organisées dans la province de l'Est, à majorité chiite, en 2011 et 2012. Ces 14 hommes ont été maintenus en détention provisoire prolongée et ont déclaré au tribunal qu’ils avaient été soumis à des actes de torture et à d'autres mauvais traitements pendant leurs interrogatoires dans le but de leur extorquer des « aveux ». Parmi les condamnés exécutés figurait également Abdulkareem al Hawaj, un jeune chiite arrêté à l’âge de 16 ans et déclaré coupable d’infractions liées à sa participation à des manifestations antigouvernementales.

Amnesty International continue de faire campagne en faveur de trois jeunes hommes, Ali al Nimr, Dawood al Marhoon et Abdullah al Zaher, qui sont toujours dans le quartier des condamnés à mort et risquent une exécution imminente. Tous trois avaient moins de 18 ans au moment des faits qui leur sont reprochés. Or, le droit international interdit strictement de recourir à la peine de mort contre une personne âgée de moins de 18 ans au moment des faits qui lui sont reprochés.