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Magazines / Coup de sonde sur l'état de santé des régies pub de la presse papier magazine

2011 n'avait pourtant pas trop mal commencé. Mais la fin de l'année a été ressentie comme un choc par la plupart des régies publicitaires de notre presse papier magazine. La crise de la zone euro a tendu le contexte économique international. Conséquence: des pertes de croissance à deux chiffres avec une impression de déjà vu après l'électrochoc de 2009. Ce ralentissement conjoncturel s'ajoute à une remise en question structurelle du magazine papier depuis quelques années déjà. Une double réalité qui vient donner du fil à retordre aux responsables des régies, qui assistent à un bouleversement sans précédent de leur métier. Certains d'entre eux nous ont livré leurs états d'âme. Entre gris clair et gris foncé...
·        Des pertes de croissance à deux chiffres en 2011
·        Les grands annonceurs internationaux se tournent vers les marchés émergents
·        Les secteurs en crise impactent directement les magazines qui leur sont dédiés
·        Privilégier des offres publicitaires multicanaux
·        Des projets sur mesure misant plus sur la qualité que sur la quantité
·        Les titres papier se transforment en marques à destination de communautés
·        Apparition des Book Mag à haute valeur ajoutée

La seule bonne nouvelle du moment, c'est que personne n'est épargné par ce vent de tempête! Chaque régie rame à sa façon dans le même torrent. «L'année 2011 a été clairement difficile» indique Theo Moormann directeur d'IP Press. «D'autres médias ont peut-être relevé la tête comme la radio qui en 2011 a connu une meilleure année. La télévision a remis le couvert après 2010 qui était déjà pour elle une bonne année. Pour la presse magazine, le tassement quant au chiffre d'affaires généré par les annonceurs se confirme. Nous subissons un contexte de crise économique majeure et nous sommes soumis de plus en plus à des directives internationales chez les grandes marques qui ne nous sont pas favorables pour l'instant». Un exemple? «Le cas d'Unilever illustre assez bien ce mouvement. Le groupe a décidé de miser davantage sur l'audiovisuel et surtout a réduit les investissements en Europe occidentale pour privilégier les marchés émergents comme la Chine, l'Inde ou l'Amérique latine. Chaque euro investit là-bas rapporte plus que de ce côté ci. Nous n'avons que très peu de manoeuvre par rapport à ces choix». Difficulté supplémentaire: la taille du marché francophone belge. «Le marché est petit et la concurrence est féroce par rapport aux titres édités en France», poursuit Theo Moormann. «Il faut savoir qu'un tiers des ventes en kiosques chez nous sont des magazines français».

Des pertes à deux chiffres
Même galère du côté des autres principales régies. «Nous avons terminé 2011 avec une perte de l'ordre de -10 à -12% au niveau du chiffre d'affaires côté annonceurs. C'est assez stable du côté des lecteurs avec une érosion qui se confirme au fur et à mesure des années», confirme Bernard Decamp, Advertising Sales Director chez Sanoma Media. «Nos magazines ne sont plus qu'un des cinq piliers qui soutiennent Sanoma, qui a été le dernier groupe mono média. Et le pilier magazine ne se porte pas bien depuis quelques années».
«2011 a été une année vraiment atypique pour nous», indique pour sa part Philippe Belpaire, directeur général de Roularta Media. «C'est une année qui a joué au yo-yo avec un premier trimestre en statut quo par rapport à l'année précédente, un deuxième mauvais, un troisième très bon et un quatrième très mauvais. Le dernier trimestre n'a épargné personne. La chute après fin septembre a été brutale. La bonne nouvelle, c'est que le début janvier de cette année a été bon pour nous avec des perspectives qui sont meilleures qu'au début 2011. Mais personne ne peut vraiment prédire ce qui va se passer».
Pour Geert Spapen, General Manager de Persgroep Advertising, l'année semble aussi avoir été difficile. «Nous n'avons pas encore de chiffres précis mais c'est certain que nous n'avons pas connu de croissance. Trois titres se distinguent tout de même avec un beau chiffre d'affaires: Nina, De Morgen Magazine, et DMuze».

En prise directe avec la santé de leur secteur
Contrairement à la presse généraliste, les magazines thématiques dépendent directement de leur secteur de prédilection. «Le côté pile, c'est que ces magazines proposent un environnement qualitatif pour l'annonceur. Le côté face, c'est qu'ils subissent immédiatement les effets d'une crise de secteur. Nous l'avons vu notamment avec l'automobile et la santé. Ce n'est pas le cas avec des magazines généralistes comme les mag télé par exemple, qui peuvent plus facilement trouver des parades et varier les annonceurs», enchaîne Theo Moormann. «Ce sont des titres qui offrent une concurrence féroce. Avec Téléstar, Ciné Télé Revue et Télépro, nous avons une force de frappe très importante».
Du côté de Roularta, la crise bancaire est venue jouer les trouble-fêtes. «Il y a eu l'effet Fortis il y a quelques mois. 2011 a connu le choc Dexia», confirme Philippe Belpaire. «Si le secteur du luxe a bien tenu le coup avec les Week-end Knack et Vif, cela a été plus difficile pour les formats news et business avec des titres focalisés sur le secteur financier. Nous subissons un deuxième ralentissement important du secteur bancaire. Nous restons ceci dit optimistes et attendons une reprise dans les mois qui viennent».
La presse féminine de son côté semble un peu plus épargnée par ces chocs conjoncturels que connaissent certains secteurs. «Notre coeur de cible, la femme, est en effet davantage concernée par des besoins fondamentaux et est donc moins impactée par le choc économique. L'automobile, le secteur bancaire, restent des environnements plus masculins», souligne Bernard Decamp.
Le canal unique semble avoir vécu...
Dans ce contexte de repli, les régies doivent donc rivaliser de créativité pour garder la tête hors de l'eau. S'adapter ou disparaître! Le train est en marche depuis quelques courtes années déjà. «Lutter contre un marché qui se contracte est vain. Il est clair que nous allons encore dans les mois qui viennent et les toutes prochaines années devoir rationnaliser notre offre avec des titres qui vont peut-être disparaître», annonce Bernard Decamp. Et d'ajouter: «Le choix est de renforcer les marques fortes en élargissant les communautés sur les nouveaux supports. Un dossier culinaire pourra à la fois être développé dans le papier, se retrouver au coeur d'un événement sur le terrain, être décliné en télé et avoir un prolongement sur les smartphones et autres tablettes. C'est une nouvelle approche multicanaux. Nous allons évoluer d'une entreprise qui faisait des magazines à une entreprise qui anime des communautés. Cela fait déjà un an que la dynamique est lancée. Elle sera pleinement effective en 2013. Vous n'allez pas demain lire votre magazine préféré sur votre Iphone mais allez pouvoir y faire du shopping, des deals spécifiques par exemple. Les évolutions technologiques sont rapides et c'est sur ces développements qu'il faut maintenant miser».
Même son de cloche du côté de Roularta qui a fait de l'événementiel une branche importante de son business. «Le rachat récent de New Bizz qui organise les salons Entreprendre et Ondernemen est un bel exemple. Il vient étoffer une offre événementielle sur l'année d'une cinquantaine de rendez-vous. Une dizaine de personnes gèrent cette cellule qui organise les ponts entre nos titres papier et ces événements. C'est la plus grande évolution des dernières années. On ne vent plus un titre, on vend une marque!».
Chez IP, cette nouvelle stratégie fait également partie intégrante de la feuille de route pour les prochaines années. «Je citerai ce qui se fait autour du magazine EOS pour illustrer cette tendance», indique Theo Moormann. «C'est un titre fort sur le marché néerlandophone. Au-delà du papier qui connaît un tirage important, il y a une newsletter qui très puissante, un shop efficace et une application tablette hebdomadaire. Cela permet donc à la marque d'explorer d'autres territoires et de décliner son contenu à travers une série de supports».

La fabrique à idées
Conséquence visible de ce décloisonnement: l'apparition au sein des régies d'antennes dédiées à des taches bien spécifiques. L'approche publicitaire est aujourd'hui devenue une approche sur mesure. «Nous avons créé au milieu de l'année passée la fabrique à idées. Une personne y est employée à temps plein. Nous nous sommes inspirés du concept mis en place il y a quelques années par Express Roularta», indique Philippe Belpaire. «Cette cellule réfléchit à la mise en place d'opérations spéciales sur mesure pour les annonceurs en étroite collaboration avec les autres divisions du groupe, la promo, le marketing, les rédactions. Il y a cinq ou six ans, le travail en régie pouvait se résumer à de la vente de pages. Aujourd'hui, nous faisons du conseil média. Cela demande non seulement une maîtrise parfaite de la marque mais aussi un esprit créatif pour proposer aux annonceurs des projets originaux sur mesure».
«Ces temps de crise représentent un moment idéal pour tenter des coups», poursuit Bernard Decamp. «Nous avons atteint les limites d'un modèle. Il est fini le temps où l'on pouvait encore vendre 1300 pages de pub à l'année sur un mensuel. La saturation a été atteinte. Et la crise nous pousse à revoir notre Business modèle, à être innovant. Pourquoi ne pas proposer dans quelques années un modèle de vente en ligne des pages pub avec des emplacements à différents tarifs et le principe du last minute juste avant la parution du magazine. C'est une période excitante malgré tout où il va falloir miser sur la qualité des messages et sur leur originalité plutôt que sur la quantité».
«2012 sera en effet l'année de la créativité», confirme Geert Spapen.«Nous allons plus que jamais mettre à contribution nos cellules chargées de faire du cross media et d'animer les communautés de lecteurs et lectrices».

Faire du magazine un objet en tant que tel
Enfin, autre tendance de ce moment de crise: le magazine dont la forme présente une réelle valeur ajoutée. Ce fut le cas l'an passé avec la série des Week-end Black du Knack et du Vif. «Des numéros spéciaux avec du papier mat et plus épais et une réelle valeur ajoutée esthétique. Ce fut un vrai succès avec une augmentation sensible du budget Life Style sur les deux marques. C'est très avant-gardiste dans la forme» se réjouit Philippe Belpaire. Theo Moormann, lui, cite en exemple le récent lancement du magazine masculin français The Good Life. «Près de 300 pages de qualité vouées à un vrai succès éditorial.On est ici dans quelque chose de très qualitatif, pour un public qui n'est plus dans l'immédiateté mais dans le confort. C'est la tendance du Book Mag. Un objet que l'on conserve et qu'on aime bien tenir en mains». Si le vent souffle, le magazine papier et les régies qui les portent ont encore de belles cartes à jouer. A condition donc de miser sur la pluralité des supports et sur la qualité des produits.