Bruxelles, hot spot créatif

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Tout comme Londres ou Paris, Bruxelles est une grande capitale. Cela comporte quelques avantages : tout y est à portée de main et il est facile d’y nouer des contacts. La capitale européenne regorge d’entreprises et d’organisations internationales, ajoutez à cela un climat culturel inspirant et vous avez tous les ingrédients pour séduire les créatifs. Mais Bruxelles est-elle vraiment sexy ? Un ministre et les directeurs d’un musée d’art, d’une agence de conseil stratégique pour les marques et d’un studio de films d’animation passent notre capitale au crible
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Paul Dujardin, directeur du musée Bozar, me guide dans cette urban jungle. Nous traversons cette ville du futur au cœur de l’Europe. Bruxelles surprend par la jeunesse de sa population. En effet, l’âge moyen y est de 37,8 ans. La ville semble aussi très multiculturelle. « Dans la commune où j’habite, Saint-Josse, on parle 153 langues ! » Vivre ensemble dans un tel melting pot présente quelques défis, mais c’est aussi très enrichissant. « On trouve ici non seulement les meilleures entreprises, mais aussi les meilleurs talents créatifs, » dit Paul Dujardin. « Ils viennent étudier la mode à La Cambre, le cinéma au RITCS… Prenez ‘Black’ de Adil El Arbi et Bilall Fallah (nommés tous deux ‘Brusseleirs de l’année’, ndlr). Stromae a aussi trouvé à Bruxelles un terrain propice à son développement. » Bozar veut être un forum pour tout ce talent artistique et rendre la culture accessible. « La culture renforce la cohésion sociale, » pense Paul Dujardin. « C’est pour cette raison que nous participons à des projets novateurs tels que ‘We-Traders’, destiné aux entrepreneurs bruxellois. Nous croyons à la réussite de petites entreprises locales, culturelles, actives dans la mode, le design, la BD, le street art… De jeunes entrepreneurs d’origines diverses expriment leur personnalité et façonnent de la sorte le riche climat culturel de la ville. La culture y est tangible, car elle se traduit en emplois. Le secteur culturel est l’un des plus grands employeurs à Bruxelles. » La région de Bruxelles-capitale s’assure en grande partie de la disponibilité des budgets. Paul Dujardin appelle le gouvernement fédéral à créer un climat fiscal favorable où la culture puisse prospérer.
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Bozar, anciennement Palais des Beaux Arts, a récemment subi un repositionnement et un rebranding. C’est l’agence bruxelloise Coast qui s’en est chargé. L’agence a trouvé un biotope créatif dans la capitale. Bruxelles semble être la base idéale depuis laquelle piloter les projets dans le Benelux, en France et même au delà. Bruxelles se trouve au croisement des régions et des cultures. Sur la scène internationale, Londres reste dominante pour le branding et le design. On y trouve les plus grandes agences design, celles qui restent très prisées dans les compétitions internationales de grande envergure. « Cela joue en notre faveur que les sièges de bon nombre de multinationales et d’organisations internationales soient à Bruxelles, » explique Frédéric Vanhorenbeke, managing partner de Coast. Bruxelles est cependant en train de se mettre à niveau, on y trouve de plus en plus de spécialistes locaux de branding et de design et la qualité du travail effectué peut rivaliser avec les plus grands noms internationaux.
Une petite métropole
« Notre secteur est encore relativement jeune, » décrit Frédéric Vanhorenbeke. « Il existe seulement depuis 15 ou 20 ans, mais nous sommes tout de même actifs au niveau international, voire même mondial. Dans notre cas cependant, c’est ici que nous développons l’ADN d’une marque. Bruxelles a l’avantage d’être une ville internationale et multiculturelle, nous connaissons mieux les cultures anglo-saxonnes et scandinaves qu’à Paris. » Lorsque l’on travaille dans une équipe internationale, ce melting pot culturel est un atout considérable. Permet-il d’attirer les meilleurs talents étrangers ? « Nos collaborateurs étrangers regardent d’abord quelle est l’agence pour laquelle ils travaillent, et quelle est la fonction qu’on leur propose, » répond Frédéric Vanhorenbeke. « Si ces deux éléments leur donnent satisfaction, alors ils sont intéressés. Leur choix ne dépend pas que de la ville. »
Bien sûr, Bruxelles n’est pas Londres. C’est pourtant un hot spot créatif, ne serait-ce que par les nombreux talents créatifs qui y vivent et y travaillent. Dans le même temps, la branche a tellement évolué qu’il n’est plus nécessaire d’habiter Bruxelles pour participer à un projet international. Cela se passe très bien en ligne. Tout de même, Bruxelles donne à ses habitants les avantages d’une métropole au format de poche. On s’y déplace bien plus vite qu’à Londres ou à Paris et on y ressent beaucoup moins le stress caractéristique des grandes capitales. Les créatifs et les stratèges y ont plus de temps pour réfléchir, pour prendre de la distance et se reposer. La qualité de vie est aussi meilleure, on trouve de tout à portée de main et le logement reste abordable. Les clients viennent volontiers à Bruxelles. La ville a bonne réputation et est synonyme de qualité.
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(c) The Walking Dog


Eric Goossens est à la tête du studio d’animation Walking The Dog (WTD), avec des bureaux à C-Mine, à Genk, et au cœur de Bruxelles. Le choix de Bruxelles ne s’est pas fait par hasard : « Le monde de l’animation est très international, » affirme Eric Goossens. « Nous travaillons avec des talents du pays et des talents étrangers. Nous ne pouvons pas nous contenter de ceux qui sortent des cinq écoles belges d’arts visuels appliqués. Ce n’est pas tant la question du nombre de diplômés, mais plutôt du niveau de la formation. Nous avons besoin de davantage de professionnalisme si nous voulons rester compétitifs sur la scène internationale. Les écoles doivent tenir davantage compte des besoins des entreprises d’animation. Nous trouvons quelques personnes pour les fonctions techniques, animateurs ou compositeurs, et ils peuvent se mettre au travail après une formation interne. Mais c’est beaucoup plus difficile de trouver suffisamment de créatifs avec leur propre environnement graphique et l’expérience nécessaire pour le traduire en un long film d’animation ou une série d’animation. Dans ce domaine, par exemple, la France a plusieurs années d’avance. » Heureusement, le talent étranger trouve toujours la voie de Bruxelles. Les créatifs s’installent volontiers dans le centre, à Saint-Gilles, à Schaerbeek ou dans les autres communes bruxelloises. Ils peuvent y trouver des logements abordables par rapport à Londres, Paris ou Barcelone. De Bruxelles, ils peuvent voyager très rapidement vers d’autres villes européennes et la langue véhiculaire ne pose jamais de problème.
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(c) The Walking Dog


Stimuli
Un autre avantage lorsque l’on s’établit en Belgique, c’est le climat financier et fiscal favorable qui y règne. Les productions d’animation sont en réalité très coûteuses, par conséquent, les coproductions entre plusieurs pays sont indispensables. Elles s’orchestrent très bien à partir de Bruxelles. Le tax shelter pour la production de films offre, à côté du Fonds Audiovisuel Flamand, de Bruxellimage et de Screen Flanders, un excellent stimulant. Autre atout : Creative Europe se situe aussi à Bruxelles. Il s’agit d’une instance auprès de laquelle on peut obtenir des subsides européens pour développer des projets audiovisuels. « En ce moment, nous coproduisons des projets avec la France, les Pays-Bas, l’Espagne, la Pologne, la Norvège, l’Allemagne, le Luxembourg et le Danemark, » poursuit Eric Goosens. « L’avantage d’une coproduction, par rapport au service work c’est que vous contrôlez tout, de la sélection du projet, la répartition des tâches et le choix des collaborateurs, jusqu’au résultat final. De cette façon, nous avons pu nous construire une réputation internationale de ‘boutique studio’ très accessible et flexible où l’on peut monter une coproduction avec professionnalisme. Nous sommes effectivement plus accessibles que les grands studios internationaux. » WTD a d’ailleurs déjà travaillé à deux reprises avec la maison de production de Luc Besson, EuropaCorp. Walking The Dog n’est pas sur une île déserte : dans le quartier de son studio, à Koekelberg, se sont installés des studios de postproduction, de son et de production de publicité avec lesquels ils collaborent étroitement. Un cluster de studios s’est tout naturellement formé grâce aux infrastructures disponibles. « Récemment, nous avons même commencé dans le centre Dansaert, il a été mis sur pied par la région bruxelloise pour les start-ups, » raconte Eric Goossens. « La ville encourage aussi les entreprises, il y a des subsides pour la recherche et le développement dont nous avons déjà pu bénéficier. »
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(c) The Walking Dog


La « fausse lente »
Sven Gatz, ministre du gouvernement flamand en charge de Bruxelles, laisse s’exprimer le ‘ket’ en lui : « Bruxelles est une ‘fausse lente’, » dit-il. « Parlez aux expats et vous entendrez souvent la même histoire. Ils s’attendent à une ville morne lorsqu’ils arrivent et quelques mois plus tard, ils sont enthousiastes. En réalité, Bruxelles est une ville qui ne dévoile pas tout de suite son âme, elle se trouve dans différents quartiers. Une fois ses charmes cachés découverts, on ne peut être que conquis par la qualité de vie. » Et beaucoup de choses s’y passent. En l’espace d’un seul jour, une nouvelle micro-brasserie ouvre ses portes, quelques restaurants exotiques sont repris pour la première fois dans le Bib Gourmand de Gault Millau, une nouvelle peinture de Breughel est dévoilée… Et le Bruxellois observe cette agitation avec son ‘zwanze’ typique : avec sérieux, mais en gardant une bonne dose de relativisme. Une telle ville grandit naturellement. Prenez la rue Dansaert, ce quartier branché était un centre de mode. Lorsque la chaîne de vêtements Cos a voulu s’y installer, certains ont criés au scandale, prédisant la fin de ce hot spot créatif.
(c) Coast agency

(c) Coast agency


Quelques rues plus loin, rue de Laeken, près du théâtre royal flamand (KVS), apparaissent désormais les premières galeries d’art dans les locaux commerciaux qui étaient vides. Cela deviendra peut-être la prochaine place to be pour les entrepreneurs créatifs. Et l’histoire se répète. Il y a de l’infrastructure abordable, puis de la ‘spéculation positive’, et la ville facilite les choses. « Bruxelles est vraiment une ville unique, très différente d’Anvers, Gand ou Liège, » annonce Sven Gatz. « C’était longtemps une ‘zone partagée’ entre la Flandre et la Wallonie, mais maintenant Bruxelles a sa propre identité. À certains égards, elle fait penser à New-York ou à Amsterdam et ça, ce n’est pas vraiment typiquement belge. Ne sous-estimons pas non plus la dimension multiculturelle : une grande moitié des Bruxellois est d’origine étrangère, parmi ceux-ci, la moitié vient d’Europe, l’autre d’ailleurs. Tout le monde est ici en minorité et personne ne domine vraiment. On entend énormément de langues différentes, et de plus de plus d’anglais, qui s’impose comme lingua franca. » Bruxelles est certainement créative, mais elle ne se vante pas : « Nous sommes déjà bien contents que nos bières, notre chocolat, nos BD, notre art et notre surréalisme plaisent, » conclut Sven Gatz en riant. N’est-ce pas justement créatif ?