Le Native Advertising, tout le monde en parle, tout le monde en a entendu parler, mais en a-t-on vraiment compris le principe? Parce que le buzzword qui échauffe la toile et les marketeers n’est pas aussi nouveau qu'on pourrait le croire. Il pourrait apparaître comme une solution à un modèle publicitaire online classique désormais en perte de vitesse. A condition de savoir le manier et de ne pas berner les consommateurs.
La publicité native, qu’elle soit on ou offline, respecte les principes d’intégration, de discrétion et de contenu que le modèle classique a évité pendant longtemps. Cependant, la notion, qui est apparue il y a deux ans aux Etats-Unis, est encore peu comprise en Europe. « Le terme de Native s’installe de plus en plus chez nous, mais personne n’est vraiment familier avec cette notion, qu’on soit du métier ou non. Je la décrirais comme une variante de la construction des formats publicitaires sur le net, » explique Pierre Mathelart, development manager chez Atypic. « Le Native met le contenu de la marque au cœur du contenu éditorial d’un site web. Par exemple: il va masquer le côté mise en scène d’un format type banner pour le noyer dans le contenu rédactionnel.» Nicolas Fontaine et Victoria Eulaerts, co-fondateurs de la jeune société Victonic, définissent sans hésiter: « Le Native? C’est une publicité digitale qui est parfaitement intégrée et décentre son contenu de la marque et de ses produits. »
Le terme Native a directement été associé aux publicités sur le web, et souvent comparé au publi-reportage qui est considéré comme son équivalent offline. Pourtant, Mickael Ferreira, co-fondateur chez Quantum-Advertising, a démontré, lors de la conférence « ThinkNative » qu’a tenu l’IAB en juin dernier, que le Native existe depuis plus d’un siècle et a évolué avec les médias. Le « sujet à la mode » a en effet suivi le parcours et les évolutions tour à tour de la radio, de la télévision, des événements promotionnels,… « C’est un ‘hot topic’ à l’heure qu’il est, mais ce n’est pas très nouveau dans le marketing: le concept d’intégration est là depuis longtemps, tout comme la création de contenu, » confirme Matthieu Vercruysse, deputy managing director chez Isobar. « Regardez Michelin qui a décidé d’éditer un livre proposant du contenu sur des routes, des bonnes adresses en France,… C’est un des premiers exemples de brand content. Cela prouve que le Native existe depuis longtemps. Et il ne faut surtout pas le confondre avec le publi-reportage, qui ne parle que du produit et ce dans un langage bien publicitaire. »
Le Native prend plusieurs formes dont les plus populaires sont les articles et les posts sponsorisés intégrés sur les blogs, les sites de presse en ligne et les réseaux sociaux. « Le Native est polymorphe: images, posts, vidéos, liens, playlists, articles, listings,… Autant de formes pour correspondre au mieux à différents objectifs marketing, » explique Mickael Ferreira.
UN MODELE PUBLICITAIRE ONLINE OBSOLETE
La toile voyait naître sa première bannière en 1994, il y a de cela 20 ans. Mais aujourd’hui, qui s’intéresse encore aux pop-ups et autres skyscrapers qui polluent les recherches des internautes? Le modèle disruptif, que l’on connaît bien, n’a sans doute plus lieu d’être. «On est clairement face à un environnement complètement pollué par la publicité. Il est nécessaire de se reposer les questions relatives à la pub classique, qui devient ce que j’appelle la 'pub poubelle', » commente Victoria Eulaerts. « Les banners sont morts, les gens ne cliquent plus sur la pub intrusive. » Les raisons de cette saturation paraissent évidentes à Pierre Mathelart, qui pointe les éléments causant la perte des banners: « On ne voit plus les bannières pour plusieurs raisons: la lassitude face à la quantité de messages, leur côté intrusif et inintéressant et un ciblage approximatif. Personnellement, je viserais aussi le manque de qualité de la pub online. A l'heure qu'il est, le CTR (Click Through Rate) est très bas, le modèle classique s’épuise. »
Un point de vue un peu radical tout de même lorsqu’on pense aux avancées technologiques telles que le Real Time Bidding (cfr PUB 6 p. 40) ou le retargeting, qui ont déjà permis au modèle de se réinventer et de devenir plus pertinent pour le consommateur. « Le format n’est pas mort. Il suffit de faire évoluer le modèle avec les possibilités de ciblage comme le R.T.B. et l’utilisation plus précise des cookies, » avance Gaetan Godart, senior account manager chez Blue2Purple. « Ces formats ont encore un avenir s’ils sont bien utilisés, principalement dans un objectif de visibilité. Mais c’est sûr que les pop-ups sont à bannir du paysage de la toile, » renforce Matthieu Vercruysse.
Cependant, les intervenants se montrent tous d’avis que l’avenir de la publcicité se trouve dans des concepts tels que le « storytelling », le « brand content » et le « targeting ». Des concepts qui, en fin de compte, nourrissent... le Native Advertising. « L’annonceur fournit le contenu, et il faut ensuite qu’il soit raconté. Si vous racontez une belle histoire, les gens vous écouteront, » précise Pierre Mathelart.
Matthieu Vercruysse, qui prône une publicité alliant qualité et contenu, détaille: « L’article sponsorisé va chercher du contenu indépendant de la marque et de ses produits. Je reprends l’exemple de Michelin, qui n’a pas communiqué sur ses pneus mais sur des conseils destinés à aider les automobilistes. On va chercher des univers de marque qui sont proches de son ADN mais décentrés de celle-ci. La marque doit connaître ses valeurs. Elle apportera une plus-value en engageant son client, en racontant une belle histoire qui colle aux intérêts de celui-ci. Avec le Native, la marque devrait rendre service au consommateur. On est dans l’optique inverse de la fameuse phrase du patron de TF1 : 'Le job de TF1, c’est de vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola'. » Le Native serait donc d’abord une discipline de fond, qui s’intègre par sa forme moins intrusive dans les contenus. Une alternative marketing pull qui viendrait compléter, enrichir les campagnes classiques push qui ont toujours de l’avenir, soyons francs.
PLAIRE AUX CONSOMMATEURS
Le clutter, le banner blindness, la saturation,… sont des termes bien connus lorsqu’on parle de l’environnement publicitaire. Sur le net, la profusion des messages interruptifs et la saturation cognitive de l’internaute ont obligés le modèle à se réinventer. Le Native Advertising est-il une solution à considérer? « Le contenu proposé par le Native est plus relevant et plus engageant. C’est ce que cherche le consommateur lorsqu’il surfe sur internet, » synthétise Nicolas Fontaine. « Le Native augmente l’intérêt du consommateur, » continue Pierre Mathelart. « On parle clairement d’une communication qui va engager le consommateur et même lui plaire! Au final, s’il a besoin d’une information et qu’il la trouve dans du contenu Native, il ne sera pas dérangé par la nature commerciale du post qui lui a été utile, » termine Matthieu Vercruysse. Des témoignages qui font certainement rêver les annonceurs, vu l’engouement grandissant de ceux-ci pour le Native. Florence Duquenne, digital strategist chez IPG Mediabrand, expliquait lors de l’IAB « ThinkNative », que le contenu, la pertinence ainsi que le contexte sont les trois points clés d’une bonne stratégie native. « Il faut respecter le consommateur en lui apportant du contenu de qualité et en l’adaptant à son environnement physique, technologique et social. Il faut écouter ce que veut le consommateur et où il le veut. » Des propos appuyés par Patrick Van Waeyenberge, managing director de la plateforme Newsmonkey, déjà surnommée le « Buzzfeed belge ».
Les parties prenantes au congrès se disent plutôt favorables à se pencher sur la technique et à y consacrer une partie des budgets marketing. Les co-fondateurs de Victonic sont d’accord pour dire qu’il existe un problème d’échelle qui ne permet pas encore d’envisager une campagne Native conséquente. « Un des gros enjeux sera d’imaginer et de mettre sur pied un système économique stable, » avance Pierre Mathelart. La transparence dans ce genre de pratiques est également très importante. Un article sponsorisé doit être labellisé comme tel et ne peut se permettre de tromper le consommateur. Un sujet souvent abordé par l’IAB et la FTC (Federal Trade Commission). « Les gens ne voient pas tout de suite les articles sponsorisés comme de la publicité. C’est une force mais aussi une faiblesse, car quand un annonceur abuse de cet avantage et que les internautes se rendent compte qu’il joue un jeu qui manque de transparence, il perd en crédibilité, » prévient Gaetan Godart.
QUEL FUTUR?
Le Native est un modèle prometteur qui apportera au paysage communicationnel plus d’homogénéité sur le web, ainsi qu’un enrichissement des campagnes de masse faites à travers des messages et des médias classiques. Certaines marques pourront se permettre de lancer des campagnes Native, d’autres auront encore besoin de concentrer leurs investissements dans des stratégies plus accessibles. En effet, le Native est un marketing personnalisé qui demande des compétences particulières et du temps, et se fera, en tout cas pour le moment, à échelle restreinte. « Pour l’instant, seul les 'big boys' se lancent dans le Native, mais la discipline peut être intéressante pour les petites boites désirant se rapprocher de leur audience, » propose Florence Duquenne. Victoria Eulaerts et Nicolas Fontaine voient un futur sans nuages pour le Native, qui est la discipline publicitaire sur laquelle ils ont décidés d’investir avec Victonic: « On croit au Native à 100%. Les choses vont se diriger naturellement vers cette tendance. Le Native s’empare de ce qui marche, quand ça marche et peut moduler son contenu indéfiniment, » commentent-ils pleins d’enthousiasme. D’autres, comme Matthieu Vercruysse, croient plus en la tendance de fond de la création de contenu pour l’utilisateur, quel que soit le format ou la plateforme. Tendance que le Native maîtrise bien. D’une manière générale, les avis sur le développement et le succès du Native sont positifs, même si certains émettent une réserve, comme Pierre Mathelart. « J’espère que ça ira loin, que ça se développera. Le consommateur se trouve bénéficiaire car ce format raconte des histoires. Si on prend la peine de se centrer sur le fond plus que sur la forme, je lui imagine un bel avenir. Là se situe le risque principal selon moi: qu’on perde de vue que le Native doit avant tout être qualitatif, et non s’intégrer le plus possible au paysage de l’internaute, jusqu’à le tromper. »
Cependant il ne faut pas oublier que le Native bouscule les codes de la publicité digitale non seulement par son caractère, son exécution et sa mesure. Mickael Ferreira souligne combien il sera nécessaire de trouver une technologie flexible pour générer et placer du Native sur la toile. « Il existe encore des problèmes majeurs dans son exécution qui s’automatise très difficilement. » Il ajoute que les promesses du Native et les différentes études ayant prouvé son efficacité – plus intéressante par rapport au display – pourrait jouer des tours au modèle. « Les annonceurs ne doivent pas abuser du Native, sinon il risque de suivre le même chemin que le display et s’épuisera vite, » conclut-il. Les moyens de mesurer ces campagnes, justement, doivent aussi être compris et maîtrisés, puisqu’ils se centrent non pas sur le CTR mais bien sur le taux d’engagement des utilisateurs avec les contenus. Des variables plus complexes qui nécessiteront des équipes entraînées.
Du native autour d’un verre de vin
Des exemples concrets de Native existent en Belgique. Le terme étant peu connu, nos agences parlent surtout de brand content. C’est notamment une des discipline dans laquelle Isobar s’est lancée pour Carrefour. A l'occasion de la Foire aux Vins, l’agence a imaginé une campagne interactive en collaboration avec Rossel pour attirer de nouveaux clients et stimuler le trafic en magasin. Etant donné un contexte concurrentiel très fort, Isobar a voulu démarquer Carrefour des autres enseignes du secteur de la distribution avec un concept créatif engageant. Pour ce faire, l’équipe a créé une campagne Native alliant du contenu réalisé avec Eric Boschman et Kris Van Sompel, deux sommeliers reconnus de part et d’autre de la Belgique. Des vidéos et des articles intégrés sur Facebook, Youtube et à la plateforme du journal Le Soir ont enrichit un habillage display classique. « La présence de la marque était uniquement assurée dans ces capsules vidéo. L’intérêt était d’avoir du contenu. Des membres des rédactions de Rossel ont d’ailleurs contribué à sa production, » dépeint Matthieu Vercruysse, deputy managing director chez Isobar. Les contenus native proposaient des échanges avec les experts, agrémentés d’astuces, de conseils et d’anecdotes autour des vins dégustés. Les résultats de la campagne ont été positifs, avec une visibilité accrue, des vidéos vues plus de 5.000 fois, 520 nouveaux fans sur Facebook et une corrélation certaine entre le succès de la campagne et les ventes en magasin.
Victonic, des bancs de l’école au Native
Victoria Eulaerts et Nicolas Fontaine se connaissent depuis le début de leurs études en publicité et marketing à l’IHECS. Ils ont formé un duo créatif dynamique, ont fait leurs stages ensemble chez DDB, McCann,… et se consacrent aujourd’hui à leur jeune agence Victonic. « On a voulu créer cette agence spécialisée en Native et en brand content après avoir analysé la stratégie native du Huffington Post, » retrace Victoria. « Le marché du Native est au point zéro en Belgique et on y a vu une belle opportunité. » Depuis presque un an, le duo développe son offre de contenu, en croyant à une publicité plus qualitative pour demain. « Pour la majorité de nos clients, le native commence d’abord par une bonne gestion ou une reprise en main de leur community management, » continue Nicolas Fontaine. « Souvent, on reprend d'abord la gestion de la communauté. Puis on introduit peu à peu l’idée de passer à la vitesse supérieure en proposant du contenu plus qualitatif ». Ils travaillent notamment pour Greensun, une entreprise proposant des services axés sur l’énergie renouvelable. « On a commencé avec une vidéo d’animation qui parle d’énergie verte. Une fois terminée, la vidéo est utilisée sur différents blogs, articles et réseaux sociaux. Une série de reportages vont également suivre, dans le but d’aider les utilisateurs à optimiser leur énergie, tout ça sponsorisé par une entreprise qui optimise l’utilisation de l’énergie. » Une communication décentrée qui va chercher à engager le consommateur, deux termes-clés définissant une bonne offre native.