Cher client, le pitch est gratuit… mais l'addition est salée !

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Le monde de la publicité traverse une période de pleine expansion, marquée par une explosion des réseaux sociaux et des médias, ainsi qu’une consommation en constante évolution. Dans ce contexte dynamique, la concurrence entre les agences est plus féroce que jamais, chacune rivalisant pour se hisser sur le podium des pitchs. Mais on le sait, les pitchs gratuits dans le monde de la publicité sont un sujet de grande controverse ! Mais pourquoi ?

En effet, pour les annonceurs, c’est une opportunité : ils peuvent découvrir plusieurs agences et choisir parmi diverses propositions, ce qui leur permet de trouver celle qui correspond le mieux à leurs attentes. Mais qu’en est-il pour les agences ? Pour elles, c’est une toute autre affaire. Un pitch représente une quantité importante de travail, et le travail n’est pas gratuit.

Une question cruciale persiste : que faire lorsque ces agences, qui investissent temps et créativité pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans leurs propositions, ne sont pas rémunérées pour leur travail ?

Cette réalité soulève des enjeux éthiques et économiques significatifs, révélant les défis auxquels fait face le secteur publicitaire.

ENJEUX ÉTHIQUES

Pour mieux comprendre la dynamique au sein des agences face à ce problème, nous avons interviewé Johan Vandepoel, CEO de ACC, et Sascha Van der Borght, Chief Growth Officer chez Publicis.

Tous deux divergent dans leurs avis sur la gratuité des pitchs :

D’après Johan Vandepoel, ACC : « En Belgique, les pitchs publicitaires sont généralement gratuits. Légalement, il est presque impossible de demander une rémunération pour un pitch, ce qui oblige les agences à investir sans garantie de retour. »

D’après Sacha Van Der Borght, les pitchs gratuits posent problème : « Les agences dépensent du temps et de l'argent pour développer des idées, sans garantie de retour. Cela impacte la qualité, car les équipes doivent participer pour rester compétitives. »

On le comprend donc bien : la gratuité des pitchs soulève différents avis, mais un des points qui est revenu au cours de ces deux interviews fut « la préparation et l'analyse des pitchs ». Ces deux points sont essentiels, et ce, des deux côtés.

Du côté des annonceurs, il est crucial de bien choisir les agences invitées à participer au pitch. Cela permet de réduire le nombre d'agences impliquées inutilement et donc de limiter le travail non rémunéré. En effet, la préparation et le rôle de l’annonceur dans le déroulement d’un pitch sont des éléments permettant de garantir l'efficacité de celui-ci. Cela implique de bien connaître les agences auxquelles ils pourraient proposer de participer au pitch, leur histoire, leurs distinctions, mais aussi et surtout de repérer celles qui répondent le mieux aux besoins spécifiques du projet. Selon Johan Vandepoel, une bonne sélection des agences, réalisée en amont, augmente les chances de recevoir des propositions pertinentes et diminue le risque de pitchs infructueux.

Au niveau national, certains annonceurs sont tenus de couvrir certains frais engagés par les agences pour participer aux pitchs. Bien que cette couverture ne concerne pas une rémunération directe du travail créatif, elle aide à compenser certains coûts comme le matériel ou la logistique. Le fait de devoir prendre en charge ces dépenses incite les annonceurs à sélectionner plus rigoureusement les agences invitées : pour éviter de multiplier les frais inutilement, ils choisissent celles qui sont les plus qualifiées et pertinentes pour le projet. Dans ce cas, les agences seront plus disposées à participer aux pitchs car elles savent que leurs chances de les remporter sont augmentées, et cela, plus souvent, grâce au travail de fond des annonceurs qui a été fait plus rigoureusement.

Toutefois, les dédommagements pour les pitchs non retenus sont encore légalement interdits.

Du côté des agences, elles ont la responsabilité d’analyser leurs chances de succès et d’évaluer le potentiel de revenus ou de notoriété associé au pitch pour décider si leur participation en vaut la peine. Cela ne sert à rien et serait même une perte de revenus et de temps énorme pour les agences de participer à tous les pitchs qui leur sont proposés. Participer à un pitch représente un investissement important.

Par exemple, selon Sacha Van Der Borght, Publicis se doit d’évaluer soigneusement chaque pitch en tenant compte des coûts, des chances de succès et du niveau de concurrence avant de s'engager. Si le pitch est bien évalué en amont, il peut offrir des opportunités positives. Par ailleurs, une évaluation rigoureuse et un retour d'expérience après chaque pitch sont essentiels pour progresser et maximiser les chances de succès des futurs projets.

De plus, pour permettre une meilleure gestion de cette situation, ACC a mis en place un système transparent pour détailler les coûts associés aux différentes formes de présentation, aux projets ponctuels (ad hoc), et aux appels d'offres publics. Cette clarification des coûts permet aux clients de mieux comprendre les investissements nécessaires pour chaque type de collaboration, facilitant ainsi des prises de décision mieux informées et adaptées aux objectifs des projets.

Leurs méthodologies, nommées "collab", introduisent des éléments de suivi et d’évaluation régulière entre agences et clients. Elles reposent sur des évaluations régulières, où chaque partie donne son avis sur la qualité de la collaboration et les résultats obtenus. Ces retours permettent d’identifier rapidement ce qui fonctionne bien et ce qui pourrait être amélioré, pour que tout le monde reste sur la même longueur d’onde.

LES PITCHS : UN FREIN À LA CRÉATIVITÉ ?

En effet, selon Sacha Van Der Borght, les pitchs gratuits posent un problème : « Les agences dépensent du temps et de l'argent pour développer des idées, sans garantie de retour. L'impact peut se ressentir sur la qualité du travail, car les équipes se voient souvent contraintes de participer pour rester compétitives. »

Les pitchs gratuits sont donc un risque pour la créativité : sans retour financier garanti, les agences allouent moins de temps et de ressources à ces projets. Résultat : des délais courts, moins d’audace et d’innovation. Lorsque le retour financier n'est pas assuré, les agences adoptent une approche plus prudente et se concentrent sur l’essentiel pour livrer une proposition rapidement et avec des moyens restreints, laissant place à moins de créativité.

Pour éviter cela, Publicis veille à limiter l'impact sur ses équipes. Les collaborateurs ne se consacrent pas uniquement aux pitchs. L’innovation reste au cœur de la stratégie de Publicis. Selon Sacha, c’est la seule solution afin de maximiser leur potentiel créatif et proposer des idées fortes.

Mais malgré tout, les pitchs demandent beaucoup de travail. Les travailleurs sont parfois amenés à travailler davantage, sans rémunération supplémentaire pour ce temps. Il serait donc normal que des critères, comme le coût et la durée (souvent 3 à 4 mois), soient pris en compte et ajustés en fonction de la complexité, et inclure une évaluation précise des heures prestées.

ET LE DROIT À L’IDÉE DANS TOUT ÇA ?

Un des problèmes majeurs des pitchs gratuits est le risque de vol d’idées. Bien que des clauses interdisent aux annonceurs de réutiliser les idées rejetées, il arrive parfois que des concepts soient repris sans l’accord de l’agence. Et le problème, c’est que les processus légaux autour de la protection des idées sont limités, rendant difficile le suivi juridique en cas de litige.

Pour contrer cela, ACC a mis en place un système qui vise à protéger les droits d’auteur des pitchs non retenus pendant cinq ans, offrant aux agences une protection supplémentaire contre l’utilisation abusive de leurs idées.

CONCLUSION

Vous l’aurez compris, les pitchs gratuits offrent aux annonceurs la possibilité de comparer plusieurs propositions, mais imposent aux agences un lourd investissement sans garantie de retour, ce qui peut freiner leur créativité et avoir un réel impact sur le bon fonctionnement de leurs équipes. Cependant, une bonne gestion du pitch dès le départ peut permettre d’apporter des résultats fructueux en matière de renommée, ainsi qu’augmenter les chances de réussite pour les agences participantes. De plus, en demandant des frais de participation et en sélectionnant mieux les agences dès le début, le secteur publicitaire pourrait valoriser davantage le travail créatif et instaurer des collaborations plus équilibrées entre les agences et les annonceurs.

 

Par Isaure Simonneau et Eloïse Fallon, étudiantes de l’IHECS.