La responsabilité sociale n'a jamais autant été célébrée qu'à l'occasiion de cette 6ième édition des Cannes Lions.
Cette tendance lourde s'est construite au fil des ans et il est certain qu'elle franchira un nouveau cap en 2014.
Mais pour tous les acteurs et observateurs présents sur la Croisette, 2013 est un grand cru.
La responsabilité sociale n'a jamais autant été célébrée qu'à l'occasion de cette 60e édition des Cannes Lions. Cette tendance lourde s'est construite au fil des ans et il est certain qu'elle franchira un nouveau cap en 2014. Mais pour tous les acteurs et observateurs présents sur la Croisette, 2013 est un grand cru.
Jamais vu un Festival des Cannes Lions qui affichait autant de bonnes intentions au m²! La plupart des catégories ont mis le pied à l'étrier. Nombre de marques se sont ainsi vues attribuer une mission tantôt altruiste, tantôt revalorisante. Il ne faut naturellement pas généraliser ce constat. Nous sommes ici au cœur d'une compétition qui salue l'excellence publicitaire; alors que sur le terrain national, chacun constatera qu'une grande partie de la communication commerciale comporte une forte dose de promo! Le contexte économique morose fait l'apologie du prix écrasé et du couponing. C'est dire que c'est bien à Cannes qu'il nous est donné de voir ces pubs qui ambitionnent de changer le monde, tout en vous faisant aimer les marques.
Impossible naturellement de passer en revue les 37.765 cas inscrits au Festival. Mais un passage au peigne fin des campagnes qui ont additionné les Lions ne laisse pas de place au doute. La responsabilité sociale est bien le ciment qui les unit. Prenons « Dumb ways to die », une création qui fait la couverture de votre magazine, mais qui est aussi celle qui semble avoir récolté le plus de prix depuis la première édition du Festival: Cinq Grand Prix (PR, Direct, Radio, Film et Integrated), 18 Gold, trois Silver et deux Bronze. Naturellement, sa dimension est de l'ordre du service public. Un métro, un train, ce n'est pas un paquet de Lay's ou une canette de Coca. Il en va de même pour « Make it to Muse » pour Studio Brussel. Rien à voir non plus avec les FMCG. Quatre ingrédients: Des personnes âgées, une radio, un groupe et un concert. Cette campagne de Mortierbrigade a toutefois dû se contenter de Lions argent et en bronze. Dans le même rayon, IBM qui donne une valeur ajoutée à l'affichage avec « Outdoors as utility » (Grand Prix Outdoor) s'inscrit dans cette démarche: L'annonceur n'occupe pas l'avant-plan, il se fait presque discret aux côtés de la cause qu'il défend. Ces exemples démontrent que la demande sociale pour que la publicité s’assume comme une activité responsable, a été entendue. Gert Pauwels, directeur créatif online & brand activation chez TBWA et membre du Jury Cyber, croit sans ambigüité à l'accélération de cette tendance. « Absolument, tout le monde comprend que c'est mieux pour la société, les personnes... Ca ne va pas s'arrêter là. La prochaine étape, c'est l'engagement. » Et de citer l'exemple de la campagne brésilienne « Easy way subtitles » d'une école de langues, qui permet à toute personne ne comprenant pas le portugais de bénéficier de sous-titres dans la langue de son choix lorsqu'elle regarde la télévision. « Ils n'ont pas juste communiqué, ils ont offert le service. »
LA MARQUE SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE
Certaines marques occupent ce terrain déjà depuis quelques années. Soucieuses de s'attirer les faveurs de toutes les femmes, pas uniquement celles qui ont une taille de guêpe mais aussi celles qui affichent quelques rondeurs, Dove a déclaré que toutes les femmes sont belles. Pour celles qui en doute la nouvelle démo a cartonné sur le web et dans les médias. A Cannes « Real Beauty Sketches » a aussi marqué des points. Sous un vague fond sociétal, c'est individuellement que les femmes se voient interpellées. A l'inverse de Coca-Cola qui depuis des décennies affectionne les chorales et le panachage des couleurs de peau. Mais depuis que le géant d'Atlanta est dans le collimateur pour l'excès de poids que ses boissons sucrées peuvent provoquer et sa facture environnementale, il se devait de jouer au bienfaiteur de l'humanité.
Pour Sylvie Irzy, directrice générale d'Initiative, « il y a un sens du devoir, à savoir rendre quelque chose à la société. Ceci existe depuis pas mal d'années. Il y a eu des précurseurs, ceux qui avaient pas mal d'argent. Aujourd'hui, ça se généralise et donne de la beauté à la communication. Il ne faut naturellement pas être naïf, c'est utile pour la marque. Les valeurs et la qualité d'une marque sont au centre de son succès commercial. Ne pas penser à la façon dont l'économie et la société fonctionnent aujourd'hui, ce serait pour une marque, comme passer à côté de l'océan. Il y a une prise de conscience. Comme avec 'Make it To Muse', je n'avais jamais été sensibilisée à cela malgré que j'ai une maman de 86 ans. »
Et notre interlocutrice de s'enthousiasmer pour deux remarquables opérations signées Coca-Cola. D'un côté, avec « Small World Machines », la marque permet à des Indiens de sympathiser avec des Pakistanais grâce à un distributeur de canettes à écran tactile. Chacun voit l'autre, le touche via l'écran et la récompense tombe. Un très beau coup de com, qui a récolté des Lions, mais dont la mise en scène ne résiste pas à l'analyse. L'action se passe dans un centre commercial haut de gamme, loin des fils de fer barbelé de la frontière, et sur les réseaux sociaux les messages se partagent entre émerveillement et sarcasmes: « That gave me goosebumps », « Get free diabetes for you and your enemies ». En Thailande, Coke a eu une idée de génie en surfant sur les terribles inondations qui ont mis une partie du pays sous eau fin 2011. Avec « A Million reasons to believe in Thailand », l'enseigne avait pour objectif de redonner le bonheur à une population déprimée. Elle a été à la base d'une mobilisation nationale salutaire sans précédent qui, in fine, lui a permis de voir ses ventes progresser de +6%. Deux approches remarquables qui attestent que Coca-Cola est passé maître dans l'art de l'utilisation de la responsabilité sociale en marketing.
LE SERVICE AVANT TOUT
Pour Erik Vervroegen, directeur international de la création du groupe Publicis, le zeste de bonne conscience n'est pas toujours inscrit dans l'ADN de la marque. « Ce n’est pas une question de marque, mais de client. Je me souviens de la campagne de Wieden - Kennedy Londres réalisée en 2005 pour présenter les nouveaux moteurs diesel non polluants de Honda. Le jour où le responsable marketing chez le client est parti, c'en était terminé du message écologiste! Prenons Coca-Cola, pendant des années on n’a pas entendu parler d'eux à ce niveau. Dans les années 90, ils réalisaient des films marrants. Ils ont ensuite disparu et sont réapparus en investissant ce terrain. » S'il paraît évident que nous nous dirigeons vers une communication plus responsable, le message se doit d'être plus direct et sans artifices.
Contrairement au greenwashing, qui a eu son temps, la publicité de demain se basera sur la transparence et la sincérité. Prenons trois exemples qui vont dans ce sens: « Bridge of Life », un Titanium Lion pour l'assurance vie de Samsung en Corée du Sud, « Immortals Fans », un Grand Prix en Promo pour un club de foot brésilien et « My Blood Is Red and Black », un Gold Lion en Direct pour un autre club de football brésilien. Dans le premier cas, un pont, baptisé « Pont de la mort » car véritable strapontin pour les candidats au suicide, se voit bardé de messages apaisants s'éclairant au passage d'un piéton. Résultat: une baisse de 77% du taux de suicide. La deuxième opération épinglée voit le Club Recife transformer ses supporters en donneur d’organes. L’idée est simple: vous êtes fan du club? Devenez « fan immortel » en souscrivant à une carte de donneur. L’engouement pour Recife a permis d’augmenter considérablement le nombre de transplantations! La troisième campagne utilise également le créneau dus sport en transformant les maillots noir et blanc des joueurs de l'équipe de foot en baromètre dans le cadre d'une collecte de sang. Au fur et à mesure que les dons augmentaient, les rayures blanches cédaient la place à des rouges. Résultats et buzz garantis! « Nous sommes face à deux approches. D'un côté, ces campagnes qui ont un côté welfare pour la société, et de l'autre, il y a la communication qui a une valeur ajoutée pour l'individu, notamment à travers des applications, » constate Gert Pauwels, dont l'agence a été créditée d'un Gold Lion dans la catégorie Direct pour la campagne KBC « The Gap in the Market ». Afin d'aider les entrepreneurs à lancer le business qui correspondra le mieux à la demande du marché, la banque a mis à leur disposition un site leur indiquant les lieux opportuns pour s'implanter. La plateforme interactive a ainsi permis une mise en relation entre habitants et porteurs de projets.
ENTRETENIR LA CONVERSATION
Grâce aux réseaux sociaux, mais aussi aux plateformes en ligne, il est devenu incontournable pour les marques d'entretenir la conversation avec leurs clients. Un dialogue qui ne peut d'ailleurs pas être à sens unique. Celui-ci peut être léger, comme dans cette campagne « Oreo Daily Twist » de la marque américaine de biscuits Oreo, Grand Prix des Cyber Lions. Afin de célébrer son centenaire, ses aficionados ont été invités à proposer des variantes à la célèbre formule noire et blanche. Un vent de folie a soufflé sur la toile... Changeons de genre avec Dela, le prêt-à-porter international en matière de funérailles. Afin de promouvoir son assurance décès aux Pays-Bas, l'enseigne a lancé une campagne intitulée « Why wait until it's too late? ». En clair, pourquoi attendre la disparition d'un être cher pour lui prouver notre amour à travers un geste, une déclaration, un message... Ce Grand Prix média a joué sur la corde sensible de nos voisins Hollandais.
Chacun a fait preuve d'imagination et de créativité pour toucher sa cible. Le dialogue a pris forme à travers nombre de médias, de l'affichage hyper localisé à la télévision en passant par Twitter. Même recherche de dialogue avec les consommateurs pour Intel et sa saga « The beauty inside », un Grand Prix Film, qui a fait appel à la contribution des internautes qui ont été invités à livrer leurs états d'âme, à l'image d'Alex, le héros qui se réveille dans un nouveau corps chaque matin.
Ces exemples, qui sont les arbres qui cachent la forêt, attestent que le monde publicitaire est en marche. Etonnant? Pas vraiment si l'on jette un œil sur le vent de révolte qui souffle sur la Turquie. La médiatisation de celle-ci doit beaucoup aux publicitaires turcs, qui se sont engagés aux côtés des manifestants. Le net a été et est leur terrain de prédilection. Le site Sivil Direnis appelant à la résistance civique est la réalisation d'une agence qui préfère garder l'anonymat. Qu'on soit à Bruxelles ou à Istanbul, les acteurs du monde de la pub et du marketing trouveront toujours une façon d'exprimer leur responsabilité sociale.
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