Conversation avec Eric-Emmanuel Schmitt

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Dans le dernier numéro de PUB, nous avons parlé d'amour avec Eric-Emmanuel Schmitt. Poursuivons notre conversation avec celui qui vient de signer "Journal d'un amour perdu". L'homme, auteur d'une quarantaine de romans, membre de l'académie Goncourt, aime se raconter. Normal pour un conteur d'histoires...

Schmitt Phil

Eric Emmanuel Schmitt & Philippe Warzée

Ne sommes-nous pas arrivé à l'heure d'une auto-biographie ?

"Je ne sais pas. J'ai longtemps eu beaucoup de réticences par rapport à l'écriture auto-biographique. Parmi mes 45 livres, c'est la troisième fois que je le fais. C'est pour moi la seule manière d'être le plus juste. Je suis obsédé par la justesse et comme ici il s'agissait d'analyser le choc, le tourment, les errances, qui s'avèrent être un chemin du deuil, la façon la plus juste était de procéder ainsi. Le but n'était pas de parler de moi, mais de nous, de la disparition d'un amour important. Ma mère était très pudique et je le suis également. Cette démarche ne me vient donc spontanément. C'est un pan auto-biographique. Chaque livre a sa forme, celui-ci est un journal, il y a une dramatisation. Un jour si on s'intéresse encore à moi quelqu'un pourra se charger de signer un ouvrage. Ce n'est pas moi qui le ferai."

Trouvez-vous un certain bonheur dans le fait de pleurer ?

"Je ne vais pas dire que j'ai aimé pleurer, mais j'ai aimé mon chagrin à la disparition de ma mère. La tristesse était la nouvelle forme d'expression de mon amour. Je ne voulais pas qu'on m'enlève cette tristesse. Je me réfugiais même dedans. Je rentrais à la maison dans mon chagrin, c’était ça ma vraie maison. Ma mère était dedans. D'un autre côté, je devais lui obéir et être heureux car elle m'avait toujours inculqué le devoir d'être heureux. Arrive un temps où les larmes changent. Je ne pourrais pas être écrivain si je n'avais pas cette sensibilité. Mon directeur littéraire m'a dit : « ça pleure beaucoup dans ce livre » ! Je lui répondu chez Rousseau aussi. Mon seul métier a été d'enseigner la philosophie et précisément le 18e siècle. C'est une époque où les hommes pleurent. Je n'ai jamais eu de problème avec ça. Il est toutefois rare que je pleure en public. Les larmes nous recentrent, elles sont l'expression de l'essentiel. Il ne faut pas en avoir peur."

La prière est chez vous pas anodine. Peut-on dire qu'elle s'inscrit dans un mode de vie ou une échappatoire ?

"D'abord, prier n'est pas demander. C'est prendre conscience de ce qui est important et de ce qui ne l'est pas. C'est une sorte d'hygiène spirituelle. Chez moi toute prière se termine par un remerciement. C'est aussi une façon d'adresser mes pensées aux gens essentiels si je prie pour eux. Je ne crois pas que la prière soit une demande et qu'en plus qu'elle soit reçue. Je n'ai pas la perception d'un dieu providence qui nous écouterait."

Vous semblez faire tout pour que le temps n'aie pas de prise sur vous ?

"Oui. Vous avez raison. Ce n'est pas une lutte contre la condition humaine, c'est une façon d'habiter la condition humaine. Ce n'est pas un refus du temps qui passe et qui coule, c'est un désir de faire du temps mon ami. Je ne perds pas un instant. Quand on a le privilège d'être en vie on ne perd pas une miette."

ERIC emmanuel Schmitt C Pascal Ito