Commissions d'agences... Des chiffres et des pourcentages

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La fin des commissions d’agence : une fausse bonne idée ?

Avant la pause estivale, Medialaan a annoncé, par le biais de son directeur commercial, Ben Jansen, que le groupe passerait à une commercialisation sur base du tarif net à partir du 1er janvier 2016. Medialaan supprimerait donc de facto la traditionnelle commission d’agence de 15% pour toutes ses chaînes de télé et de radio. Une annonce qui avait secoué le monde des médias et de la publicité. Maintenant que l’agitation est retombée et que tout le monde a pu y réfléchir, les avis ne pourraient pas être plus divergents.
Jamais n’avais-je autant entendu « off the record » dans le cadre de la rédaction d’un article. Bien que nombre de mes interlocuteurs semblent trouver la suppression de la commission d’agence « insignifiante » et que l’un d’entre eux l’ait même qualifiée de « non-issue », le sujet semble tout de même susciter de vives réactions. Dans cet article, nous donnons la parole à sept managers de premier plan du monde des médias et de la publicité. Un fin est certain : le débat fait rage autour de ce sujet épineux. Les positions de nos interlocuteurs vont du « pour » explicite au « contre » ferme. Car toutes les parties concernées ont eu le temps de faire le calcul en interne : que leur rapporterait la suppression de la commission, ou que leur coûterait-t-elle ? Selon nos informations, au moins deux régies sont favorables à cette idée. Les agences média, quant à elles, sont plus partagées. Il nous semble logique que Ben Jansen soit le premier à s’exprimer sur le sujet. En effet, c’est Medialaan, dont il est le directeur commercial, qui a lancé le pavé dans la mare.
Les médias et la technologie sont en train de converger, constate Ben Jansen : « Ils ne forment plus qu’un. L’exercice consiste à comprendre le customer journey. Nous sentons cela concrètement pour la télévision et les vidéos en ligne. À l’origine, nous sommes une entreprise de télévision classique, mais depuis environ quatre ans, nous sommes aussi actifs dans le marché en pleine explosion de la vidéo en ligne. Pour nous, tout comme les spectateurs, les annonceurs et les agences média, les vidéos constituent un seul et même monde. Dans le domaine des vidéos en ligne, nous sommes un petit challenger dans un monde de géants internationaux qui dominent le marché et qui ne travaillent jamais avec des commissions d’agence. Notre proposition vise à simplifier l’ensemble de notre business de la vidéo online. En fait, nous emboîtons le pas au monde digital. En réalité, la télévision est désormais entièrement digitalisée. » En d’autres termes, Medialaan veut créer un nouveau benchmark transparent, vraisemblablement pour jouer sur le même terrain que des acteurs internationaux tels que Facebook, Google et – surtout – YouTube.
Ben Jansen voit lui aussi la convergence entre les médias et la technologie comme une opportunité. « Cela ouvre énormément de possibilités, » dit-il. « Grâce à la technologie, nous pouvons atteindre notre public à d’autres endroits et à d’autres moments sur de nouvelles plateformes. Nous en sommes fermement convaincus – et cela nous motive à continuer d’y investir. Au niveau local, nous avons vraiment beaucoup à offrir sur le marché publicitaire, justement parce que nous sommes un acteur local fort. Les annonceurs savent que nous sommes très attentifs à la qualité du contenu et de la publicité. Nous essayons de transmettre le meilleur du monde de la télévision aux vidéos en ligne, et inversement. Nous avons tout intérêt à faire prospérer le contenu vidéo, que ce soit à la télévision ou sur d’autres plateformes (numériques). » Pour Ben Jansen, la suppression de la commission d’agence est d’une logique implacable. Selon lui, c’est dans l’intérêt de l’ensemble de l’industrie publicitaire et médiatique. « Quoi qu’il en soit, Medialaan veut rester future-proof », souligne Ben Jansen. « A-t-on seulement de bonnes raisons de ne pas le faire ? »

La critique

Pour trouver réponse(s) à cette question, nous nous tournons vers Gino Baeck. Il y a peu, GroupM avait publié une prise de position sur la suppression effective de la commission d’agence. Le ceo de GroupM, Maxus et Mindshare estime que cette suppression est « très difficile à appliquer. » Il souligne que sur le principe, il n’est pas contre l’idée, mais qu’il se positionne de façon critique. « Imaginez que nous décidions un beau jour de remplacer les pièces de monnaies rondes par des pièces carrées, » dit-il, « les deux ont la même valeur et, en soi, cela semble ne pas changer grand-chose. Mais en pratique, cela requiert des adaptations plus complexes puisqu’il faut changer tous les appareils et tous les distributeurs. Certes, cette comparaison est un peu idiote, mais c’est là où je veux en venir. Bien sûr que pour les agences média, la commission d’agence est devenue virtuelle. Mais les conséquences pratiques de sa suppression sont telles qu’on peut se demander si le jeu en vaut la chandelle. Que ce soit clair : en tant que groupe, nous sommes en faveur de la simplification, c’est pourquoi nous ne sommes pas contre le principe de la suppression. Elle sera cependant liée à une charge de travail supplémentaire titanesque. Du coup, les inconvénients de la suppression restent plus importants que ses avantages. »
Selon Gino Baeck, la suppression de la commission d’agence est loin de simplifier les choses. « Surtout s’il n’y a que Medialaan ou qu’une poignée d’agences qui suivent le mouvement, » précise-t-il. « Au contraire, cela complique tout. Il aurait mieux valu attendre que la suppression soit mieux acceptée, afin que plus de monde – mieux encore, tout le monde – puisse y participer. Cela aurait également permis à tout un chacun de mieux s’y préparer. Par ailleurs, j’entends dire que certains envisageraient de supprimer les commissions, mais sans réduire leur tarif de 15%. D’autres régies sont complètement opposées à la suppression. L’arrivée de ces nouveaux modèles divergents ne simplifie pas vraiment les choses. En outre, j’ai noté que la suppression visait à nous rendre plus forts face à Google ou Facebook. J’ai des doutes quant à la validité de cet argument. Nos agences média comparent déjà très bien les prix pour les annonceurs sur base du niveau net. Cela ne changera pas grand-chose que la commission d’agence de 15% soit supprimée ou non. Le développement d’une meilleure offre de vidéos en ligne me semble être un bien meilleur argument face à Google ou Facebook. Par ailleurs, la Flandre n’est qu’un petit marché dans un monde gigantesque. La suppression aura chez nous un énorme impact sur les régies qui ont beaucoup de clients à l’étranger. Elles ne pourront pas s’adapter si facilement. De plus, de telles régies peuvent difficilement travailler avec deux poids et deux mesures. Pour environ 80% des contrats des agences média, on utilise les tarifs négociés brut comme base de calcul de la rémunération. Tous les contrats vont donc devoir être modifiés si la base change. Enfin, la question est de savoir si les prix resteront véritablement plus bas à l’avenir, une fois que l’agitation autour de la suppression de la commission sera calmée, et si le publicitaire n’en subira pas des inconvénients à long terme. »
Gino Baeck y voit surtout des inconvénients, pour le court terme comme pour le long terme. « Cette diminution unique de 15% du prix coûtant compense-t-elle la perte des surcommissions pour les annonceurs ? », se demande-t-il à voix haute. « Nous ne savons pas ce qu’il se passera dans trois ans. » Enfin, le dirigeant du GroupM craint que la suppression de la commission ne rende les agences média moins attrayantes pour les petits publicitaires locaux, qui envisagent parfois d’acheter directement auprès des régies.

Un compromis ?

Dominique De Ville propose un compromis pour rationaliser la transition. La ceo de OmnicomMediaGroup (OMG) et présidente du conseil d’administration de United Media Agencies (UMA) souligne qu’elle s’exprime « à titre personnel ». « Je ne suis pas contre la suppression des commissions d’agence, » indique-t-elle. « Elles n’ont presque plus de raison d’être : 90% du volume vendu dans notre pays retourne tout de suite aux annonceurs. Il y a bien sûr encore quelques annonceurs locaux qui exigent de leurs agences média qu’elles reversent la commission. Mais le travail de tels annonceurs locaux est en fait différent car, dans les faits, ils ne font pas appel aux services des agences média. Pourtant ces dernières peuvent offrir une valeur ajoutée qui va bien au-delà d’une simple ristourne. C’est là que devrait se situer le débat. »
Quoi qu’il en soit, Dominique De Ville plaide pour une préparation solide à la suppression des (sur)commissions. « Il est évident que cela va donner lieu à des difficultés, » prédit-elle. « Si certaines régies franchissent le pas et d’autres non, cela va donner des conditions de rémunération et de négociation inégales. Le risque est surtout présent dans la première phase, car tout changement suscite des résistances dans un premier temps. » En outre, le passage d’une base brute à une base nette risque de coûter cher aux agences média. Jusqu’à présent, les surcommissions, en plus des commissions, ne sont pas entrées dans le débat. Mais elles ont aussi leur importance. « Imaginez qu’une agence soit indemnisée sur base d’un pourcentage de 2,5% sur un budget brut de 1.000.000 euros, » calcule Dominique De Ville. « Sur cette base, elle a droit à 25.000 euros. Mais sans la commission d’agence de 15%, le budget de 1.000.000 euros passe à 850.000 euros net. Proportionnellement, l’indemnisation de l’agence passe de 25.000 à 21.250 euros. L’agence perd donc 3.750 euros sur un budget de 1.000.000 euros. Cela dit, je suis optimiste ici aussi. Les annonceurs négocient en interne toujours au niveau le plus élevé pour obtenir le meilleur budget possible. Même sans la ristourne de la commission d’agence, ils peuvent viser le même budget : 1.000.000 euros. » À condition, évidemment, que tout le monde supprime les commissions.
La suppression des traditionnelles commissions doit « dans tous les cas » se dérouler petit à petit, selon Dominique De Ville. « Cela va demander de gros efforts et ne se déroulera pas sans anicroche, » conclut-elle. « C’est une tradition vraiment bien ancrée. Et un tel changement nécessite de toute façon une période d’adaptation. Le plus grand danger serait d’avoir deux systèmes en parallèle. Or, il est peu probable que tout le monde puisse s’adapter à une suppression dès le 1er janvier 2016. »

Vers davantage de transparence ?

Tout comme Dominique De Ville, Chris Van Roey dit s’exprimer en son nom propre – et non en tant que CEO de l’Union Belge des Annonceurs (UBA). Ses explications ont l’avantage d’être limpides : « Ce n’est intelligent pour personne de maintenir le système de commissions, » affirme-t-il. « Ce système signifie que le chiffre d’affaire est basé sur les pourcentages d’un tiers. Je constate en outre qu’en Belgique, la différence entre les tarifs brut et net est de moins en moins importante et est même en passe de disparaître. » Comme argument supplémentaire, Chris Van Roey mentionne que le système de commission a été supprimé en France en 1993 et aux Etats-Unis en… 1956. « Cela fera 60 ans l’année prochaine, » souligne-t-il. « Je ne le sais malheureusement que trop bien car 1956 est aussi l’année de ma naissance ! » Chris Van Roey, tout comme Ben Jansen, voit surtout dans cette transition une opportunité. Il aimerait que, dans tous les cas, la commission d’agence soit supprimée au 1er janvier 2016. Cela devrait laisser sept mois aux agences média pour opérer la transition, observe-t-il. « Je ne comprends pas que les agences n’aient pas assez de sept mois pour adapter leurs systèmes. Pour moi, ce n’est pas un argument valable. Mais, à nouveau, la question n’est pas de savoir si cela se fera dans sept, douze ou dix-huit mois. Il s’agit surtout de se défaire d’une pratique désuète. Quoi qu’il en soit, la balle est dans le camp des médias. »

Totalement contre

Christian Kevers - Mediacom Belgium

Christian Kevers - Mediacom Belgium


Christian Kevers, managing director de MediaCom Belgium, ne voit pas l’utilité de ce changement. « Je pourrais défendre cette suppression si elle était justifiée, » dit-il. « Mais les arguments actuels ne me convainquent pas. Certains brandissent la transparence comme argument. C’est complètement ridicule. S’il y a bien quelque chose de transparent, c’est les commissions. Par dessus le marché, une suppression ne mènerait pas à davantage de transparence, mais bien à davantage de complexité si toutes les régies ne font pas la transition. » Selon Christian Kevers, la digitalisation n’est pas non plus un bon argument. « Les entreprises digitales, telles que Youtube, travaillent effectivement sans commission. Mais en quoi est-ce que cela devrait pousser les médias traditionnels à leur emboîter le pas ? » Conclusion : « Je suis tout à fait contre, car la suppression n’est pas du tout justifiée. »

 

Oui à la transparence

Marc Frederix - Loterie Nationale

Marc Frederix - Loterie Nationale


Marc Frederix, directeur marketing, sponsoring et communication extérieure de la Loterie Nationale adopte une position diplomatique sur la suppression des commissions d’agence : « Je suis prêt à suivre le mouvement si les agences sont prêtes à faire la transitions et que les annonceurs sont prêts à payer le prix que cela implique, » précise-t-il. « Nombreux sont ceux – principalement des acteurs digitaux et internationaux – qui ont déjà supprimé la commission. D’autres, plus locaux et traditionnels, l’utilisent encore et toujours. Cela donne lieu à une situation obscure. Dans un marché sous pression et en constante évolution, la transparence profite pourtant à tout le monde. Il faut comparer les pommes avec les pommes et les poires avec les poires. »

Plutôt partant

Thierry Van Zeebroeck - VAR

Thierry Van Zeebroeck - VAR


Thierry Van Zeebroeck, CEO de VAR adhère à la proposition de Ben Jansen : « Je ne peux pas me permettre de ne pas suivre Medialaan, » souligne-t-il. « D’autant qu’il serait bon d’aligner nos tarifs. Ma réaction initiale est donc positive. Un autre argument serait que si un acteur ne suit pas le mouvement, cela rendrait le marché encore plus difficile. » En d’autres termes, il est dans l’intérêt de la VAR d’avoir des tarifs comparables à ceux de Medialaan Radio. C’est bon pour le média radiophonique de façon générale, mais potentiellement encore plus pour la VAR. « Enfin, une suppression de la commission d’agence serait bénéfique pour la perception des tarifs, » conclut Thierry Van Zeebroeck. « On ferait d’une pierre deux coups : le système de rémunération serait revu et les contrats seraient examinés de près. Comme disait Nelson Mandela : ‘Il n’est jamais trop tard pour bien faire.’ »