Distributeurs et marques: dialogue sous tension

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Retail / A la veille des négociations sur les prix

Si la tension entre les distributeurs et les marques est palpable, chacun affirme qu'un partenariat est encore possible. Indispensable même.  Aux marques de faire preuve de souplesse, d'innovation et de ce petit supplément d'âme qui font que leurs produits garderont leur place en rayon. Certains responsables de marques acceptent de partager leurs impressions alors que les distributeurs contactés restent plus qu'évasifs.
·        Pour les marques: la guerre des prix concerne les distributeurs
·        L'innovation est indispensable pour dynamiser les catégories
·        Le rayon optimal pour le distributeur est celui qui présente le bon mix entre les marques distributeur et les marques nationales

Parlez-moi des relations entre les marques et les distributeurs…. Le moment semble fort mal choisi. Alors que l'actualité des distributeurs est plus que mouvementée et que les négociations sur les prix commencent, on préfère jouer la prudence des deux côtés de la table. Il faut dire que la pression sur les prix est très forte et  que la tension entre les partenaires est palpable. Renforcée encore par la crise qui touche de plus en plus le consommateur et par l’arrivée d’Albert Heijn.
Eric Dumez, General Manager chez Henkel, commence par évoquer la question des prix: «Compte tenu de l’inflation globale, les prix de nos produits sont tirés à la hausse. Et, bien que nous soyons très conscients de l’importance du prix aux yeux du consommateur, nous devons suivre cette tendance. La tâche du distributeur est évidemment de remettre les prix en question. A nous de voir comment nous pouvons maintenir l’équilibre entre des prix planchers d’un côté et notre volonté de maintenir l’entreprise saine, capable d’investir dans l’innovation et la durabilité. » Même son de cloche chez Alken-Maes: « La guerre des prix est une bataille que les distributeurs se livrent entre eux et qui a pour conséquence de mettre leurs marges sous tension, » explique Philippe Noël, Sales Director Off Trade chez Alken-Maes.  «Nous n’en sommes pas responsables. Le prix de nos produits sont à la hausse parce que les coûts du personnel, de l'énergie, des matières premières augmentent. Le problème est que les distributeurs n'ont pas répercuté ces augmentations sur le client final en 2012. Alors évidemment leurs marges en pâtissent. Nous devons revenir à quelque chose de plus rationnel dans la discussion.»
L'arrivée de l'enseigne Albert Heijn rajoute, si besoin est, de l'huile sur le feu. Le distributeur néerlandais à la possibilité de s'approvisionner sur le marché néerlandais où les prix sont moins élevés. Une situation avantageuse à laquelle les Delhaize, Carrefour et Colruyt devront trouver la parade. Tout bénéfice pour le consommateur sans doute mais les marques et les distributeurs sont-ils capables de descendre plus bas? Roel van der Landen, Project manager sales team de l'agence HighCo pense que oui. «Les marques et les distributeurs affirment qu'ils n'ont quasi plus de marges. Qu'ils ont atteint le niveau plancher. C'est un argument auquel on peut adhérer ou qu'on peut mettre en doute. Le problème est qu'il y a toujours une partie de la comptabilité des marques à laquelle le public n'a pas accès.» Le spécialiste du secteur ajoute: «L'arrivée de ce nouvel acteur dans le secteur de la distribution ne va sans doute pas faciliter le travail des marques qui ont déjà toutes les difficultés à gérer leurs relations avec lestroisgrands distributeurs en place.»

Marque distributeur, qualité propre
Il est loin le temps des produits blancs qu’on trouvait tout en bas des rayons. Aujourd’hui les marques distributeur proposent une qualité comparable à celle des marques nationales. Ils investissent dans quasi toutes les catégories et peuvent même proposer des produits niche en négociant avec des petits producteurs tout contents d’accéder de la sorte aux rayons de la grande distribution, fût-ce sous un private label. «Il est d'ailleurs remarquable de voir à quel point les distributeurs investissent dans leurs propres marques,» ajoute Roel van der Landen. «Ils font un réel effort marketing pour les positionner comme des marques à part entière.»
Du coup, les places en linéaire sont chères, même pour les grandes marques. Eric Dumez: « L’espace n’est malheureusement pas extensible alors chacun doit faire des concessions. Il faut cependant que l’assortiment du distributeur corresponde à ce que le consommateur cherche. Les supermarchés ne peuvent pas le décevoir. Pour garder sa place, la marque doit montrer qu'elle représente une nouvelle proposition. Elle doit prouver qu'elle travaille sans cesse au déploiement de la catégorie, qu'elle la fait vivre et évoluer. Partant de là, le sales management consiste à évaluer le potentiel d’un produit et en fonction de cette estimation, d’investir en relation en communication et publicité. Notre but: faire en sorte que les consommateurs cherchent nos produits pour que nos clients continuent à investir dans nos produits.»

Impossible collaboration?
Dans ce contexte, on imagine aisément que les marges de manoeuvre des marques sont réduites. Le patron de Henkel Benelux confirme: « Tout n’est pas possible évidemment. Mais cela ne nous empêche pas de mettre l’accent sur nos priorités et nos objectifs. Nous voulons arriver avec une solution claire pour les consommateurs. Nous savons ce que nous voulons faire, pour quels produits et dans quel timing. Par rapport à ces objectifs, il est crucial d’être présent dans toutes les enseignes relevantes. Sans quoi, nos objectifs sont difficiles à atteindre. Dans le secteur du Beauty Care dont je suis responsable au sein de Henkel, on remarque que les consommateurs restent attachés aux marques nationales. Mais, s’ils ne trouvent pas leur produit de prédilection, il préfère prendre une alternative d'une autre marque plutôt que de se rendre dans un autre magasin. »
Philippe Noël ajoute: « Heureusement qu’un partenariat avec les distributeurs est encore possible. Nous y travaillons tous les jours de l’année et bien en amont des négociations. Comment? Nous parlons avec les distributeurs, nous écoutons leurs stratégies, leurs objectifs et puis nous alignons les nôtres à cela. De cette façon, nous pouvons avancer ensemble. Pour Alken-Maes, qui est challenger dans sa catégorie, il est indispensable de travailler avec les distributeurs. Nous travaillons pour l’intérêt commun: notre business plan va dans le sens d’une croissance des résultats de nos produits, de notre catégorie et des distributeurs. Notre clé d’entrée? Bien comprendre le positionnement de la catégorie chez chaque distributeur. En croisant les objectifs des distributeurs aux nôtres, nous sommes en mesure d’offrir le meilleur possible à chacun. »

Innovation, différenciation et valeur ajoutée
Les fabricants restent convaincus qu'ils ont différentes choses à apporter aux distributeurs. L'innovation en tête. Cette innovation sur le produit, le packaging, l'utilisation, sur les questions environnementales et de durabilité aussi est le vecteur majeur de dynamisation de la catégorie. C’est la clé de la survie des marques. Eric Dumez: « Notre rôle en tant que fabricant est de dynamiser la catégorie en apportant des nouveautés  fréquentes et en mettant sur pied des actions sur le point de vente avec du matériel, des démonstrations…. Si le distributeur regarde surtout ses marges, nous devons trouver le bon équilibre entre les discounts accordés d'une part et la sauvegarde de nos marges, indispensables pour continuer à investir dans l’innovation, la publicité, la communication de façon générale ».
Innover dans sa gamme n'est cependant pas sans coût ni sans risque. Même si elles mettent volontiers l'accent sur leur mission d'innovation, les marques y regardent à deux fois. C'est en tout cas l'impression de Roel van der Landen: «Les marques sont forcément prudentes dans leurs investissements par rapport aux nouveautés parce qu'elles savent qu'il ne faudra passixmois aux private label pour copier une nouveauté qui fonctionne bien. C'est pourquoi, à mon sens les marques cherchent d'autres moyens pour rester indispensables chez les distributeurs. Ces moyens sont l'amélioration de la productivité, de la rentabilité d'un produit ou d'une marque. Il n'est pas rare par exemple que les marques proposent de prendre en charge la mise en rayon, les commandes, les reprises des retours, etc... Une façon de diminuer les coûts pour le distributeur et de s'assurer aussi de la qualité de la présentation en rayon.»
Les distributeurs sont aussi particulièrement friands de différenciation. À tous les niveaux. «Au niveau de l’assortiment avec des avant-premières ou des exclusivités,» détaille Philippe Noël. «Au niveau des promotions aussi: les distributeurs ne veulent pas offrir le même discount que les autres, pas en même temps. Ils veulent des actions spécifiques, liées à des événements spéciaux, comme les Jeux Olympiques par exemple. Enfin, ils veulent se différencier aussi en proposant un rayon différent, un rayon accueillant, bien rangé, bien chargé, … Un aspect dans lequel les rayons bière ont encore du travail… » Le principe de l'exclusivité est utilisé pour des plus petites marques comme une façon de mettre le pied dans la porte. «Dans la plupart des catégories, on retrouvetroistypes de gammes: la gamme du distributeur, celle d'une grande marque et les produits d'une marque challenger. Celle-ci peut être amenée à concéder l'exclusivité afin de se garantir l'accès à au moins un des distributeurs. Cette clause d'exclusivité a l'avantage de différencier l'assortiment du distributeur sur des produits dont on ne pourra, en outre, pas comparer les prix,»explique Roel van der Landen.
Spécialistes dans leur domaine, les marques veulent par ailleurs jouer la carte de la valeur ajoutée: « En tant que fabricants, nous sommes experts dans la catégorie.» explique Eric Dumez. « De vrais spécialistes,contrairement aux distributeurs qui doivent couvrir un très large spectre de catégories. Nous pouvons dès lors apporter des conseils avisés, avec une vraie valeur ajoutée sur les produits, les attentes du shopper, etc. » Avec une chance de retenir l’attention du distributeur? « Dans la catégorie Beauty Care par exemple, il y acinqgrands acteurs. Evidemment tout le monde parle pour sa boutique. D’où l’importance d’avoir une relation étroite avec les distributeurs. Une relation construite sur le professionnalisme et l’engagement. Une relation qui vise le long terme. »

«Tous dans le même bateau»

Thierry Van der Haeghen, président du BABM, (Belgilux Association of Branded products Manufacturers) l'association qui défend les intérêts des marques, prône le juste équilibre.

Le partenariat entre les marques et les distributeurs est-il encore possible?
Thierry Van der Haeghen: «Oui, bien sûr. Parce que les marques, porteuses d’innovation, sont un facteur essentiel de trafic pour les distributeurs. Les marques nationales jouent un rôle important dans le domaine de la recherche et développement. En Belgique, le consommateur est particulièrement gâté en termes d’assortiment, de qualité produit, de confort et plaisir dans les magasins. Le consommateur a l’habitude de ces standards élevés et il n’est pas prêt à revenir en arrière à ce niveau-là. Distributeurs et marques doivent dès lors travailler ensemble pour proposer une offre calibrée. »

Entre les distributeurs et les fabricants, c'est la guerre?
Thierry Van der Haeghen: «Il ne s’agit pas de cela. Distributeurs et marques sont dans le même bateau et la crise économique rend la mer houleuse. Tant que le commerce existera, il y aura une collaboration entre les deux secteurs. Des études menées par GFK ont montré que le rayon optimal en termes de résultats pour le distributeur est celui qui propose un bon mix entre les marques nationales et les marques distributeur. Le consommateur attend une présence équilibrée des deux types de produits dans des proportions qui varient en fonction de la catégorie et du distributeur en question. »

La relation s’est toutefois compliquée depuis que les distributeurs sont devenus aussi des marques...
Thierry Van der Haeghen: «C’est vrai et c’est un aspect qui interpelle les autorités concernées par la concurrence. Il est en effet compliqué pour le fabricant de mettre sur pied des stratégies conjointes avec son client tout en sachant que le distributeur proposent des produits concurrents dans la même catégorie. Pour éviter le problème, certaines marques, comme Nespresso, ont leur propre réseau. On peut aussi imaginer d’autres voies de distribution grâce à l'e-commerce. Voyez par exemple l’évolution d’Amazon. Librairie en ligne à l'origine, ce site propose aujourd'hui une très large gamme de produits, pas encore d'alimentaires mais on peut imaginer des solutions de ce type pour ce segment aussi. »
Demain, dans ton magasin

Selon Roel van der Landen de HighCo, le shopping de demain, ce sera:

Plus d’auto-achat. Le self-scanning est un des exemples. Le client aime le contrôle. Celui des prix des prix notamment.
Plus de facilité d’utilisation des produits. Aux marques de pousser l’innovation dans ce domaine.
Plus de rapidité. Avec les applications mobiles notamment. Demain, les clients feront de plus en plus appel aux enseignes pour remplir leur caddie. Le système des droppoint est en pleine progression et est appelé à se développer.
Plus de connaissance du client. Qui passe sans doute par encore plus de sophistication dans le traitement des cartes de fidélités et des tickets de caisse.
Plus de personnalisation dans la communication et dans les offres.L' E-couponing sert à ça.
Plus d’informations pour le client avec la généralisation du QR code.