Emmanuel Tourpe : « Je veux être un pont »

Ce n’est pas le patron du pôle audiovisuel du groupe IPM que vous retrouverez ci-dessous, mais le philosophe et l’auteur. Emmanuel Tourpe a à son actif une dizaine d’ouvrages et c’est pour le dernier d’une trilogie que nous l’avons rencontré : « Un temps pour rêver & Un temps pour agir ». Une alchimie dont les ingrédients sont la philosophie, qui l’habite et qu’il enseigne, et la communication qu’il exerce depuis des années à travers des médias comme la RTBF, Arte, LN24 ... Personnage éclectique, notre homme ne se projette pas pour autant dans l’avenir. « Demain est une page blanche. Tant que je me plais, je reste et quand ce ne sera plus le cas j’irai voir ailleurs... » 

Être patron de médias et philosophe sont deux activités pour le moins différentes. Comment expliquer ce grand écart ?

Le premier volume de ma trilogie s’intitule « Un temps pour penser, Un temps pour parler ». Cela répond parfaitement à votre question. Le temps pour penser aborde l’aspect philosophique. Ne pas être totalement dans le flux des choses et se mettre au balcon du monde. Pensons. De l’autre côté, le penseur qui est tout seul dans son coin et est incapable de communiquer ne sert à rien. C’est ce qui anime ma vie. J’ai ouvert une conférence récemment à l’université en disant aux étudiants : fuyez l’université ! C’était une hyperbole. L’idée était de leur dire : fuyez une certaine université, celle où des chercheurs parlent à des chercheurs, celle où on écrit des ouvrages lus par trois personnes.  Il y a une dichotomie entre un monde de la communication qui ne pense pas - je fais référence aux années folles où la pub et le marketing servaient uniquement à plaire - et le monde de la pensée qui investit très peu en communication. Je veux pour ma part être un pont entre des médias qui font la course en tête et ne prennent pas le temps de se poser. On assiste à une course à l’actualité qui ne prend pas le temps de la pensée et de l’analyse. Je dis toujours que LN24 n’est pas une chaîne d’actu mais une chaîne d’informations. De l’autre côté, il y a un monde de l’université qui sait mais qui est isolé de la vie réelle. Il y a aujourd’hui une guerre, un incendie dans le monde qui est le wokisme. C’est une idéologie qui fait qu’il n’y a plus de lien entre nous. C’est une mémoire blessée. Il n’y aurait plus que des victimes et surtout il y aurait des groupuscules, des individus qui revendiqueraient pour eux-mêmes la totalité de l’attention. Pourquoi n’entend-t-on pas les philosophes s’exprimer sur ces questions ? Pourquoi laissent-ils une minorité ultra active profiter du silence de la majorité !?  Pourquoi l’université ne tient pas son rôle de gardienne, de phare ? Il y a un abîme entre la frontière de la communication et celle de la pensée. Je veux modestement rassembler ces deux univers. Je suis du côté d ‘Hugo Décrypte’ et non de celui d' Hanouna. Donnons du sens à ce que nous faisons... 

Croyez-vous encore à l’avenir des médias constructifs après avoir brossé un tel tableau ? 

Ma vision du monde est extrêmement simple. Il n’y a pas de pessimisme ou d’optimisme. Il y a des gens qui agissent et d’autres qui n’agissent pas. Je suis intimement persuadé que la solution réside dans l’action. Que l’avenir est dans les médias qui donnent encore des jalons pour construire un avenir meilleur, qui construisent des lieux de guérison de la mémoire, qui construisent de l’égalité plutôt que des guerres ! Arrêtons ces guerres des sexes, des races, des identités. Il faut donner aux gens la possibilité de réfléchir. Sur les réseaux sociaux, les arguments sont inaudibles. Ce sont les réseaux de la colère. Il n’y a plus d’écoute réciproque. On est incapable de mettre au cœur du débat l’amour réciproque. Les médias doivent mettre au centre de leur action la possibilité pour les gens de s’entendre, de se parler et de créer de la bonne fois. Il faut apprendre à la société à recréer du lien. Et dans toutes les langues du monde, ça s’appelle de l’amour.

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