A coups de Mortier

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Guy Mortier parle pub, Jens Mortier média et magazines. Où l’inverse?

Pour ce premier épisode des feuilletons familiaux, nous sortons directement l’artillerie lourde. Guy, le père, et Jens Mortier, le fils, parlent volontiers de ce qu’ils partagent: le courage et l’amour de la langue et de la créativité, leur passion pour la publicité et les médias et aussi, mais oui, leur passion pour le footsquash.

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Père et fils ne se ressemblent même pas. Jens Mortier a le crâne proprement rasé, Guy Mortier porte la moustache et les cheveux en pétard. Mais ils ont, sans aucun doute, bien d'autres choses en commun. Ils ne donnent presque jamais d'interview ensemble. Mais ils ont volontiers accepté de jouer le jeu pour ce premier numéro du nouveau PUB. Je dois dire que je me rappellerai toujours de cet entretien, comme un des meilleurs que j'ai réalisé. L’humour, le jeu et la maîtrise de la langue étaient bien présents, et ce n'est rien de le dire ! Je dois avouer que nous ne sommes pas convaincus que Jens Mortier ait inventé le footsquash... Mais cette interview exclusive offre surtout une masse d’analyses et opinions sensées. Bonne lecture!

 

 

Feu!

La créativité et la maîtrise de la langue font-ils partie de l’ADN de votre famille?

Guy Mortier (du coup, il prend un air hésitant): « Je ne peux pas vous dire d’où cela vient. L’ADN sera difficile à tracer dans ce cas-ci. »

Jens Mortier: « Effectivement, difficile à dire. »

Guy Mortier: « Mais il faut dire que Stijn Streuvels était mon oncle. »

Je me suis presque fait prendre au piège.

Guy Mortier: « Nous lisions tous beaucoup à la maison. Toutes les semaines, nous allions à la bibliothèque. En plus, la radio tournait non-stop, branchée surtout sur les postes hollandais. Il faut dire que le niveau de langage à la radio hollandaise était bien différent de celui de l'INR (aujourd’hui la VRT, n.d.l.r.). La langue y est plus élégante, plus spontanée et plus riche selon moi. Mais surtout le ‘Noord-Nederlands’, parlé par les grandes personnalités hollandaises dans les pièces radiophoniques, me fascinait. Il y a eu des moments où je parlais avec l’accent de La Haye ou de Rotterdam, tellement je les admirais. »

Jens, dans tes interviews, tu dis souvent que la langue était très importante dans ta famille.

Jens Mortier: « Absolument. Nous aimions le beau et bien parlé, la meilleure musique, les séries les plus drôles. Nous avons été bien éduqués sur ce plan. Mais ce n'était pas sans contrainte... »

Guy Mortier: « ...au fouet... »

Jens Mortier: « ...qu’on nous inculquait tout cela. Ceci dit, aujourd’hui, j’en suis plus que content. Nous recevions également de nombreux virtuoses de la langue à la maison. Ce sont des choses qui vous restent toute votre vie. »

Il me semble que l’humour est très important pour vous deux. Et le culot.

Guy Mortier: « Que de questions difficiles pour une toute nouvelle rubrique! La tradition familiale voulait que, les dimanches soirs, nous nous réunissions tous autour de la VPRO (la radio libérale protestante hollandaise, n.d.l.r.), d'excellents moments grâce à l’humour de Koot en Bie, Wim T. Schippers, Theo et Thea, Jiskefet, etc. De l’humour avec du culot, oui, on pourrait appeler cela comme ça. »

Jens, il me semble que c’est ce que tu admires chez ton père.

Jens Mortier: « Je m'en suis seulement rendu compte quand j’ai atterri accidentellement dans la pub. Beaucoup d’annonceurs se laissent guider par la peur. »

Guy Mortier: « J’avais déjà pu constater, au travers de ses lettres entre autres, que Jens avait une bonne plume. Bien écrire, ce n’est pas facile (il me regarde) mais ce n’est pas à toi que je dois expliquer cela. Je n’ai jamais dit à Jens qu’il devait devenir journaliste ; on veut simplement le meilleur pour nos enfants. Mais je n’étais pas surpris qu’il soit capable de créer de belles campagnes. »

Jens Mortier: « Je n’ai rien fait qui demandait de bien manier la langue, jusqu’au moment où je me suis retrouvé dans la publicité, à vingt-sept ans. Tiens, à quoi m'avait servi cette qualité avant ? Je l’utilisais surtout avec les femmes. J’écrivais de temps en temps une gentille petite lettre pour me faire pardonner. Bien s’exprimer, ça aide toujours dans ces cas-là ! »

Vos CVs sont très différents. Guy, tu travaillais déjà chez Humo tout en poursuivant tes études en philologie germanique.

Guy Mortier: « Exact. Du coup, j’ai terminé mes études avec deux ans de retard – mais les gens ne doivent pas le savoir. En septembre 1960, j’ai commencé mes études de germaniste à Louvain. Au mois de mai de l’année suivante, j’ai eu l'occasion de faire de la radio, l’année d’après je rentrais chez Humo. »errr

Jens, tu as entamé ta carrière beaucoup plus tard.

Jens Mortier: « J’ai passé beaucoup de temps à chercher. »

Guy Mortier: « Un jour, tu as même inventé un nouveau sport. »

Jens Mortier: « C’est vrai, oui : le footsquash. »

Guy Mortier: « En somme, t’aurais dû commercialiser cela. L’idée était excellente. »

 

Heu, c’est quoi le footsquash ?

Jens Mortier: « Jouer au foot dans une salle de squash, donc avec un ballon de foot, mais en suivant les règles du squash. Et en duo, pas à onze. »

Guy Mortier: « En fait, je m’y opposais un peu, ou en tous cas, je ne l’y ai pas encouragé. J’étais d’avis qu’il devait d’abord encore un peu étudier. Mais le footsquash reste toujours une bonne idée. Plus tard, j’ai même encore vu apparaître des versions internationales. (Vite:) Nous l’avons quand-même fait breveter! »

Jens Mortier: « L’idée nous est venue entre amis au club de squash. Mais nous étions trop fainéants et nonchalants pour aller plus loin. Bon, cela nous fait quand-même un bon plan B, au cas où la publicité ne marcherait plus. »

 

Die ochtend in de nieuwe PUB...

Humo a toujours été le trait d’union entre vous deux. Jens, ça a même été ton job de placarder des affiches pour Humo.

Jens Mortier: « C’est vrai. Quoi qu’il en soit, j’ai toujours eu beaucoup d'estime pour ce qu’a fait mon père. Le lundi soir, nous nous battions pour lire le Humo en premier. Parfois, j’avais même l’impression que mon père me faisait passer des messages via Humo. »

Guy Mortier: « J’y ai consacré des séries entières,oui, sinon cela n'aurait pas eu d'effet. »

Jens, est-ce vrai qu’Humo était le premier client de Mortierbrigade ?

Jens Mortier: « Un des premiers, oui. Mais, même avant, je faisais déjà des campagnes pour Humo chez Duval Guillaume. »

Est-ce important de construire une image de marque pour un magazine comme Humo ?

Jens Mortier: « Très important. Heureusement, Guy est un marketeer super doué, même sans s’en rendre compte. Le magazine était le premier à utiliser les 'line extensions'. »

Guy Mortier: « Construire l’image du magazine ne se faisait pas consciemment, nous nous concentrions sur le magazine Humo. C'était là où était toute mon attention. Et comme nous avions à peine un département de marketing et pas du tout de budget pour la promo, j’essayais de faire au mieux à travers de ce que, aujourd’hui, on appelle ‘une approche multimédias’. »

Jens Mortier: « En tous cas, Guy resentait très bien la marque. Aujourd’hui, tous nos clients sont à la recherche de choses qu’Humo a en fait toujours faites : du bon sponsoring et des line extensions, une connexion avec les jeunes. Les marques veulent des fans. »

L’indépendance est une valeur de base chez Humo, qui semble également être présente dans vos caractères.

Jens Mortier: « C’est un très grand luxe de pouvoir décider soi-même de ce qu’on veut faire. »

Guy Mortier: « Il faut se battre pour un pareil luxe. Même pour un homme ou une femme travaillant dans la pub, il est important de ne jamais se rabaisser. Je suis content qu’on m’ait demandé de devenir rédacteur en chef.  Et s’ils ne m’avaient pas demandé, cela se serait probablement fait un an plus tard. » (Il rit.)

Jens Mortier: « Ils te laissaient faire car Humo était la vache à lait de la maison d’édition. Personnellement, j’ai connu de très beaux moments chez Duval Guillaume parce que dans le temps, c'était une agence très indépendant. Mais quand elle a été mise en vente, je ne m’y retrouvais malheureusement plus. Je ne me voyais vraiment pas travailler pour un grand consortium comme Publicis. Nous avions nos propres idées sur le métier et c’est pour cette raison qu’avec quelques partenaires, nous avons lancé Mortierbrigade. Et cela fait dix ans que c’est une agence indépendante. »

Guy, que penses-tu du travail de Jens ?

Guy Mortier: « Excellent. J’admire la déontologie et le sens de la qualité de Mortierbrigade. A long terme, cela rapporte de viser haut. »

Jens Mortier: « Pour nous, le contenu a toujours été plus important que les sous. Si le contenu est bon, les sous suivent d’office. »

Que penses-tu du niveau de la publicité belge ?

Jens Mortier: « Le monde de la publicité à fortement évolué, dans le bon sens. Duval Guillaume a changé le secteur. Et puis, on a vu la naissance de toute une flopée d’agences indépendantes. Ensuite, l’avènement du numérique a complètement transformé le monde de la pub. Mais la qualité, la créativité et les bonnes idées se trouvent encore toujours en haut de la liste. Même dans un monde digital, indépendant du support. »

Guy Mortier: « Il faut quand-même avoir des clients qui partagent ce point de vue. Heureusement le monde publicitaire belge a fait de un grand pas en avant à ce niveau. Avec quelques faux-pas aussi, c’est vrai. Je ne sais pas si le secteur va bien aujourd’hui. Il y a peu de campagnes qui sortent du lot. Il y a toujours beaucoup de clichés, malheureusement. Certaines agences sont d'ailleurs spécialisées dans les clichés. »

Jens Mortier: « 'Nous produisons ce que vous nous demandez' et ce, sans aucune valeur ajoutée du point de vue de la stratégie, de la création et de la production.' Abominable. Certaines agences permettent aux clients d’adapter les campagnes d'une façon telle qu’elles deviennent horribles. »

Guy Mortier: « Bon, il est possible que pour certaines personnes, la publicité à clichés marche, quelle que soit sa qualité. Il suffit de regarder les pubs pour les poudres à lessiver. Ennuyeux et interchangeable, mais si on continue à les produire, je suppose que cela marche pour eux. »

Jens Mortier: « Pour le même budget, une bonne idée peut produire beaucoup plus de résultats. Parfois, on dit que toute pub est une bonne pub, mais je ne suis pas du tout d’accord. »

L’humour dans la pub est important pour vous.

Guy Mortier: « Essentiel même. C’est ce qu’on a toujours fait pour Humo. C’était le point de départ. »

Jens Mortier: « Et ce n’était pas toujours simple pour l’agence. Humo clôturait le vendredi. C’est à ce moment qu’on nous donnait les sujets à traiter, ce qui fait que le travail se faisait durant le week-end et toute la journée du lundi, jusqu’à la dernière seconde, pour passer sur les ondes dès le mardi matin. »

Guy Mortier: « Heureusement que le perfectionnisme est amusant. »

Et que pensez-vous du niveau des médias belges ?

Jens Mortier: « L’approche n’est pas souvent des plus originales et le contenu n’est pas beaucoup mieux. »

Guy Mortier: « Il faut dire que tout est devenu beaucoup plus difficile. »

Jens Mortier: « Et cette attention démesurée que portent tous les médias au même 'sujet du jour' n’aide pas non plus. »

Guy Mortier: « Tout le monde exploite toujours le même sujet au maximum, jusqu'à l'overdose, puis passe très vite au suivant. »

Jens Mortier: « En effet, tout est plus difficile aujourd’hui. Nous sommes tous les deux des utilisateurs avides de tous les nouveaux médias. On se rend compte de la quantité d’informations par laquelle on est bombardé ; le pouvoir de ta publication en tant que marque devient très important. »

Guy Mortier: « Mais l’exclusivité n’existe plus. Nous nous rendons tous la vie très difficile avec les versions numériques. Les médias se plument entre eux. On trouve de plus en plus la même information simultanément dans tous les médias. Mais les meilleurs sortent toujours du lot. »

Pour finir 

Outre votre amour pour le footsquash, partagez-vous encore d’autres passions ?

Jens Mortier: « L’amour des bonnes séries. »

Guy Mortier : « Et des bons films. Et du bon foot. »

Jens Mortier: « Et l’amour du bon vin. »

Guy, que souhaites-tu encore à ton fils ?

Guy Mortier: « Une longue et heureuse vie. Beaucoup d’inspiration et de satisfaction dans son boulot. Qu’il ne lui arrive pas de malheurs – car on ne contrôle toujours pas tout. »

Jens Mortier: « Je souhaite à ma mère et mon père encore une longue et heureuse vie. Au moins aussi longue l’un que l’autre! »

Guy Mortier (à moi): « Et à toi, je te souhaite également une longue et heureuse vie car je ne veux pas voir de visages tristes autour de nous. Et la même chose pour le photographe, naturellement. »

Messieurs, merci!

Seger Bruninx