{Interview} Banana Split... des films et aussi un livre

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La vie de Jean-Luc Van Damme a été marquée par des événements passionnants et des expériences mouvementées. Producteur de plus de cinq cents films publicitaires et d’une cinquantaine de courts et longs métrages, il a côtoyé de grands artistes tels que Jean-Jacques Goldman, Sharon Stone, France Gall ou encore Johnny Hallyday. Manuel Verlange, auteur, raconte cette vie passionnante dans son livre "Banana Split", une biographie de Jean-Luc Van Damme, un aventurier passionné de musique, d'images et de rencontres enrichissantes. Et pour ceux qui ne le sauraient pas : Banana Split était le nom de la plus grande maison de production de films publicitaires de Belgique! À l’occasion de la sortie du livre, nous avons traversé la vie de Jean-Luc Van Damme afin qu’il partager avec nous ses secrets, sa carrière et ses rencontres marquantes.

Vous avez produit plus de cinq cents films publicitaires et une cinquantaine de courts et longs métrages, ça laisse nécessairement des traces…

Jean-Luc Van Damme : En 1990, j'ai été chargé de réaliser une campagne publicitaire pour les nouvelles voitures Mazda en Belgique. Le délai était très court, car la publicité devait être prête pour octobre en vue du Salon de l'auto qui avait lieu en janvier. Les voitures, quant à elles, arrivaient seulement en septembre au port d'Anvers. Le plus simple était donc de nous rendre à Hiroshima, au Japon, où les voitures étaient construites, pour tourner la publicité. À l'époque, il n'y avait pas encore d'Internet pour obtenir des informations, donc nous avons cherché un producteur local qui nous aiderait une fois au Japon. Lorsque nous avons expliqué notre intention d'aller à Hiroshima, le producteur japonais a été surpris et nous a déconseillé de nous y rendre, considérant la ville comme « un village, une petite ville » ne présentant pas beaucoup d'intérêt. Cependant, l’usine avec les voitures était là-bas et nous avons insisté pour nous y rendre. Une fois arrivés, nous avons rencontré des difficultés, car les responsables japonais étaient très stricts et ne voulaient pas que l’on tourne la publicité dans l'usine, notamment parce que les prototypes de voitures étaient présents. Les Japonais nous ont expliqué qu'il faudrait attendre que les voitures arrivent en Europe pour tourner la publicité. Finalement, après avoir insisté plusieurs jours, nous avons obtenu un petit studio dans l’usine et avons pu tourner le spot en utilisant les voitures qui nous étaient fournies au fur et à mesure. J’ai vraiment été surpris par les différences culturelles entre la Belgique et le Japon et par les difficultés rencontrées.

J’ai aussi vécu un autre tournage très déplaisant lors de la préparation d'une énorme campagne publicitaire pour une agence de Chicago. J’ai reçu un appel en pleine nuit m'informant que le directeur de création arriverait à l'aéroport de Zaventem à 7 heures et que je devais aller le chercher. Le comportement des membres de l'équipe créative de Chicago n'a pas cessé de poser problème. Ils étaient très exigeants et n'aimaient rien de ce qui leur était proposé. Nous avons été contraints de leur trouver un autre hôtel en raison de leur insatisfaction avec celui proposé. Après seulement trois jours, ils ont renvoyé la maquilleuse et la styliste, rendant la situation encore plus difficile pour moi, qui ne pouvait plus supporter leur attitude désagréable. J'ai finalement décidé de ne plus me rendre au tournage. Je ne pouvais plus travailler avec eux. Le problème c’est que j'ai craint de ne pas être payé pour les services rendus. Les relations se sont donc détériorées jusqu'à une confrontation musclée au moment du paiement, avec la cassette de la campagne publicitaire en jeu. C’était « donne-moi la cassette et je te paie, paie-moi et je te donne la cassette ».

Qu'est-ce qui vous a motivé à vous concentrer sur la production de longs métrages en 2001, après avoir réalisé tant de films publicitaires ?

En réalité, j'avais déjà des idées de longs métrages depuis 1988, mais fin des années 90, je réalisais jusqu'à 50 films publicitaires par an et je n’avais pas le temps de me concentrer sur la production de longs métrages. Toutefois, à cette période, le dispositif fiscal de la Tax Shelter commençait à émerger et j'ai pensé que le cinéma belge allait évoluer. De nombreux producteurs de publicité avaient également l'envie de produire des films, et j'ai voulu les accompagner dans cette démarche.
Comme j'avais travaillé avec des gens partout dans le monde, je ne voyais pas de barrière dans le cinéma à me limiter à la Belgique. Mon premier grand film, "Goodbye Bafana" était d’ailleurs en anglais.

Les débuts ont été compliqués, car les cinéastes ne voyaient pas d'un bon œil les gens issus de la publicité qui souhaitait se lancer dans le cinéma. Ils considéraient que le cinéma est un art et les personnes travaillant dans la publicité étaient perçues comme gagnant et manipulant beaucoup d'argent, alors que dans le cinéma ce n’était pas le cas.

Vous avez mentionné que la musique, allant des Beatles à Pink Floyd en passant par Jean-Jacques Goldman, est votre « respiration ». Comment la musique a-t-elle influencé votre travail ?

Quelque part, la musique pour moi est plus importante que le cinéma. Si je dois choisir entre elle ou les films, je choisis la musique. J’aurais pu ne pas faire de cinéma et travailler dans la musique toute ma vie, mais le hasard et les rencontres en ont décidé autrement. Je suis devenu un grand fan de musique un peu par hasard, lorsque mon ami d'humanité m'a emmené voir de nombreux concerts alors que sa mère était patronne de Forest National. J’ai vu des artistes tels que Pink Floyd, Claude François et les Rolling Stones. Dans les années 80, je travaillais beaucoup sur des clips vidéo pour des stars telles que France Gall, Daniel Balavoine et Johnny Hallyday.

Aujourd’hui, la musique est toujours aussi importante dans ma vie. Je suis quelqu’un d’hyperactif, j’ai toujours des oreillettes avec lesquelles j’écoute Spotify ou de la musique de mon téléphone. J'aime aussi assister à des concerts, car il y a une véritable communion entre l'artiste et son public.
J'ai aussi essayé d'intégrer ma passion pour la musique dans mes films, mais c'est un défi difficile à relever. Par exemple, je voulais que Peter Gabriel compose la musique pour mon film "Goodbye Bafana". Je l’ai rencontré deux fois, et son manager m'a finalement envoyé un devis. Je pensais qu’il s’était trompé tellement c’était cher. Je n'avais pas réalisé que la musique pour un film pouvait coûter aussi cher. Dans le business du film, c’est compliqué d’amener les gens dans ton rêve, car on a jamais le budget.

À 20 ans, vous partez deux semaines aux États-Unis avec votre père, vous parlez de l’Amérique comme une sorte « d’essoufflement divin », « une révélation ». Pensez-vous que l'Amérique est une source d'inspiration importante pour les cinéastes ?

À cette époque-là, j'avais 18 ans et comme beaucoup de gens de ma génération en Europe, je rêvais de vivre le "rêve américain". Nous étions constamment exposés à des films montrant New York ou Los Angeles et j'avais envie de découvrir ces villes de mes propres yeux. Quand j'ai finalement pu partir à New York avec mon père, j'ai été ébloui par la taille des gratte-ciel. À cette époque, les médias étaient beaucoup moins développés qu'aujourd'hui et c'était le début de la télévision en couleur. Les buildings étaient bien plus impressionnants en vrai qu'en photo ou à la télévision.

Pourquoi avez-vous choisi de partager des événements personnels difficiles tels que la mort de votre père et la dépression de votre femme dans votre biographie ?

Lorsqu’on rédige une biographie, il est important de ne rien cacher. Surtout que la maladie de ma femme, jusqu’au suicide, est une période qui a complètement changé ma vie. Après ça, mon business a périclité, car je n’ai pas pu travailler pendant 4 ans. Manuel Verlange, l’auteur du livre, ne voulait pas trop rentrer dans les détails, mais à un moment donné l’idée de raconter uniquement cette période de ma vie est venue, car elle a été terrible. Ma femme est tombée dans une dépression et nous avons connu des moments très difficiles. Je raconte très peu de choses, mais elle a craché trois voitures en un an. Un matin, elle conduisait les enfants à l’école et arrivée sur place, elle a percuté plusieurs véhicules dans le parking alors qu’elle était sous médicament. Les parents étaient évidemment fous de rage. Un autre incident s’est produit lorsqu’elle a ignoré un passage pour piéton devant l’école alors qu’un policier avait les bras levés pour stopper les conducteurs. Le policier l'a arrêtée. Elle est sortie de la voiture et est tombée par terre. Pourtant, on l'a sortie de plusieurs hôpitaux psychiatriques en affirmant qu'elle n'était pas malade. Dans le dernier hôpital où elle était, le personnel m’a dit qu’il ne savait pas quoi faire. Comment est-ce possible? J’en ai vraiment voulu à ces gens. Tous les matins, je conduisais mes filles à l’école. Une fois arrivé au bureau, je me demandais chaque fois ce qu'il allait se passer dans la journée. Je ne pouvais pas me concentrer sur mon travail.

Après le décès de ma femme, j'ai réalisé que la priorité n'était plus le travail, mais de sauver mes deux filles qui avaient huit et dix ans à ce moment-là. Pendant des mois, j'ai très peu travaillé et je me suis occupé d'elles du matin au soir et vice versa. La reconstruction a été très difficile. J'avais moins de stress lié à ma femme, mais je devais maintenant gérer celui de mes enfants. Le travail n'était plus du tout une priorité. Quelque chose s'était brisé. Je trouvais qu'il était essentiel de raconter cette période de ma vie dans le livre.

Comment voyez-vous l'avenir de l'industrie audiovisuelle belge et quels défis pensez-vous que les producteurs belges devront affronter dans les années à venir ?

Je pense que dans les cinq dernières années, les séries télévisées ont connu un véritable essor qui va se poursuivre et qui prendra de plus en plus de place par rapport aux longs métrages. Même les réalisateurs célèbres souhaitent désormais produire des séries. Cela dit, le cinéma aura toujours sa place, car c'est une expérience différente de celle des séries. La narration n'est pas la même dans une série que dans un film.
Néanmoins, l'industrie cinématographique, en Belgique du moins, rencontre actuellement des difficultés. J'ai reçu hier les chiffres de fréquentation des salles de cinéma qui ont chuté, à l'exception de quelques blockbusters. Depuis la pandémie de Covid-19, il y a une perte des entrées d'environ 40%. Toutefois, lorsqu'un film à succès comme Avatar est projeté, il peut attirer près de 2 millions de spectateurs, ce qui est un chiffre phénoménal.
Ce qui me choque et c’était aussi un peu comme ça dans la pub, c’est la barrière entre le cinéma francophone et flamand. Le cinéma francophone belge se concentre principalement sur les films d'auteur et les sujets sociaux, souvent tristes et durs, alors que le cinéma flamand est plus axé sur le divertissement à l’américaine. Il y a environ 250 000 films produits chaque année en France et les chaînes françaises sont également largement accessibles, offrant ainsi un grand choix de divertissement francophone. Tandis que, du côté flamand, ils ont les chaînes flamandes et les canaux hollandais, mais le choix reste tout de même plus limité. Les Flamands ont donc réussi a créer une vraie défense de la langue et de la culture flamande que les francophones n’ont pas réussi à créer. Du côté francophone, les personnes ont accès à une grande variété de films français disponibles. En revanche, du côté flamand, les options sont limitées aux films flamands, car il y a relativement peu de films hollandais qui sont diffusés en Belgique. Ainsi, lorsqu'un film flamand sort, les Flamands vont le voir. Prenons par un exemple un film belge francophone qui marche comme le dernier des frères Dardenne, “Tori et Lokita”. Le film a attiré environ 30 000 spectateurs, tandis que "Close", un film flamand, a attiré environ 300 000 spectateurs. “Zillion”, un autre film flamand dont les francophones n'ont probablement pas entendu parler, a quant à lui attiré plus d'un million de spectateurs. Cette différence culturelle s'explique par le fait que les francophones ont un grand choix de divertissement en français, tandis que les Flamands ont un choix plus restreint et préfèrent donc souvent les productions locales.

Au cours des cinq prochaines années, il va aussi y avoir une augmentation considérable des investissements dans l'industrie audiovisuelle belge. Cela est dû à l'obligation pour les plateformes de streaming telles que Netflix, Disney+ et Amazon, ainsi que pour les chaînes de télévision comme la RTBF, de dépenser une partie de leur chiffre d'affaires dans l'industrie. Je dis dans les 5 ans car le gouvernement a mis en place une politique qui oblige les entreprises à investir de plus en plus chaque année, avec un plafond de 7,5 millions d’euros. Actuellement, ces entreprises doivent investir environ 2,5 millions d'euros, mais ce montant augmentera progressivement chaque année. Il est prévu que le plafond de 7,5 millions d’euros soit atteint dans 5 ans. Par conséquent, au cours des cinq prochaines années, il y aura entre 20 et 50 millions d'euros supplémentaires disponibles pour l'industrie audiovisuelle belge francophone. Mais de mon point de vue, il est important que les organismes gouvernementaux qui financent l'industrie cinématographique soient plus ouverts à la diversité et explorent différents genres cinématographiques, comme le font déjà les Flamands. Avec une augmentation des financements disponibles, il est important de prendre des risques pour sortir des sentiers battus et améliorer l'industrie audiovisuelle belge dans son ensemble.

Avez-vous toujours des projets à venir ou en cours ?

Je ne prévois pas de prendre de nouveaux projets pour pouvoir profiter davantage de ma vie en dehors du travail, mais j’ai trois, quatre films en préparation.
L'un de ces projets est un scénario sur lequel je travaille depuis 11 ans. Ce film se déroule dans le Delta du Niger, au Nigéria, et me plaît particulièrement, car il a un message politique. Dans cette région, les compagnies pétrolières exploitent les ressources naturelles sans tenir compte de l'environnement, causant la pollution du sol et empêchant les habitants locaux de vivre correctement. La population locale décide donc de créer le MEND (Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger), une organisation militante qui se bat contre les entreprises pétrolières pour faire respecter les terres et lutter contre la pollution. L'histoire suit cette communauté dans son combat contre une grande entreprise pétrolière qui souhaite agrandir son usine dans le village et raser les habitations. Il s'agit d'un combat philosophique et écologique entre les locaux et les multinationales. Le film sera tourné en Afrique du Sud par un réalisateur sud-africain et nous sommes en train de chercher des acteurs connus pour pouvoir financer le projet. C'est l'un des projets majeurs que je souhaite réaliser avant de mettre fin à ma carrière.
Un autre projet que je souhaite réaliser est un film autour du concours Reine Elisabeth mettant en scène deux violonistes, l'une gagnant et l'autre non. Le film suivra l'histoire de la violoniste qui ne remporte pas le concours. Pour ce projet, je prévois de collaborer avec le concours Reine Elisabeth, et le prochain aura lieu en 2024. Je dois donc être prêt à tourner des scènes du film à ce moment-là.