{Interview} Vincent Fosty (Deloitte) et Luc Suykens (UBA): "Les médias locaux peuvent gagner beaucoup, mais perdre tout autant"

Le monde de la publicité en Belgique se trouve à un moment charnière de son évolution, selon une nouvelle étude de Deloitte et UBA. Les auteurs de l'étude livrent déjà ce message : "Pour maintenir un écosystème à haute valeur ajoutée, les acteurs locaux devront embrasser les nouvelles tendances tout en restant fidèles aux principes traditionnels de la publicité." En d'autres termes, il y a de quoi s'éparpiller. PUB a pu consulter l'étude et en a parlé avec Vincent Fosty, Technology, Media and Telecommunications Industry Leader chez Deloitte et Luc Suykens, CEO d'UBA.
La publicité belge s'est efforcée de suivre le rythme d'un paysage en rapide évolution ces dernières années, note l'étude : alors que la publicité digitale et le performance marketing sont devenus une partie de plus en plus importante des campagnes publicitaires, les canaux plus traditionnels tels que la télévision linéaire restent importants à la fois pour les annonceurs et pour les consommateurs. Mais l'étude est révélatrice : l'écosystème local s'est internationalisé et il est devenu de plus en plus difficile de mettre en œuvre des stratégies publicitaires équilibrées. "En outre, les changements dans l'utilisation des données et la fragmentation croissante des médias posent des défis importants que l'industrie dans son ensemble doit relever," indique l'étude.
Quelques chiffres intermédiaires (que l'on retrouve également dans l'étude) : l'évolution des usages a entraîné une augmentation des investissements des médias dans le digital. Les entreprises MAMAA (Meta, Apple, Microsoft, Amazon et Alphabet, anciennement appelées GAFA) représentent environ 62 % des investissements dans les médias digitaux. Sur l'ensemble du marché, cela se traduit par une part de marché des MAMAA d'environ 22 % - et il reste à voir si elles s'en contentent. Cette part est appelée à croître, affirme Vincent Fosty : "Il y a l'élan qu'ils ont actuellement et l'adoption du digital et de la vidéo en ligne en général. Le potentiel ne réside pas tant dans l'audio en ligne que dans la vidéo en ligne."

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Ces défis s'accompagnent également d'opportunités. Les médias et les agences ont un rôle important à jouer pour aider les annonceurs à s'y retrouver dans cette complexité croissante, et les efforts déployés pour augmenter l'échelle en termes d'audience et de données devront soutenir cette démarche. L'innovation dans la mesure des campagnes et l'utilisation de canaux tels que la vidéo à la demande basée sur la publicité, le contenu de marque et la publicité native devraient favoriser le développement de l'écosystème. Vincent Fosty d'ajouter : "Je pense qu'il y aura encore de la place pour les médias et les éditeurs locaux. Nous avons des médias très, très forts. Le numérique est encore sous-pénétré. Il y aura donc un effet de rattrapage. Par ces médias, ou par les marques mondiales qui s'internationaliseront. Leurs campagnes publicitaires se tourneront vers la Belgique et nous nous contenterons de suivre les mêmes normes et la même distribution que dans les autres pays, de sorte que c'est presque un effet mécanique que la Belgique rattrape son retard en matière de publicité numérique."

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Qu'en est-il alors des marques médiatiques locales (actuellement) fortes ? Pour Luc Suykens, le verre est à moitié plein ou à moitié vide : ces marques locales peuvent donc gagner beaucoup... mais aussi perdre tout autant. "C'est pourquoi nous sommes heureux qu'avec l'UMA, l'association des agences médias, nous puissions désormais présenter des chiffres sur les investissements nets dans les médias," explique le dirigeant de l'UBA. "C'est la raison pour laquelle cette étude a été réalisée : quels sont les chantiers qui comptent pour les médias ? Et cela ne sera pas résolu par une seule partie prenante, au sein de l'écosystème, nous devons y travailler ensemble."

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Data, public et contenu
Quelles sont les tendances clés et les disrupteurs qui façonnent la publicité belge, et comment l'écosystème peut-il y répondre en tant que collectif ? Cette dernière question n'est peut-être pas évidente, dans un marché dont la valeur a chuté depuis 2018 - la concurrence entre les médias (régies) et entre les agences augmentant ainsi. Mais cela ne doit pas s'opposer à la coopération.
"La concurrence et la collaboration sont des phénomènes normaux dans tant d'autres secteurs différents. Je pense que la concurrence les rend plus forts. La raison pour laquelle nous avons un écosystème médiatique local très fort est qu'il y a une très forte concurrence. Dans chacune des régions, au nord comme au sud, la concurrence est forte. Une concurrence qui, d'une certaine manière, nous a permis de protéger la part de marché et la pertinence de ces médias au niveau local. Je ne vois pas la concurrence comme un obstacle. Au contraire, je pense qu'ils ont quelque chose en commun : les menaces qui les dépassent. Leurs principaux concurrents ne sont pas les uns les autres," précise Vincent Fosty.
Luc Suykens partage cet avis : "Nous sommes dans un marché hyperconcurrentiel. Et cela va continuer. Il est toutefois possible de développer des capacités qui renforcent le marché dans son ensemble. Ce qui changera, en revanche, ce sont les modèles d'entreprise. C'est là que réside l'innovation de chacun de ces médias."

Vincent Fosty - Photo Wim De Mont
Une seule entité
Pour Deloitte et UBA, comme nous l'avons déjà mentionné, la situation est claire : l'écosystème publicitaire belge doit agir comme un seul homme, une seule entité, pour tracer la voie à suivre. Les acteurs de l'écosystème doivent travailler ensemble pour surmonter les obstacles auxquels ils sont confrontés. Des questions telles que la complexité des données, la fragmentation des médias, l'importance de la durabilité dans la publicité et le rôle de la diversité et de l'inclusion requièrent des solutions de bout en bout de la chaîne de valeur. Des mesures sont prises, en collaboration avec le gouvernement flamand, pour mettre en place un système de mesure complet. "C'est un pas dans la bonne direction," déclare Vincent Fosty. "Sur les marchés qui s'engagent dans cette voie, cela a créé une nouvelle norme pour l'industrie et nous avons donc l'avantage de ne pas être les premiers à innover. En Belgique, nous pouvons aussi regarder ce qu'a fait le Royaume-Uni, ce qu'a fait l'Allemagne, et essayer d'apprendre de ces erreurs. Je pense que la coopération sera la clé."
Les médias locaux doivent-ils alors devenir plus "intelligents" (smarter) ou plus grands ? Selon Vincent Fosty, ils doivent devenir plus intelligents dès le départ et à court terme. "La société est ce qu'elle est. Il y a certainement des segments qui ne sont pas bien desservis par les médias plus traditionnels, notamment les jeunes, et aussi certains segments si l'on considère la diversité. Il existe donc encore des possibilités de croissance. Mais il y a aussi une certaine saturation. C'est pourquoi je pense qu'il faut probablement devenir plus intelligent avant de pouvoir devenir plus grand ou meilleur. Je dirais qu'il vaut mieux se concentrer sur un meilleur retour sur investissement."
Les médias audiovisuels sont en pleine transition. "En tant qu'annonceurs, nous devons opérer cette transition en même temps que les agences médias," déclare Luc Suykens. "Cela va conduire à de nouveaux modèles. Podcasts, télé digitale... : il s'agit de modèles intégrés. C'est ce que nous faisons nous-mêmes. Ce n'est pas un hasard si l'UBA est passée d'une association qui s'occupait de communication à une association qui parle de construction de marque. Par exemple, comment créer des communautés, comme le fait Roularta avec sa stratégie 'Plus' ?"

Luc Suykens - Photo Luc Hilderson
Pas de Big Bang
En termes de ressources humaines et de compétences de direction, les organisations ont besoin de capacités à l'épreuve du temps. Tous les acteurs peuvent contribuer à développer un marché de talents attrayant où la créativité et la technologie vont de pair. En outre, en mettant l'accent sur la diversité et l'inclusion, on peut élargir le vivier de talents et soutenir des campagnes qui touchent un public plus large. En outre, l'écosystème dans son ensemble reconnaît l'importance de la construction d'une marque à long terme dans les stratégies de campagnes publicitaires, même si la publicité basée sur la performance continue de croître à court terme. Une approche équilibrée nécessite des améliorations dans la mesure de l'efficacité des campagnes à long terme, avec le soutien des médias et des agences, et les annonceurs peuvent prendre l'initiative d'améliorer la durabilité des campagnes. Les annonceurs peuvent prendre l'initiative d'améliorer la durabilité des campagnes. Cela pourrait, bien sûr, conduire à des agences plus grandes (avec une intelligence interne) ou à une collaboration entre des agences ayant des domaines d'expertise différents (en réseaux ou sur une base adhoc). Quoi qu'il en soit, un tel écosystème local ne peut se passer de ses propres informations sur le marché, conclut l'étude : "Les stratégies relatives aux consommateurs et aux données nécessiteront de la confiance, car les médias cherchent à s'étendre et à soutenir des partenariats efficaces au sein de l'écosystème. Sur cette base, la valeur de l'écosystème publicitaire belge dépendra de la manière dont les acteurs locaux pourront compléter l'internationalisation croissante par des informations clés sur le marché."
Nous sommes donc à un moment charnière. Mais ne vous attendez pas à un big bang, prévient Vincent Fosty : "Nous sommes encore dans une sorte de mode évolutif. Le changement est lent et régulier. L'évolution, qu'il s'agisse de l'érosion des médias traditionnels ou de l'utilisation de l'intelligence artificielle dans certaines parties des opérations des agences : dans une large mesure, il s'agit toujours du marketing et de la publicité tels que nous les pratiquons depuis près de 40 ans."
Lire l'étude ci-dessous