« J’ai déjà dû me dire à moi-même : ça ne marche pas ! »

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Deux personnes qui ne se connaissent pas mais qui partagent une passion commune s’interviewent, voilà le principe de cette rubrique. Parfois, il s’avère que l’interviewer du jour et l’interviewé se connaissent tout de même, mais pas cette fois. PUB a invité Clo Willaerts, digital marketing manager auprès de la banque Degroof Petercam, à poser des questions à Jeroen Bronselaer, senior vice president residential marketing chez Telenet.

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Que ce soit dans ses fonctions de journaliste, de tv researcher, de marketing manager ou de business manager, Clo Willaerts a toujours gardé une constante : les médias numériques, sous toutes leurs formes. Aujourd’hui, elle est à la tête du marketing numérique auprès de la Bank Degroof Petercam. Quant à Jeroen Bronselaer, il ne savait pas qui l’interviewerait mais a tout de même proposé un lieu de rendez-vous non neutre : la terrasse du bâtiment du Telenet Group à Woluwe. Mais le terrain s’avère plus neutre que prévu. « Voyez, pas de drapeau Telenet géant à l’arrière-plan ! » dit-il en riant. Nous soupçonnons qu’un zeppelin publicitaire finira tout de même par apparaître, mais finalement, pas de zeppelin non plus. Quant à la vue ? Un moche bâtiment d’hôpital, certes, mais aussi un vieux moulin et, surtout, beaucoup de verdure. « C’est dommage qu’on n’utilise pas plus cette terrasse, » dit Jeroen Bronselaer. « Heureusement qu’aujourd’hui on lui fait honneur ! »

Clo Willaerts se présente brièvement, elle expose les grandes lignes de sa carrière et également ses ‘claim to fame’, comme elle les appelle. Il s’agit des deux livres qu’elle a écrits, The Conversity Model et Altijd naakt. L’attention se porte ensuite sur Jeroen Bronselaer.

Comment te présentes-tu lors de réceptions ?

« Je dis toujours deux choses. Ou trois, plutôt. Je dis que je suis responsable du marketing chez Telenet ; que j’ai en réalité toujours été plutôt dans le divertissement que dans le marketing – d’abord à la VRT, ensuite chez Telenet, sauf l’année passée – et que mes études m’avaient prédestiné au monde de la banque. Chez Degroof Petercam, par exemple (rires) ! J’ai étudié l’économie et la finance mais après mes études, j’ai choisi un poste auprès de la production de la VRT. J’ai donc une formation business et une passion pour le divertissement. »

Est-ce difficile d’apporter le monde du divertissement dans le monde des affaires ?

« En effet, bien que cela fasse douze ans que je m’atèle à la tâche. La créativité est une bien belle chose mais à un moment donné, force est de constater qu’il faut rendre les idées rentables. Le divertissement est immatériel, ce n’est pas comme un nouveau biscuit dont on pourrait faire goûter quelques échantillons aux consommateurs avant de les commercialiser. Le divertissement, c’est d’abord une idée sur le papier et on ne voit le résultat final que lorsque tout est terminé et que le produit est prêt. Cela ne dispense pas pour autant de se demander comment on va le transmettre aux consommateurs et de ce qu’il pourrait rapporter. »

Es-tu la personne qui met un terme à un projet après trois mois de travail ?

« Oui. »

Et comment fais-tu ?

« Il faut que ton équipe comprenne bien que tu as donné toutes ses chances au projet. Même les créatifs comprennent que les chiffres doivent s’aligner. S’ils le voient déjà pendant le processus créatif, la décision d’arrêter un projet passe mieux. Le faire à l’avance, avant que le projet n’existe, est de toute façon plus dur. Il faut jouer avec une idée créative mais à un certain moment, il faut montrer des chiffres. Et ici, chez Telenet, il m’est déjà arrivé de devoir me dire à moi-même ‘ça ne marche pas’. C’était le cas de ‘Rex en Rio’. C’était un très beau projet mais force a été de constater qu’après six mois, la sauce n’avait pas pris auprès des consommateurs. Nous y avions consacré beaucoup de temps, moi y compris. Avec Play et Play More, nous avons mis la barre plus haut et nous avons décidé de nous repositionner. Ça a marché mais la discussion en interne n’a pas été facile. »

De mon expérience chez Belgacom, j’ai retenu que les négociations pour conclure un accord avec des acteurs internationaux étaient toujours difficiles… Et le fait que notre pays soit bilingue n’arrange rien.

« Chez Telenet nous travaillons évidemment surtout en néerlandais. Mais est-ce vraiment un luxe ? C’est certes plus simple, mais avec deux langues, l’économie d’échelle est plus grande. »

Voulez-vous vous étendre vers la partie francophone du pays ?

« Ce serait en effet l’évolution naturelle. Le jour où la chance se présente [NDLR : le jour où VOO est à vendre], c’est une possibilité que nous allons étudier avec grand intérêt. Mais avec BASE, nous sommes évidemment déjà un acteur national ! »

L’avenir

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Mes deux ados ne regardent presque pas la télévision linéaire, mais ils utilisent souvent leur smartphone…

« J’ai deux grands atouts… »

J’ai cru que tu allais dire ‘deux grands enfants’…

« Ah non, j’ai trois petits enfants (rires). Mais les deux atouts sont les suivants : la connectivité et le divertissement. La jeune génération vit grâce au sentiment d’être connecté. Nous voulons venir y ajouter le divertissement. »

Où en serez-vous dans cinq ans ?

« Les jeunes sont libres, ils ne s’inquiètent pas. L’évolution sociologique est évidente, on peut parler de ‘fluid living’. C’est une génération qui va également se divertir de façon fluide. Une famille reste une famille mais chaque membre vit à son propre rythme. Nous devons miser là dessus. D’une part, en tant que enabler qui rend possible le fluid living et le fluid watching, mais d’autre part, nous devons également être un point d’ancrage qui apporte de la structure dans un monde de plus en plus complexe. Et ce, aussi bien avec la connectivité qu’avec le divertissement. Un service, en d’autres termes, qui suit le client à travers le monde, sans roaming et sans aucune frontière et qui lui apporte le divertissement qu’il souhaite. Là, il faut d’abord parler des droits. Comment pouvons-nous fournir la VRT à un de nos clients qui se situe en Chine ? Voulons-nous un service sur mesure pour la famille ou sur mesure pour chaque membre de la famille ? La technologie doit pouvoir suivre toutes les situations. »

Adapter les personnages

Tu parles de données, c’est une transition parfaite pour ma question suivante. Avec des séries comme House of Cards ou Stranger Things, Netflix propose ses propres programmes, basés sur ce qu’ils savent de leur public. On est à deux doigts des scénarii écrits par des algorithmes. Vous allez dans cette direction ?

« Nous avons ‘Chaussée d’Amour’ ! C’est une série qui a été créée à l’ancienne, selon les instincts d’experts. Nous y avons ajouté des données, mais pas comme Netflix le fait, ou affirme le faire. Je ne pense pas que l’on puisse développer à l’avance tous les éléments d’une série fictive sur la seule base des données. En tout cas, pas encore. On peut certainement s’en servir pour savoir quel type de scénario sera apprécié par quel public cible. Ou pour adapter les personnages au cours de la série, mais cela vaut surtout pour les longues séries, c’est plus difficile pour une série courte. Ou alors pour une saison ultérieure. Quoi qu’il en soit, House of Cards a donné à Netflix ses jalons de producteur de contenu et de diffuseur, alors qu’auparavant, il faisait plutôt office de ‘vidéothèque sur internet’. Pour moi, Netflix est véritablement une nouvelle chaîne, qui achète, produit et emballe du contenu, mais sans programme linéaire de diffusion. »

Netflix a une proposition claire. Qu’en est-il d’Amazon ? Font-ils quelque chose d’intéressant, par exemple avec le trio de Top Gear ?

« Chez Amazon, il y a certainement beaucoup de choses à faire et c’est une entreprise qui a beaucoup de possibilités, mais n’en font-ils pas trop ? Ils ont rassemblé des choses, mais peut-être n’avaient-ils pas bien réfléchi à la façon dont ils allaient expliquer leur concept aux clients. »

Je ne les comprends pas bien. Ils ne font pas vraiment de profit. Ils ont bien des revenus, mais qu’en font-ils ? Ils continuent à se comporter comme une start-up alors qu’ils font partie du clan GAFA, les géants de la technologie numérique, Google-Apple-Facebook-Amazon. »

« Google fait énormément de choses aussi, mais d’une façon ou d’une autre, on a tout de même l’impression qu’ils restent proches de leur core business et de leur consumer promise, le ‘déchiffrage des données’. Et ils comprennent aussi l’art d’arrêter à temps une idée ou un projet, alors qu’Amazon semble parfois persévérer à tort et à travers. »

La crème du divertissement

Selon toi, qui sont les meilleurs entertainers ?

« J’aime surtout les histoires qui tiennent la route. Le rendu visuel et l’ambiance sont importants, mais en fin de compte, pour moi, ce qui compte le plus c’est la force de l’histoire, le fait que l’on soit absorbé par elle et que l’on vive avec les personnages. Steven Spielberg est bien évidemment un exemple. Je pense aussi à des gens comme Baz Luhrmann, qui est derrière Romeo+Juliet et Moulin Rouge, et Christopher Nolan. »

Et chez nous, qui est le meilleure storyteller ?

« Je pense qu’en ce moment Jonas Geirnaert est en train de nous préparer une excellente histoire, avec son amie Julie Mahieu. Avec ‘Neveneffecten’, il avait déjà prouvé son sens de l’humour. J’ai eu l’occasion de lire la nouvelle série sur laquelle il travaille et c’est très prometteur. »

L’humour est une forme d’intelligence…

« Oui. Bart De Pauw est aussi quelqu’un qui parvient à combiner humour et histoire solide. »

Raconter une histoire classique, ça se fait encore ?

« Je suis moins tranché sur le sujet. Il est vrai qu’aujourd’hui, le rythme des médias est effréné et que de nombreuses choses sont plus ‘flash’ que par le passé, mais il n’est pas nécessaire d’avoir tout le temps des décors grandioses et des effets spéciaux bluffants. Prenez par exemple le Youtuber PewDiePie, il raconte des histoires normales, il parle surtout de ses expériences sur des jeux vidéo. C’est la façon dont il raconte ses histoires qui fait qu’il a autant de followers sur YouTube, pas les effets visuels, ni la valeur de production de son contenu. Une histoire, en soi, ça suffit encore, mais il faudra probablement la raconter plus rapidement ou d’une autre façon. »

Cette culture de la consommation aveugle est-elle un danger ?

« En effet, en tant que chaîne ou producteur, vous n’avez pas toujours l’occasion de tisser des liens avec votre public. Il ne fait néanmoins aucun doute qu’il y a une évolution et que les jeunes visionnent un contenu ‘long’ en même temps qu’un contenu plus court et ‘snackable’. Nous misons donc aussi en partie sur cette culture de la consommation à demi-consciente. Nous proposons un contenu linéaire traditionnel et du contenu non-linéaire, mais nous faisons aussi des expériences sur YouTube. Aux Pays-Bas, il y a déjà beaucoup de YouTubers connus, chez nous pas encore. Nous sommes persuadés que nous avons au moins autant de talents créatifs et numériques en Flandre mais pour le moment, ils ont moins recours à des plateformes telles que YouTube. Peut-être sommes-nous moins présents sur les réseaux sociaux ou peut-être sommes-nous moins tonitruants… En tous cas, c’est un talent que nous aimerions bien encourager. »

Ce n’est pas un problème de connectivité. Ne sommes-nous donc pas l’un des pays les plus connectés ?

« En ce moment, un indice européen renommé nous donne deuxièmes, derrière les Pays-Bas et devant l’Allemagne, la France et les pays scandinaves. Que le réseau soit fixe ou mobile, le consommateur s’en lave les mains. Ce qui le stresse, désormais, ce sont les batteries vides et l’absence de wifi. Le fait d’être ‘toujours connecté’ change la façon dont les consommateurs agissent. Ils veulent pouvoir nous poser une question à trois heures du matin, même si nos magasins sont fermés. »

Que pensez-vous des efforts de Facebook et de Google qui veulent apporter la connectivité partout dans le monde ?

« Je pense que c’est très cher mais ces entreprises ne manquent pas d’argent. Le fait qu’aujourd’hui, elles se positionnent comme fournisseurs de connectivité est surtout un signal fort pour indiquer que leurs ambitions ne sont pas seulement en ligne et qu’elles n’ont pas peur d’innover. Cela soutient également leur ‘social responsibility’, car elles investissent dans des communautés (parfois très pauvres) pour leur fournir davantage de connectivité ou d’une meilleure qualité. Le font-elles vraiment pour gagner de l’argent ? C’est alors un ‘starshot’, car la plupart des services fournis sont gratuits, ce qui signifie qu’elles doivent gagner l’argent ailleurs, avec des spin-offs, comme par exemple, en vendant des données. Ce n’est pas gagné. Je pense qu’une solution plus intelligente résiderait dans un monde où les fournisseurs de connectivité collaboreraient justement plus avec ces gros poissons pour fournir ce genre de services en ligne.

Et au niveau local ? Malines offre un wifi public et gratuit. D’autres villes vont-elles lui emboîter le pas ?

« Ca me paraît probable, mais je n’ai pas connaissance de ce genre de projet dans un avenir proche. Plusieurs villes y travaillent et nous sommes toujours disposés à les aider à devenir des smart cities, mais dans l’immédiat, il n’y a pas de projet concret. »

Les questions ont été posées, le soleil s’est couché. Nous admirons une dernière fois la vue, apprenons encore que Telenet a déplacé son siège de Malines à Woluwe après la reprise de BASE et le temps est venu de replonger dans le fourmillement de la ville…