« Je ne vois pas facilement les évolutions comme des menaces »

YOUR TURN_Demey Deborsu 4

Articles traduits

YOUR TURN_Demey Deborsu 4

Harry Demey et Christophe Deborsu


Christophe Deborsu est l’un des rares Belges à être connu des deux côtés de la frontière linguistique; Harry Demey, à la tête de LDV United, fait partie des meilleurs publicitaires du pays. Le journaliste et le ceo se sont rencontrés, spécialement pour PUB, sur le Rijnkaai d’Anvers, où une vue imprenable sur l’Escaut leur a inspiré une discussion passionnante sur le journalisme, la télévision et la communication.
Ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, mais chacun admire la carrière de l’autre. Dans les bureaux de LDV United, Christophe longe une vitrine de trophées avec admiration et Harry est manifestement impatient de pouvoir poser des questions au journaliste de Woestijnvis. « J’ai un peu l’impression d’avoir un blind date avec quelqu’un sur qui je me suis déjà renseigné sur Google. »
Bienvenue à Anvers, Christophe ! Je n’ai pas dû chercher longtemps pour trouver un point commun entre nos deux mondes : la télévision ! Penses-tu, comme moi, que la télévision en temps que média n’est pas prête de disparaître ?
"La façon dont nous regardons la télévision a certainement changé – nous la regardons sur notre ordinateur, sur notre iPad, en différé – mais une chose est sûre : nous continuons de la regarder, et ce, en moyenne trois heures par jour. On pourrait penser que nous sommes devenus nos propres directeurs de programmation et que nous déterminons ce que nous voulons regarder et quand. Une enquête montre cependant que cela ne se fait pas au détriment de la télévision traditionnelle. Une minorité regarde en différé, et ce sont surtout des jeunes. Je ne suis pas un stratège et je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait mais je ne suis pas aveuglément les nouvelles évolutions. Selon moi, la télévision ne sera jamais dépassée. Et elle n’a pas fini d’écrire l’histoire. Prenons des phénomènes tels que Top Gear ou Wouter vs. Waes : de nombreux programmes réalisent encore de très bons chiffres d’audience. Les nouveaux venus sont aussi passionnants : d’abord la télévision numérique et maintenant Amazon ou Netflix. Ce qui était inimaginable il y a quelques années encore est désormais parfaitement normal."
Es-tu facilement agacé par les nombreux messages publicitaires dans les médias ?
"En fait, j’aime plutôt bien la publicité, et je ne dis pas ça pour gagner des points (rires). Si je passe trop souvent les publicités en accéléré lorsque je regarde une émission en différé, elles commencent même à me manquer. Ce n’est pas une blague ! Je me souviens du premier spot publicitaire qui est passé à la télévision en 1989 sur la RTBF et que tout le monde était contre. Personnellement, ça ne me semblait pas catastrophique. Je trouvais ça instructif et passionnant et je trouve ça toujours intéressant de voir comment les slogans sont imaginés, comment une image se construit, etc. Il faut bien sûr pouvoir faire preuve d’esprit critique de temps en temps, mais cela vaut pour toute forme d’art. Car c’est bien ce que la publicité est pour moi : de l’art. C’est plus qu’un métier. Dans ce sens, les agences publicitaires et les programmateurs ne sont pas tellement différents. Nous voulons tous deux faire passer un message de la façon la plus sympathique, efficace et mémorable que possible."
Quelle campagne publicitaire récente trouves-tu particulièrement réussie ?
"Ohlala. Je peux y réfléchir encore un peu ?"
Pas de problème, le publicitaire moyen peut tout juste citer deux ou trois campagnes de façon spontanée. Il y a quelques années, c’était cinq ou six.
"Je me demande si ça en dit plus long sur nos cerveaux ou sur le morcellement de notre paysage médiatique !"
Christophe Deborsu

Christophe Deborsu


Un autre point commun entre nos deux mondes est l’importance croissante d’internet et des réseaux sociaux. Plutôt opportunité ou menace ?
"Je ne perçois pas facilement les choses comme des menaces, et certainement pas internet. C’est tout simplement quelque chose de complètement différent et de complémentaire au journalisme traditionnel. En tant que journaliste, on ne cherche pas seulement des actualités qui sont intéressantes pour la société et pour le public, mais il faut également filtrer et vérifier les informations. C’est là que je vois la grande différence avec les réseaux sociaux : là, il n’y a pas d’intermédiaire. Sur internet et sur des réseaux tels que Twitter ou Facebook, on trouve le meilleur comme le pire. C’est au lecteur de filtrer et de vérifier l’information. Un journaliste utilise les mêmes sources d’information lorsqu’il cherche des sujets. Regardez le compte Twitter de la famille royale : presque tous les followers sont des journalistes."
Es-tu toi-même actif sur les réseaux sociaux ?
"J’ai un compte Twitter et un profil Facebook, mais je suis un utilisateur passif. J’ai une chronique dans De Standaard, je travaille sur un nouveau livre, et à la rentrée, je m’occuperai d’une nouvelle émission télévisée. En d’autres termes, je n’ai pas besoin de Twitter ou de poster sur Facebook car j’ai bien assez d’autres moyens pour m’exprimer."
En tant que « constructeur » de marques pour un large public, je remarque que les médias se comportent différemment hors ligne et en ligne. As-tu constaté la même chose ?
"Mes employeurs, Woestijnvis et Vier, sont très peu actifs sur les réseaux sociaux, mais je me rappelle qu’à la RTBF, la question du maintien de la même image en ligne et hors ligne et de la cohérence de la communication en termes de ton et de contenu était une source inépuisable de débats captivants. Une réussite d’un côté a des répercussions de l’autre, et c'est la même chose pour les erreurs. Cependant, je pense que le public n’est pas aussi touché par les divergences que nous le pensons. Les gens sont parfaitement en mesure de comprendre que le ton employé est différent sur Facebook que dans un journal, par exemple."

« Sur internet, on trouve le meilleur comme le pire. »

Vois-tu des différences entre travailler sur une chaîne non commerciale (RTBF) et dans un environnement commercial (Vier) ?
"Les seules différences auxquelles je pense sont entre l’efficacité et l’inefficacité et entre ce qui est chouette et ce qui ne l’est pas. Dans ces deux domaines, Woestijnvis et la RTBF sont tous deux très bons. Pour l’instant, je travaille surtout sur l’émission télévisée De Rechtbank. Cela ne pourrait pas être moins commercial."
Qu’en est-il du placement de produit ? Y as-tu déjà eu affaire ? Par exemple avec De Kruitfabriek ?
"Je vous le dirais honnêtement si c’était le cas, mais je vous promets que je n’y ai jamais été confronté. Je respecte cette forme de publicité, mais dans le type d’émissions d’information et d’infotainment auxquelles je participe, ce serait mal venu. Je ne connais pas cette frontière étroite entre journalisme et affaires dont tout le monde parle. Pour moi, c’est une limite bien nette qui ne doit pas être franchie."
Et si LDV United t’embauchait pour une campagne ?
"Je vais malheureusement devoir vous décevoir (rires) ! On m’a déjà proposé une voiture en échange de publicité, mais j’ai refusé sans hésiter. Même pour un vélo je ne le ferais pas ! À la limite, je pourrais envisager une présentation purement informative sans que des clients ne s’en mêlent. Je ferais aussi une exception pour une bonne cause. Par exemple, l’année passée, j’ai participé à une campagne de l’IBSR pour la sécurité routière. C’est là que je pose mes limites, sinon c’est ma crédibilité qui est en jeu. De plus, nous vivons à une époque où ce genre d’action peut vous suivre longtemps. Avant, il était possible de faire quelque chose sans que cela ne se sache, mais aujourd’hui, il y a toujours bien quelqu’un qui fera une photo ou une vidéo. Je pense que c’est une bonne chose : cela vous oblige, si vous assurez une fonction politique ou éducative, de rester cohérent et fidèle à vos valeurs."

« Pour moi, la frontière étroite entre journalisme et affaires dont tout le monde parle n’existe pas. »

Tu n’es pas obligé de répondre à la question suivante…
"Quelle belle façon de poser une question ! Tu ferais un excellent journaliste, parce que maintenant je me sens obligé de répondre quand même (rires)! J’apprends beaucoup aujourd’hui !"
Si nous faisons une erreur de jugement, cela se transforme en véritable fiasco. Est-ce qu’il y a une marge d’erreur dans ton domaine ?
"Cela fait désormais trois ans que je suis chez Woestijnvis et c’est ce que j’adore dans cette maison de production : « failing is still an option ». Bien sûr, il y a des limites, mais tu reçois l’espace et le temps nécessaire pour développer tes projets. Si ça ne marche pas, tant pis, tu passes à autre chose."
Et enfin, la question à un million de dollars : Quel rêve journalistique réaliserais-tu avec 250.000 euros ?
"250.000 euros... Comme Jan Mulders de Het Laatste Nieuws, en fait (rires). Je vais te décevoir, car mon rêve est assez simple : j’aimerais un jour présenter le journal télévisé en prime time. Peu importe sur quelle chaîne. J’ai déjà présenté l’actualité plus tard dans la soirée, mais jamais entre 19h et 20h. Juste une fois… Comme le dit la chanson de Jacques Brel : « Être une heure, une heure seulement. Être une heure, une heure quelquefois. » Enfin, sait-on jamais, je n’abandonne pas encore ce rêve. Mais je crains que même avec 250.000 euros ça ne marche pas."
Merci, Christophe. Ah, au fait, est-ce qu’il y a une campagne publicitaire qui t’es revenue à l’esprit ?
"Oui, tout à fait ! Je trouve la campagne VOOfoot de lancement de la Jupiler Pro League très réussie. La fidélité des supporters à leur club est plus forte que tout. En deux mots, le football est la nouvelle religion, et c’est très perceptible dans cette campagne."
 
Pour terminer, Harry offre à Christophe son livre « Zot van A » qui retrace l’histoire de dix ans de communication de la ville d’Anvers. « Aïe, je dois faire attention, » plaisante Christophe, « c’est délicat pour un journaliste d’accepter des cadeaux. Mais celui-ci, je l’accepte volontiers, merci ! »
YOUR TURN_Demey Deborsu