La bande dessinée ? Oui, moquez-vous !

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Le Belge ne jure que par les bandes dessinées drôles. Mais en cette époque de #metoo, ne sommes-nous pas devenus un peu trop politiquement corrects ? Lectrr, Jeroom, Ilah et Klier rient sous cape. - Erik Cajot

Steven Degryse (Lectrr) : « Les États-Unis recourent régulièrement à la censure. »

Est-il encore possible de critiquer à l'aide de bandes dessinées ? « Chez nous, tout comme dans la majeure partie de l'Europe occidentale, nous pouvons encore dire ce que nous voulons, aujourd'hui plus que jamais, » estime Steven Degryse (Lectrr). « Bien sûr, une plus grande liberté d'expression va de pair avec une opposition croissante. Les gens s'expriment plus qu'auparavant, notamment depuis la montée en puissance des réseaux sociaux. Presque toutes les bandes dessinées suscitent désormais des réactions. Je participe par ailleurs au mouvement Cartooning for Peace, une initiative des Nations unies visant à promouvoir la compréhension de l'autre et le respect mutuel malgré les croyances et les cultures différentes. Mais en 2020 encore, la bande dessinée est sous pression dans certains pays où on ne s'y attend pas du tout, admet Lectrr : « C'est par exemple le cas des États-Unis, qui recourt régulièrement à la censure en raison des grandes quantités d'argent en jeu. Certains noms connus sont mis à la porte sans état d'âme à cause d'une bande dessinée mal reçue. C'est franchement problématique ! »

Faux pas

Jeroom Snelders (Jeroom) : « Un dessinateur doit sortir du milieu de terrain pour proposer les meilleures blagues. »

Kurt Valkeneers (Klier) nuance ces propos. « En 15 ans de carrière, j'ai vu l'une ou l'autre chose évoluer en Flandre, dans le bon et le mauvais sens du terme, » affirme-t-il. Plus question de rire gratuitement, ce à quoi souscrit M. Valkeneers. Mais de nos jours, il faut également s'assurer qu'on ne commet pas de faux pas, au risque de susciter une levée de boucliers accompagnée de tas de tracas sur les réseaux sociaux et autres. « Les gens sont trop susceptibles de nos jours. D'après moi, on peut rire de tout, même des stéréotypes. »

Bien sûr, il y aura toujours quelqu'un pour être blessé par une bande dessinée, déclare Jeroom Snelders (Jeroom). « Être offensé, c'est une émotion, au même titre que la joie et la surprise. Vous ne pouvez pas interdire à un auteur de BD de vexer autrui, cela ne pose pas de problème en soi. Toutes ces opinions démesurées sur les réseaux sociaux sont-elles le témoin d'une aigreur croissante au sein de la société ? En apparence seulement, car je la remarque à peine dans la vie de tous les jours. » Inge Heremans (Ilah) ajoute : « Je ne fais pas des BD pour offenser, mais pour présenter une idée. Contrairement à la plupart des gens, je ne trouve pas que le rire n'engage à rien : il doit servir un objectif. »

Le décolleté de Merkel

Il arrive très rarement que les rédactions belges refusent une BD. « Cela m'est arrivé une fois, avec mon dessin humoristique sur le décolleté plongeant d'Angela Merkel à une soirée de gala, » admet Kurt Valkeneers. « Ou une autre fois, quand j'ai remplacé les poils pubiens de L’origine du Monde, la peinture d'un vagin par Gustave Courbet, par la pyramide alimentaire. Je connais les limites. Mais je ne dois pas épargner la canne. » Inge Heremans approuve les dires de son collègue. « Il est important d'avoir une idée claire de son public. De cette façon, nous pouvons secouer les gens et les faire rire de tout et n'importe quoi, surtout des aspects importants de la vie. »

Inge Heremans (Ilah) : « Je ne fais pas des BD pour offenser, mais pour présenter une idée. »

Jeroom Snelders a toujours été épargné par la censure. « Un dessinateur doit sortir du milieu de terrain pour proposer les meilleures blagues. Pour moi, les histoires drôles sont comparables à des barres de combustible : plus le sujet est lourd ou tabou, plus vous devez vous armer. Vous ne pouvez saisir la barre de combustible que si vous êtes protégé par une très bonne blague. » Steven Degryse a lui aussi toujours eu carte blanche en Flandre. « Aux États-Unis, c'est autre chose, ils reçoivent souvent une liste de censure à l'avance. Les multinationales ont en tout cas cette mauvaise habitude. Ainsi, l'an dernier, j'ai conçu une série de boîtes de Monopoly pour Hasbro. Sur celle de Bruxelles figure le Manneken Pis, qui a dû porter un maillot de bain pour l'occasion afin de ne pas choquer les consciences. Je préfère ne pas penser à ce que feront à l'avenir les géants invincibles tels que Facebook et Google pour déterminer ce qui est autorisé ou non dans le domaine de l'humour. »

Kurt Valkeneers (Klier) : « Je connais les limites. Mais je ne dois pas épargner la canne. »

Steven Degryse (Lectrr) dessine tous les jours pour De Standaard, mais aussi pour The Brussels Times, Prospect Magazine et Andrews McMeel Universal. Jeroom Snelders (Jeroom) est exclusivement associé en Belgique avec Humo, tandis qu'aux États-Unis, ses dessins paraissent chez Adult Swim, un programme du Cartoon Network. Inge Heremans (Ilah) orne de ses BD Vrouwen met vaart de Ferm ainsi que Zuurvrij, le journal de Letterenhuis, et a dessiné pendant des années pour De Morgen, De Tijd, Flair et Menzo. Kurt Valkeneers (Klier) est le dessinateur attitré de Het Belang van Limburg et de ZO Magazine, la publication pour les membres d'UNIZO.