La campagne électorale 2012 rattrapée par les réseaux sociaux

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Elections / La campagne électorale 2012 rattrapée par les réseaux sociaux

Depuis quelques semaines la campagne électorale bat son plein. Les politiques et citoyens ont les yeux rivés sur le 14 octobre et le scrutin communal et provincial. Si l'on se penche sur les temps forts de la communication politique en cette période pré-électorale, on remarquera deux choses: la disparition progressive de l'affichage traditionnel et l'explosion des réseaux sociaux, Facebook en tête de gondole 2.0. Une campagne sur la toile marquée avant tout par le buzz des clips et photos aux allures surréalistes. Au risque de provoquer une poussée de fièvre dans le rang des professionnels de la communication!

·        Plus de 60 000 vues pour le clip de campagne «Action Citoyenne» à Péruwelz
·        Un click n'est pas un vote!
·        L'affichage traditionnel a tendance à disparaître
·        Une campagne qui manque de contenu et de créativité

Il y a six ans, moment des dernières élections communales, Facebook et Twitter n'avaient pas encore établi leurs quartiers dans les bureaux de nos élus et futurs élus politiques. 2010 et le scrutin fédéral a donné le coup d'envoi de cette communication d'un nouveau genre. En 2012, impossible de faire l'impasse sur les réseaux sociaux. Conséquence de ce mariage explosif entre le web 2.0 et la vie politique locale: un florilège de montages vidéo et photo à la surenchère insolite, voire pathétique, et visiblement sans limites.
Trois exemples, parmi beaucoup d'autres, pour illustrer ce phénomène: Louis Maraite (MR) prêt à se mouiller pour Liège et donc à se faire un carwash en cabriolet, Benoit Cerexhe (cdH Woluwe+) à la tête d'un lipdub détonant de ringardise sur l'air de Grégoire et de son titre «Toi plus moi» ou encore le parti Action Citoyenne à Péruwelz dans le même exercice sur un air cette fois de Julien Doré et de son «Kiss me forever». «Ce dernier exemple,»  sourit Jean-Luc Walraff, directeur créatif de JWT«me semble encore pardonnable puisqu'il y a référence à l'endroit où Julien Doré à tourner son clip. Il y a tout même un petit clin d'oeil qui peut sauver cette vidéo. Pour le reste, il faut bien avouer qu'on flirte avec le ridicule!».

La politique vaut mieux nous confie d'emblée notre publicitaire de renom qui a collaboré à plusieurs reprises avec le cdH, y compris pour cette campagne. «Il y a effectivement ce fantasme du buzz qui s'est emparé des candidats. Tout le monde recherche à présent le clip ou la photo qui va faire fureur, le slogan miracle. Il y a cette nécessité d'être sur les réseaux, c'est incontournable aujourd'hui pour le politique, mais pas à n'importe quel prix,» reconnaît Jean-Luc Walraff. «Nous avons besoin, surtout en cette période de crise, de politiques qui font preuve de créativité. Avec ce que l'on voit sur la toile, on peut dire que c'est loupé!» De créativité, il en est question en Flandre à travers l’initiative du bourgmestre d’Anvers Patrick Janssens (sp.a) et de Meyrem Almaci, candidate de Groen. Le premier s’est offert un magazine à son nom « Patrick ». Tiré à 240.000 exemplaires, le gratuit a été conçu par deux ex rédacteur en chef de Humo, Guy Mortier et Jörgen Oosterwaal. Quant à Meyrem Almaci, l’ambition est plus modeste, puisque son magazine éponyme a été tiré à 2000 exemplaires. Les deux titres nous font immanquablement penser aux people magazines que sont GDL et Erik!

«Un click n'est pas un vote»
Une chose est sûre nous dit Jean-Luc Walraff: «un click n'est pas un vote. Un Like sur Facebook se rapproche un peu plus de l'adhésion mais il y a fort à parier que ce ne sont pas ces perles qui circulent sur le net qui vont faire la différence dans les urnes. Ce qui est le plus frappant, c'est l'absence dans ces messages sur les réseaux de contenu proprement dit.» Un constat que partage Michel Henrion, bloggeur et analyste politique, pour qui, «une des tendances de cette campagne est la disparition des programmes politiques. Alors que cette force qu'est le web social offre une occasion unique d'entrer réellement en contact avec les citoyens, on retrouve quasi systématiquement les même thèmes, comme la sécurité ou la mobilité par exemple, mais c'est tellement creux. Il n'y a aucune promesse d'avenir, aucune vision. On pourrait s'attendre à ce qu'un élu ou futur élu partage des photos sur un chantier important de la commune par exemple. Mais rien de tout ça.»  Pour Michel Henrion, «ces buzz électoraux sont une nouvelle marque de fabrique belge». «On n'imaginerait pas ce genre de choses en France ou aux Pays-Bas. Je repense à cette affiche où un candidat affiche son numéro de liste à côté d'un bac de bières. Il n'y a qu'ici qu'on est capable de faire ce genre de choses,»  précise-t-il.

Des apprentis sorciers
Ce phénomène s'explique en grande partie par le manque de connaissances des politiques locaux de ces nouveaux outils. «Certains confondent même Twitter et le sms, » ironise Michel Henrion. «Des candidats ignorent en effet qu'il faut avoir des personnes qui vous suivent sur Twitter si vous voulez les toucher. Une bonne partie de l'électorat communal en plus ne se trouve pas sur ces réseaux. L'impression que tout cela me donne est que nous vivons une période de transition. L'affichage traditionnel est en train de disparaître. Certaines communes en ont fait le choix, comme Namur, Andenne, Braine-l'Alleud ou Chaudfontaine. Dans six ans, ce phénomène se renforcera encore. Ceci dit, je pense qu'on ne gagne pas une élection sur les réseaux sociaux. Ce qui fonctionne finalement le mieux, ce sont les méthodes traditionnelles, comme le porte à porte. Le cas de la N-VA est frappant à ce sujet.»    Un moment de transition donc en sachant que sur le net, il n'y a pas de recette miracle. «Je pense que les trois éléments qui me semblent indispensables à une communication efficace», nous dit Jean-Luc Walraff,«est l'impact d'abord, en se démarquant d'une manière ou d'une autre, une musique ou une touche graphique par exemple, la pertinence ensuite et enfin l'empathie ou l'émotion. Ces trois éléments réunis peuvent avoir une force de frappe importante.»

L'ombre des agences de communication
Une des particularités de la communication pour ces élections communales est en grande partie le libre cours laissé par les partis fédéraux à leurs élus locaux. Certaines agences ont bel et bien entouré une nouvelle fois les quartiers généraux politiques pour ce scrutin mais de façon moins spectaculaire. C'est la société 2sur2 par exemple qui s'est chargée du spot TV du PS. Du côté d'Ecolo, on a fait appel à Aplanos, spécialisée dans le graphisme. Le MR s'est entouré des conseils de Shake et le cdH de Globule Bleue. Côté flamand, Salvo a travaillé avec Groen, GutzandGlory avec le sp-a, Saatchi&Saatchi avec l'Open VLD et Famous avec le CD&V.
Mais la tendance est de faire un maximum de choses en interne désormais. «C'est quand même deux mondes qui s'entrechoquent,» reconnaît Jean-Luc Walraff. «Le discours de la pub s'accomode très mal avec celui de la politique. C'est difficile de réduire l'action politique à un slogan. Même si aujourd'hui, c'est un peu ce qui se passe en politique aussi. Tout va toujours plus vite. Les discours ont tendance à se faire plus réducteurs que par le passé. Et les réseaux sociaux participent à cette accélération du temps. Je suis un passionné de politique et je pense qu'il faut revenir à un temps de communication différent.»

Le cas Bart de Wever
Mais le phénomène de cette campagne reste sans aucun doute le leader de la N-VA, Bart de Wever, champion de la communication. C'est l'ombre de l'agence DVN qui plane sur cette stratégie payante car largement commentée depuis des semaines déjà. Du côté de la N-VA, on refuse tout commentaire sur les ficelles de cette campagne. Le slogan du parti nationaliste flamand «De kracht van verandering», la force du changement en français dans le texte, prend une dimension particulière quand on le lit en lien avec le régime alimentaire drastique suivi par son leader. «De Wever incarne en effet au sens propre son slogan. Je pense aussi au slogan 'Denken. Durven. Doen' qui sonne comme un roulement de tambours. On entend dans ce slogan les tambours et on voit les drapeaux flamands volés, qui renvoient à une image traditionnelle de la Flandre, repliée sur elle-même,» commente Jean-Luc Walraff.   Pour Michel Henrion, la force de cette campagne de la N-VA repose d'abord sur la campagne d'affichage réalisée il y a quelques mois.«C'est un parti riche qui a donc fait une grande campagne de communication avec des affiches 20m². Les autres partis ne font plus ça depuis quelques temps déjà. Et puis, surtout, les nationalistes flamands font une campagne à l'ancienne, militante, basée sur le porte à porte. Dans chaque commune, c'est un véritable défilé de barbecues, de spaghettis, d'événements ludiques proches des gens qui sont organisés par le parti. C'est un travail de fond qui demande beaucoup d'énergie mais qui a été payant par exemple pour le PS en 2010.» Rendez-vous le lendemain de l'élection pour l'heure des vrais bilans!

Trois questions à trois agences

Philippe Romain est le CEO de Shake (collaboration avec le MR), Marc Fauconnier le CEO de Famous (collaboration avec le CD&V) et Xavier Lechanteur le co-fondateur de 2sur2 (clip de campagne pour le PS).

Que vous laissent comme impressions les vidéos et affiches communales qui font le buzz sur le net?
Philippe Romain: “Pour les candidats, vu leur nombre important dans un scrutin communal, il est très difficile de se faire entendre. Et donc pour se démarquer, on tombe en effet sur des choses qui frôlent l'aberration complète. On voit que beaucoup de choses sont faites à la va-vite, sans fil rouge sérieux. »
Marc Fauconnier: “Je trouve que c'est très positif que les candidats se montrent créatifs et bousculent la façon dont les partis ont jusqu'ici communiqué. C'est fini le temps où tout se décidait depuis Bruxelles. Ceci dit, le niveau de la créativité est très souvent très modeste! C'est donc un sentiment en demi-teinte.»
Xavier Lechanteur: « Cela me laisse le sentiment d'un manque d'ambition et d'un manque de moyens. Nous sommes dans une période de crise et c'est sans doute mal vu de mettre beaucoup d'argent dans un film. Je reste convaincu qu'il y a des choses intéressantes qui ont été faites mais qui sont restées discrètes. J'ai été particulièrement marqué par un clip ridicule d'un candidat de la N-VA, ridicule mais toute la Flandre l'a vu!»

Quels conseils pour un clip pertinent sur le net?
Philippe Romain: “L'erreur à ne pas faire est de vouloir en faire trop. Il faut utiliser chaque média pour ce qu'il est. Il est préférable de faire quelque chose de simple mais bien fait plutôt que l'inverse. Les boîtes aux lettres sont surchargées de tracts électoraux. Le mieux est de choisir une ligne claire de propositions et de profiter des nouvelles forces du web.
Marc Fauconnier: “La simplicité! Être pertinent, c'est être simple. Les nouveaux médias semblent assez complexes mais finalement pour se démarquer, c'est encore la simplicité qui est payante. Et puis aussi, la qualité du contenu. Il faut être pertinent et relevant par le contenu.
Xavier Lechanteur: “Le plus important reste le contenu. Les citoyens sont en attente de contenu. Je pense qu'il faut s'inspirer de ce qui fonctionne. Il n'y a pas de mal à copier, ce n'est pas plagier. Pour un candidat politique, le champ créatif est limité et il ne faut pas chercher l'originalité à tout prix. »

Comment qualifier la relation entre la sphère politique et les agences de communication?
Philippe Romain: “Beaucoup de candidats estiment qu'ils sont capables de trouver un bon slogan seul et échafaudent des solutions sans se faire conseiller. Ceux qui nous consultent ont souvent tendance à sortir: faites-moi un buzz. Ce à quoi je réponds: dites-moi d'abord ce que vous voulez! C'est vrai que parfois, on a du mal à se comprendre.
Marc Fauconnier: “Les politiques se réveillent et se rappellent à nous à l'approche des élections. C'est un classique! C'est une relation qui ne dure bien souvent que quelques mois. C'est donc assez spécifique. Notre rôle est surtout de booster la créativité. On peut rapidement voir les candidats qui ont fait appel à des créatifs. »
Xavier Lechanteur: “On sait qu'avec des clients de la sphère politique, il faut faire preuve d'une excellence, d'une honnêteté et d'une grande transparence dans l'élaboration des messages. C'est la spécificité de ce genre de collaboration. On ne vend pas des aspirateurs mais des idées! »