La créativité radio à bout de souffle?

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Avec une pyramide des voix qui s’affaiblit et des dialogues et techniques publicitaires de plus en plus standardisés, on se demande ou sont passées les plumes aiguisées des créatifs en radio. Pourtant, le média, qui fête ses 100 ans, se révèle être en bonne santé. Les annonceurs qui choisissent de développer une présence sur les ondes observent un retour sur investissement satisfaisant.

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Les budgets alloués par les marques dans la création ont toujours été inférieurs en ce qui concerne leur communication sur les ondes, et la radio apparaît un peu comme le parent pauvre. Les entreprises privilégient la rentabilité. Si les spots télévisés s’importent facilement, les spots radio exigent davantage d’ancrage local. Alors que nos voisins rivalisent de créativité en télé à coup de millions, les créatifs belges semblent s’être spécialisés dans la communication publicitaire sonore, là où le marché semble moins saturé… Et là où des prix sont à prendre. Mais qu’en est il aujourd’hui? S’il fut un temps où le média était plein de promesses, on ne peut s’empêcher de constater que les textes aujourd’hui rentrent dans des canevas bien construits et que les voix qui chatouillent nos oreilles sur les chaînes belges se suivent et se ressemblent.

UN MODÈLE STANDARDISÉ

Les années 2000 ont été fastes pour la créativité en radio, d’après Philippe Ledent, compositeur au studio Think&Talk. Jusqu’à 2007, quand, crise oblige, les annonceurs se sont fait plus frileux. « C’est un problème de prise de risque, quand chaque sou investi doit être rentabilisé, on est moins audacieux. En période de crise.» Cependant, il est certain que la radio a encore de beaux jours devant elle. La RMB, pour qui la créativité des spots est importante, n’a jamais cessé de croire en la richesse du média radio.

ON NE PEUT PAS DIRE QUE LA CREATIVITE EST A ZERO! Sandrine Christodoulou

« La radio connait un succès toujours grandissant. Le sentiment que la créativité s’affaiblit vient du fait que ces dernières années, une floraison d’annonceurs sont arrivés sur le média, ce qui donne l’impression d’entendre souvent la même chose, » explique Sandrine Christodoulou, directrice de l’audiovisuel à la RMB. La radio, qui est un média très réactif et peu coûteux, a attiré beaucoup de monde sur les ondes. « La créativité est toujours présente, certains annonceurs continuent de se démarquer de façon originale. En terme de volume, c’est autre chose… » nous dit notre interlocutrice. Il faut aussi prendre en compte le besoin des marques d’avoir un retour sur investissement positif, et ce parfois dans de courts délais. C’est une des raisons qui explique, selon BernardVandenhoofden, technology manager à la RMB et professeur de création radio à l’IHECS, la perte de l’originalité donnée aux spots. « Les annonceurs cherchent à faire du profit rapidement. La radio est devenu un média d’activation, on va moins l’utiliser pour des campagnes de notoriété qui nécessiteront un travail créatif plus important que l’annonce d’une promo. » Et Sandrine de rajouter « Il faut se laisser du temps pour permettre aux créatifs de porter un spot à maturité ». La crise a également eu un effet indéniable sur les budgets publicitaires, dont ceux qui permettaient d’employer des créatifs.
Chez d’autres cependant, la situation n’est pas perçue avec autant d’enthousiasme. « La créativité en radio s’appauvrit. Beaucoup de nos clients nous présentent des briefings formatés et notre travail créatif sur ceux-ci est très limité. On travaille trop en last minute,» explique Christian Rodrigues, directeur du studio d’enregistrement la Vita e Media. Pour lui, c’est principalement la faute des clients, si les textes sont écrits selon des canevas bien précis, qui perdent en impact et en fraîcheur. « Les accounts et les créatifs doivent éduquer les clients à oser autre chose, à sortir des sentiers battus. 90% des textes aujourd’hui sont des dialogues, mais le média offre énormément de possibilités!» La radio ne serait donc pas exploitée au maximum de ses capacités. En effet le son est modulable à souhait et possède un pouvoir évocateur apte à susciter de l’émotion chez l’auditeur, qui est souvent délaissé au profit de voix percutantes et reconnaissables animant un dialogue pauvre en subtilité.
LES HOMMES ÉCRIVENT POUR LES HOMMES. Natacha Manco

Les voix qui tournent dans le paysage radiophonique belge nous sont familières, pourquoi donc si peu de diversité dans le milieu? « Chez TBWA, nous possédons deux studios en interne. Des sessions d’enregistrement organisées pour de nouvelles voix sont souvent au programme, nous accordons de l’importance à trouver la voix qui collera le mieux à l’esprit du spot,» nous dit François Daubresse, directeur créatif chez TBWA. « Malheureusement un comédien sorti d’une école de théâtre ou de cinéma n’a pas comme idée première de venir en radio. Le métier est peu valorisé. Certains acceptent de tenter leur chance et on découvre parfois des gens qui sont bons, très bons, comme ça a été le cas avec Patrick Ridremont, par exemple.» Nous enregistrons ensuite le même constat chez nos interlocuteurs, qui expliquent que le métier est très difficile et que les comédiens amateurs ne rendent pas le même résultat que la cinquantaine de pros qui jouent aujourd’hui en Belgique. L’annonceur privilégiera l’efficacité d’une voix aguerrie. « Mieux vaut travailler avec un échantillon de voix restreint qu’avec des comédiens moins qualifiés,» renchérit Sandrine. Et Bernard de clôturer « Avec un pro, en dix minutes, le spot est emballé.» Natacha Manco, productrice francophone chez Think&talk nous fait remarquer en plus de cela que la plupart des voix sont masculines. « Les femmes ont perdu un ou deux tiers de boulot. Il n’y a plus de scripts pour elles, car les hommes écrivent pour les hommes.»

QUELLE SUITE?

Dans un cadre communicationnel, qui demande toujours d’aller plus vite et d’être le plus efficace possible pour un coût réduit, la radio est le média idéal: flexible, économique, activateur… Mais quel futur doit-on imaginer au niveau créatif? «Je suis convaincu que la radio évolue d’elle-même avec la société. Prenez le thème du confessionnal et du curé, il y a cinq ans, c’était très utilisé en radio. Aujourd’hui ce type de dialogue est tombé en désuétude et l’évolution des textes et des techniques radio s’activent dans un processus naturel,» nous dit Bernard Vandenhoofden. Du côté de Christian Rodrigues, les choses se font plus pressantes « Le média est en bonne santé pour le moment, mais si on continue comme ça, cela ne va pas durer. Tout le monde va faire la même chose et l’impact attribué à un spot en particulier baissera.» C’est pourquoi Christian a fait naître au sein de son studio un projet destiné à rajeunir la mécanique créative qu’il juge enraillée. Les « Young Lions », groupe de jeunes, pour l’instant composé de Till de Saeger et Aurélien Genot, tout deux étudiants à l’IHECS en dernière année et stagiaire à la Vita e Media, prend forme tout doucement. « Les Young Lions ont pour vocation d’aider les créatifs et les clients à voir leurs spots sous un angle plus jeune, plus créatif. L’idée est de les conseiller, de faire du brainstorming intelligent. La prochaine étape sera le lancement de notre site web.»
Que le constat sur la créativité radiophonique belge soit plus ou moins positif, il est certain que celle-ci a de beaux jours devant elle. Avec des initiatives dynamiques telles que les Young Lions, des annonceurs fidèles bien implantés sur le média et des régies confiantes, on peut espérer des améliorations qualitatives de la publicité sur les ondes. Comme chaque média, même si la situation est stable, la radio aura besoin de se renouveler pour rester dans la course.

Ridremont, l’homme aux 1.000 voix
On ne présente plus Patrick Ridremont. Comédien, réalisateur, animateur et prof, Mr Radio a mis sur sa tête d’agité goguenard à peu près toutes les casquettes que son talent lui permet. Il n’est pas un jour sans que l’on entende sa voix sur les ondes. Du sucre, des snacks, des jeux, des voitures, des banques ou des bières, tout y passe. Sauf un secteur auquel Ridremont refuse de prêter sa voix: la politique. « J’ai un ami qui m’a demandé de faire la voix de son site, j’ai refusé. Je suis non estampillé, les hommes politiques sont tellement revanchards et paranoïaques, » se justifie-t-il.

Son diplôme de l’IAD en poche, Patrick alors âgé de 24 ans fait un premier essai au studio Blue Cry, pour le docu d’un étudiant également sorti de l’IAD. « C’a été très rapide. Une semaine après, j’enregistrais ma première pub pour un film. J’avais une voix de coincé du cul de la bouche!» Se rappelle-t-il en riant. C’est Canal+ Belgique qui lui ouvrira les portes d’une carrière de comédien radio. Le jeune coincé maîtrise de mieux en mieux sa voix. Il ne fait que les voix off, puis petit à petit, il se prend au jeu de la comédie, dans le registre qu’on lui connait aujourd’hui.
Son emploi du temps de ministre, trusté par ses cours à l’IHECS et l’écriture de son prochain film, lui laisse quand même le temps de poser sa célèbre voix sur les spots qui l’inspirent. « Je fais une pub par semaine, il m’arrive d’en faire trois sur la journée.» Cherchez la voix…