Bienvenue à la foire aux injures

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KRIS POTECela n’a pas manqué : à l’occasion de l’élection de la toute nouvelle Miss Belgique, Angeline Flor Pua, les injures racistes ont de nouveau fleuri sur les médias sociaux. On pouvait d’ailleurs s’y attendre : les réseaux sociaux fourmillent de reproches et d’injures. Peut-on facilement expliquer ce phénomène ? Sans aucun doute.
Les médias sociaux offrent une distance physique qui constitue une forme de protection. Tout comme notre voiture représente une armure qui nous protège des autres conducteurs et qui explique pourquoi nous allons plus facilement multiplier les gestes injurieux ou adopter un style de conduite « agressif », Facebook et Twitter sont des forums de discussion où peut régner l’anonymat. Vous pouvez vous camoufler derrière un avatar affublé d’un pseudonyme bidon, comme jadis dans le jeu vidéo “Second Life” (si quelqu’un s’en souvient encore ?), et dès lors, vous n’avez rien à craindre dans l’immédiat pour votre propre sécurité physique. Certaines barrières psychologiques tombent alors, ce qui fait que des émotions jusque-là profondément enfouies peuvent s’exprimer sans contrainte.
À cela s’ajoute que les messages postés sur les médias sociaux sont très volatiles. Vous écrivez quelque chose sur un coup de tête et immédiatement votre message sera noyé sous d’innombrables réponses et réactions. Personne ne remarquera dès lors que vous vous contredisez souvent, ou tout simplement que vous faites d’une vérité un mensonge. L’ancien adage latin selon lequel les paroles s’envolent et les écrits restent est irrémédiablement dépassé sur les réseaux sociaux. Facebook regorge d’hyperboles narcissiques et de manifestations d’autosatisfaction, mais aussi d’insultes brutales et d’interruptions grossières. Des interruptions, en effet, car sur les médias sociaux, les gens parlent en écrivant : ils écrivent dans une langue parlée, qui leur permet de s’exprimer plus rapidement et avec plus d’intensité.
Si tous les utilisateurs des médias sociaux étaient véritablement conscients que leurs médias favoris reposent en fait sur un modèle commercial (et donc rentable pour un nombre très limité de personnes), ils ouvriraient peut-être les yeux. Peut-être, car beaucoup d’entre nous ne s’en préoccupent guère. Cela n’empêche pas que les propriétaires des sites des médias sociaux doivent veiller à des codes déontologiques et agir pour préserver la décence de leurs médias. Jusqu’à présent, ils se sont montrés trop timorés à cet égard. Derrière les médias sociaux se cachent les géants des technologies de l’information qui devraient respecter les obligations (légales) des entreprises médias classiques. Qui, dans la classe politique, osera s’y attaquer ?
Et dans la « vie réelle », se comporte-t-on différemment que sur Facebook? Il suffit de se rendre à un match de football entre des équipes de jeunes d’une série régionale et d’entendre comment les parents (oui, les parents) se déchaînent contre l’arbitre, contre leur adversaire et même contre leurs propres enfants : les propos racistes, dénigrants, agressifs, le grand n’importe quoi et la foire aux injures. Dans la « vie réelle », nous nous ne comportons souvent pas autrement que dans la « vie sociale », hélas, trois fois hélas !
Kris Poté, vice-président Capgemini, 17/1/2018