La force d’une longue vie commune

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Nous rencontrons les époux Philippe Belpaire et Vé Bobelyn dans la librairie « Boekenhuis Theoria » à Courtrai. Il est directeur de Roularta Media à Zellik, elle est directrice de la maison d’édition VBK België à Anvers, ils habitent Assenede, juste au dessus de Gand. Ils n’habitent donc pas ni ne travaillent dans ce quartier, mais Vé adore cette nouvelle librairie (située dans un ancien casino) où l’on peut également boire un café et manger un bout. C’est l’endroit élu pour notre rencontre, un samedi soir, dans le centre de Courtrai.

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Philippe Belpaire a passé presque toute sa carrière chez Roularta. Après deux ans chez Kredietbank – aujourd’hui KBC – il était entré chez Roularta avec CD-Idee, une joint-venture avec BMG-Ariola et le précurseur de Media Club. Les cd de BMG-Ariola étaient vendus dans les magazines de Roularta par des publicités contenant des bons. Plus tard, l’activité s’est étendue à des produits venant d’autres producteurs de disques. Quatre ans plus tard, Philippe est devenu éditeur chez Roularta Books. Ensuite, lorsque le département a déménagé à Roeselare, il est passé à la régie publicitaire nationale Roularta Media. S’il a commencé comme account manager, il en est aujourd’hui le directeur.

Vé Bobelyn a connu un parcours plus sinueux. Elle vient du secteur des soins de santé, voulait faire autre chose et a décroché un poste dans le marketing pour des entreprises de mode (ZEB et e5) avant d’atterrir dans le monde du livre. Elle a d’abord été directrice marketing pendant trois ans chez Standaard Boekhandel, et cela fait maintenant quatre ans qu’elle est directrice générale de VBK België.

La question obligatoire pour commencer : où vous êtes-vous rencontrés ?

Vé : « A un stage de langue ! Philippe y donnait cours, et j’y participais. Quelques années plus tard, nous nous sommes recroisés à un concert à Bruxelles et nous sommes progressivement devenu un couple. Cela fait désormais 28 ans que nous sommes ensemble et 25 ans que nous sommes mariés ! »

 

Que faut-il savoir sur VBK ?

Vé : « Nous sommes responsable du marketing et de la vente des livres de VBK, ce qui regroupe des maisons d’éditions telles que Ambo Anthos, Atlas Contact, De Fontein, Luitingh-Sijthoff, VBK Media et Van Dale. J’adore l’étendue de notre offre. Nous publions les livres d’auteurs comme Jeroen Brouwers, tout comme des grands noms de la littérature internationale, comme Foer et Nicci French, mais nous faisons aussi dans le livre de cuisine, comme ceux de Jamie Oliver. Avec la maison d’édition anversoise Houtekiet, nous faisons nos propres éditions, c’est vraiment passionnant. C’est un travail que j’ai vraiment dans la peau. »

Philippe : « Tous les soirs, elle rentre à la maison ravie. »

Pourtant le domaine du livre, et certainement des librairies aussi, connaît une période difficile. Tout comme le secteur des magasines.

Vé : « C’est vrai que ce sont des secteurs comparables. Il y a une évolution numérique et des nouveaux venus qui bousculent les choses. Mais d’autre part, cela n’a jamais été aussi passionnant. »

Philippe : « Les temps sont durs, inutile de le nier. Il faut vraiment sortir de sa zone de confort. Pour les deux secteurs, l’essentiel c’est le contenu, et dans les deux cas, nous avons des produits émotionnels qui ont un lien très fort avec leur public cible/ leur lectorat. »

Vé : « Dire que les jeunes ne lisent plus, c’est une grosse bêtise. Ils lisent différemment. Pourquoi achèteraient-ils telle ou telle chose ? Comment pouvez-vous, en tant que marque, éveiller leur intérêt ? C’est ça la vraie question. Il y a le flux rapide d’internet et c’est également une génération de jeunes qui a des exigences en matière de qualité. N’exagérons pas non plus la part des e-books. Aux Pays-Bas, ils ont une part de marché de 7%, mais en Flandre, ils ne représentent que 4% et cela reste stable dans l’ensemble. Pour les livres d’auteurs qui veulent des e-books, il faut vraiment examiner toutes les options et réfléchir à de nouvelles choses. Par exemple, nous avons investi dans une formule d’abonnement pour e-books, Elly’s Choice. Mais l’échelle était trop petite et c’est désormais déployé internationalement depuis Londres. Il y a aussi la possibilité d’abonnement Kobo. Il faut encore le tester pour s’assurer, par exemple, que les auteurs perçoivent toujours suffisamment leurs royalties. Les livres audio sont également en plein essor. »

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Bandes-annonces pour livres

Peut-on s’attendre à encore plus de consolidation dans le monde des médias et des livres ?

Philippe : « Certainement. Il faut tenir compte des géants tels que Facebook et Google, bien qu’ils génèrent eux aussi du trafic vers nos sites. En tant que reseller, nous vendons aussi des produits de Google et de Facebook à nos clients/ annonceurs locaux, alors qu’ils sont en parallèle nos concurrents sur le marché publicitaire belge. »

Vé : «  Facebook et Instagram sont les canaux incontournables pour promouvoir les livres. Avec les nouveaux auteurs, nous établissons tout de suite un plan de vente et marketing, bien que cela ne soit pas la garantie du succès. Si les responsables des relations publiques ne s’occupaient que de la presse par le passé, ils travaillent désormais sur tous les canaux. Il a fallu se réorganiser et se former ces dernières années. Ceux qui ont eu peur du changement sont partis, les autres ont tout de suite trouvé le truc ou ont eu besoin de temps et de formations pour s’adapter. Sinon, nous faisons déjà des bandes-annonces pour des nouveaux livres, afin de les diffuser sur les réseaux sociaux. En tant que dirigeante d’une équipe, je dois donner l’énergie nécessaire, et parfois freiner les ardeurs, cela concerne aussi les relations avec les auteurs. »

Philippe : « Chez Roularta Media aussi, nous avons accueilli de nouveaux profils. D’une régie publicitaire pour le print, nous sommes devenus une entreprise cross-média, ce qui a nécessité l’arrivée de nouvelles têtes et ce qui nous a permis d’apprendre des jeunes. Avant, il y avait des vendeurs de pages, aujourd’hui, nos collaborateurs sont des partenaires stratégiques pour les annonceurs qui englobent le print, le numérique, les médias audiovisuels, mais aussi les évènements et la génération de leads et donc les data. L’approche de vente est complètement différente. Nous avons surtout des profils high-end. Comment renforcer les marques grâce à une approche multimédia, c’est toute la question. »

Vé : « Il faut se voir comme des partenaire et oser penser très large. »

Philippe : « En tant que régie, il faut combiner jeunes et moins jeunes, généralistes et spécialistes. Pourtant, pour répondre à la question, il y aura encore davantage de consolidation. Mais ce sera surtout une consolidation intelligente. Nous avec le high-end, Sanoma avec, par exemple, les femmes et la déco. De plus, on constate que les journaux évoluent dans la direction des magazines de week-end, avec beaucoup d’attention apportée à la consommation en ligne pendant la semaine. Cette approche hybride permet aux marques d’actualité de croître ensemble. Cependant, notre matière première reste un contenu fort, basé sur un journalisme de qualité. Avec ça, les annonceurs suivront bien. »

Vé : « Chez nous, ce sont les auteurs qui font les marques, nous devons donc investir en eux. »

BoekhuisKortrijk_fotografieLucHilderson_170304_104707_D503631Travaillez-vous parfois ensemble ?

Philippe : « Oui, ça arrive. Pour des ventes spéciales ou des actions avec bons, il y a parfois des deals entre VBK et Roularta. En réalité, nous nous voyons peu pendant la semaine. Il fut un temps où j’avais souvent des activités en soirée, maintenant c’est plutôt le cas de Vé. »

Cela pose-t-il problème pour votre vie familiale ?

Vé : « Nous avons deux fils, âgés de 25 et 21 ans. Ils ne sont eux-mêmes à la maison que le week-end. »

Philippe : « En tout cas, ils ne nous ont jamais reproché de ne pas être là. »

Vé : « C’est vrai qu’il a fallu bien s’organiser, avec toutes leurs activités extrascolaires. Il y a eu des babysitters, des nannies… Et nous avons toujours une bonne relation avec eux. Ils étudient tous les deux à Gand et le vendredi soir, nous allons manger tous ensemble à Gand et nous les ramenons à la maison pour le week-end. Le samedi matin, nous faisons un grand brunch. »

Philippe : « Nous nous entendons vraiment bien avec eux. Ils viennent avec nous à des concerts, ce sont tous les deux de grands amateurs de jazz. Ils travaillent avec nous aux salons du livre, et parfois, ils partent encore en vacances avec nous. Mais pas trop longtemps ! (rires). Généralement, nous partons trois semaines et ils nous rejoignent pour la dernière. »

Garder l’envie d’apprendre

Est-ce que vous vous plaignez parfois du boulot le soir quand vous rentrez chez vous ? Ou êtes-vous vraiment tout le temps contents ?

Vé : « Chaque semaine, nous faisons deux heures de danse, du tango argentin, et ensuite nous sortons manger un bout pour papoter. Ou alors nous ouvrons une bouteille de vin et nous bavardons. C’est ça l’avantage d’être ensemble depuis longtemps ! »

Quelle est la prochaine étape ? Ouvrir un B&B dans le sud de la France ? Ou un coffee shop ?

Philippe : « Pas dans l’immédiat (rires) ! Tant que la passion est là – et elle y est – nous continuons à faire ce que nous faisons. Il faut garder l’envie d’apprendre. Si vous n’apprenez plus rien, cela diminue votre satisfaction au travail. »

Vé : « J’ai un travail où je me dis ‘oui, je pourrais vieillir ici’. Cela demande beaucoup d’énergie, il faut trouver un bon équilibre. Nous sommes tous les deux encore en forme et nous apprenons à nous satisfaire des petites choses. Si toutefois je devais tout de même changer de travail, ouvrir une librairie comme celle-ci me semble tout indiqué. Nous sommes tous deux de grands lecteurs. »

Philippe : « Il faut avoir une affinité avec les produits que l’on vend, cela permet de les proposer avec enthousiasme. »

Vé : « C’est une condition sine qua non. Les auteurs sentent bien si vous êtes motivés ou pas. Lorsque j’engage des gens, lors de la dernière phase de sélection, je regarde si les candidats ont une perspective suffisamment large et s’ils ont suffisamment de compétences émotionnelles. »

Philippe : « Je fais exactement la même chose. »