La pub se prête au jeu

La pub se prête au jeu - intro beeld - pub9-2013

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Les initiatives combinant publicité et univers ludique se multiplient à l’étranger. Devant les atouts que présente cette pratique, certaines applications se complexifient même, s’inspirant des mécanismes qui animent les jeux vidéos. Malgré tout, les annonceurs belges ont apparemment encore du mal à se laisser convaincre.
Si son principe est plutôt simple, Candy Crush tire principalement sa force des réseaux sociaux: le participant peut partager ses scores. Et tente de faire toujours mieux que ses amis.

Selon la Belgian Entertainment Association (BEA), qui regroupe les associations de l’industrie du divertissement en Belgique, les Belges ont acheté près de six millions de jeux vidéos en 2012, principalement pour des consoles. Olivier Maeterlinck, directeur de la BEA Interactive, complète: « Ces chiffres ne contiennent que les résultats des ventes de jeux physiques. Une étude a montré qu’au moins un tiers des joueurs belges jouait en ligne. Les éditeurs de jeux proposent donc également leurs jeux pour internet, les plates-formes en ligne et les tablettes. » Autre information d’importance: il est régulièrement observé que les applications téléchargées sont majoritairement des jeux. L’Homme moderne serait donc un gamer.

LA GÉNÉRATION ACTUELLE EST TRÈS ENCLINE À JOUER. Denis Libouton
Et par homme, il faut entendre un être humain au sens large. Parce qu’il est bien loin le temps où le jeu vidéo était l’apanage de jeunes garçons boutonneux, scotchés du matin au soir et du soir au matin à leur console ou leur ordinateur. Pour preuve, l’Interactive Software Federation of Europe (ISFE) a publié fin 2012 une étude sur la consommation de jeux vidéo dans seize pays européens, dont la Belgique. La population de joueurs belges est composée à 54% d’hommes et à 46% de femmes. Les plus grands joueurs sont des hommes, âgés de 25 à 34 ans (13%), soit la génération née avec ce type de divertissement. Plus d’un quart des adultes (26%) jouent chaque semaine. D’ailleurs dans notre pays, les parents jouent aussi aux jeux vidéo: c’est que 62% ont des bambins qui y jouent, du coup, ils sont 37% à jouer en famille. Les raisons généralement invoquées sont le fait que les enfants le demandent (32%), pour passer du temps avec eux (31%), parce que c’est une chouette activité à faire ensemble (24%) et que les parents aiment jouer avec leur progéniture (24%). Bref, jamais nous n’avons tant joué. Une tendance qui ne risque pas de ralentir vu la multiplication des appareils qui le permettent: consoles pour tous les publics, jeunes ou moins jeunes, masculins ou féminins, mais aussi smartphones et tablettes qui permettent d’agiter les doigts tout le temps et partout. Les marques auraient donc raison de s’intéresser au filon.

DES VOLUMES CONSEQUENTS
Jeux vidéo et pub, le mariage n’est pas neuf. Les premiers banners ont commencé à s’afficher autour des stades du jeu de football Fifa (EA Sports) dès les années ’90. Une forme de placement de produit en somme, appelé « in-game advertising ». Si celui-ci évolue avec l’avènement des consoles connectées, lui permettant de modifier le message ou le produit présenté au fil du temps, c’est un tout autre mouvement qui est dorénavant en marche. Parce que l’un des inconvénients de l’in-game advertising, c’est que la marque est complètement dépendante du jeu auquel elle est intégrée, soumise aux exigences de l’éditeur, à sa distribution, à sa segmentation, etc. Les marketeers trouvent alors la parade: développer leurs propres jeux, entièrement axés sur la marque à promouvoir. Jeu en ligne sur le site du label vanté, jeu viral, application mobile, affiche ou spot interactifs, machine amusante à utiliser, événement ludique,… Les formes que peuvent prendre ces divertissements sont innombrables, mais toutes reprises sous le même terme: on parle de gamevertising ou d’advergaming.
Si l’intérêt pour cette pratique connaît une poussée de croissance ces dernières années, ce ne serait pas uniquement dû aux avancées technologiques. Denis Libouton, Business developer chez Emakina Genève et professeur de marketing digital à CREA, école suisse de marcom’, observe: « La génération actuelle est la première à avoir connu une aussi longue utilisation du jeu vidéo. Son esprit a acquis certains réflexes qui le rend plus enclin à participer. Les volumes de population que nous pouvons potentiellement atteindre par ces variantes du gaming en valent désormais la peine, en regard des investissements que leur développement exige. » Voilà peut-être pourquoi ces jeux, au départ sans stratégie bien précise, poussent aujourd’hui la réflexion bien plus loin, jusqu’à adopter les mécanismes de leurs grands frères jeux vidéos. Cela passe par le processus de la gamification (ou ludification), soit l’adoption des mécanismes et techniques mis en œuvre par les développeurs pour réellement engager les joueurs.
Le jeu Star Player, développé par Heineken, propose une expérience de gaming relativement complète. Limite de temps, points, classement,... Tout pousse à engager l'utilisateur.
OPERATION GAMIFICATION
Gabe Zicherman, entrepreneur, auteur et conférencier américain, est devenu le maître à penser de la gamification. Dans son livre « Gamification by design », il explique que ce principe aide à aligner les motivations des développeurs (ou des annonceurs pour lesquels ils travaillent) avec les motivations intrinsèques des utilisateurs. Ces motivations qui les poussent à tester un jeu, à revenir vers ce dernier et à le partager avec leurs amis. Lucien Christ, Information Architect chez Emakina, détaille: « Il ne suffit pas de ressembler à un jeu vidéo pour en posséder les qualités. Les concepteurs se servent de principes étudiés par la philosophie cognitive et environnementale pour mettre au point leurs créations. Et placent toujours le facteur humain à l’avant-plan. » En effet, le jeu est dans les gênes de n’importe quel être. Il fait partie de l’enfance, remplit un rôle essentiel dans l’apprentissage et répond à différents besoins tout au long de la vie. Le tout est donc de poser le doigt sur ce qui encourage le consommateur à persévérer dans l’utilisation de l’une ou l’autre application.

LE JEU SERT AUSSI A VULGARISER DES MATIÈRES COMPLEXES. Lucien Christ
Parmi les grandes lignes qui nourrissent la motivation, l’on compte: l’objectif final et les règles à respecter; le feedback immédiat qui témoigne de l’accomplissement; le storytelling, l’environnement dans lequel on a envie de se laisser embarquer; la boucle de progression, les niveaux de plus en plus complexes à franchir; la boucle d’engagement, le challenge de devoir réaliser des tâches éprouvantes mais pas insurmontables. Il ne reste plus qu’à savamment manier tout cela, et à l’utiliser à plus ou moins forte dose selon le degré de complexité qu’on veut atteindre. Parce que la gamification est partout! Les compagnies aériennes et leurs fameux « miles » à collectionner ont été parmi les premières à le comprendre. Pensez aussi à la barre de progression qui indique que vous avez presque complété votre profil sur LinkedIn, ou au système de points de WeightWatchers. Ou encore au rating que vous pouvez obtenir si les autres votent pour vous sur eBay. Par ce principe, le site compte sur une autre valeur importante aux yeux de l’homme: la reconnaissance sociale et le statut. « Qualité » qui devient aisément communicable à son entourage grâce aux réseaux sociaux. Ces médias amplifient le phénomène puisqu’ils permettent de montrer qui est le meilleur à l’instar de Candy Crush. Certains programmes de formation ou de recrutement sont aussi « gamifiés ». Chez Subway par exemple, les collaborateurs confectionnent d’abord virtuellement les sandwichs, ce dans un temps imparti. Chaque fois qu’ils optent pour la bonne garniture, ils accumulent des points. Ils s’amusent, ont envie de faire toujours mieux et s’entrainent par la même occasion. De son côté, L’Oréal a mis au point des business games qui plongent les candidats dans des univers virtuels correspondant à divers domaines d’expertise. Les épreuves qu’ils résolvent permettent d’évaluer à quel poste ils conviennent le mieux.

PROLONGER LE CONTACT
La vocation première de la gamification est donc d’augmenter la motivation des personnes à rentrer dans un programme. Or, plus le moment lui paraît agréable, plus longtemps il y reste, plus souvent il y revient et plus il s’y implique. Logique qui peut naturellement être appliquée dans la publicité, variant en fonctions des desseins visés.
En effet, l’aspect ludique aide clairement à attirer les utilisateurs, à capter leur attention pour la porter sur un produit, un site ou un message. Il augmente le capital sympathie de la marque, mais surtout lui offre l’opportunité de bénéficier d’un contact prolongé avec son public. En ce sens, il devient un moyen de maintenir l’intérêt de l’utilisateur suffisamment longtemps pour laisser une chance à un message de passer. Un critère d’autant plus important si le message en question est long et compliqué. Par ailleurs, orienté preuve, un jeu a également davantage d’impact qu’une simple affirmation constamment martelée. Prenez Volkswagen qui, en 2011 en Norvège, souhaitait démontrer à quel point la Golf Bluemotion était peu gourmande en énergie. Elle a alors imaginé un jeu sur Facebook via lequel les internautes pouvait parier sur la distance que le véhicule couvrirait avec un plein. Ainsi pour vérifier leurs estimations, 50.000 personnes ont suivi le parcours que la voiture a ensuite effectivement réalisé. Et puis il y a les divertissements qui servent à sensibiliser, comme la banquise virtuelle et ses ours polaires imaginée pour le WWF. Ou ceux qui permettent de remporter des bons de réductions, drainant alors le public au point de vente.
Les cas mentionnés ci-dessus sont relativement peu poussés et répondent à une stratégie court-terme. Mais certains annonceurs ont fait le pas de mettre en place de réels petits jeux vidéos, à l’instar de Heineken et son « Star Player ». Cette application, développée en partenariat avec l’UEFA Champions League et permet de pronostiquer les résultats des footballeurs, exploite visiblement les mécaniques du jeu. Comme les utilisateurs interagissent avec leur écran de télévision en direct, ils doivent répondre dans le temps imparti. A chaque bonne prévision, ils gagnent des points et apparaissent dans un classement européen. Scores qu’ils peuvent partager avec leurs proches sur les réseaux sociaux. Une expérience particulièrement engageante qui prend place dans l’univers vert de la bière.

JOUER, C’EST DU SERIEUX
Malgré tout leur potentiel, le gamevertising et, surtout, la gamification n’en sont encore qu’à leurs balbutiements sur le marché belge. Il est vrai que les coûts demandés pour façonner une « game experience » restent encore importants. Chacun attend que l’autre se mouille, n’osant prendre de risques, à tel point que les ressources pour développer le domaine viennent à manquer.
Mais c’est aussi un manque de compréhension qui pose problème: « Le mot jeu fait peur. Il souffre d’une absence de crédibilité. On ne l’imagine pas lié à un vrai savoir-faire et une pratique sérieuse, » regrette Lucien Christ. « C’est particulièrement vrai lorsque nous adressons nos propositions aux hautes sphères de décision. Certains secteurs, comme les banques, ne se sentent tout simplement pas concernés. Alors que justement, le jeu sert aussi à vulgariser et faire comprendre des matières complexes, comme la finance. Le système de l’épargne lui-même ressemble aux processus mis en place dans le jeu… » C’est tout le volet cognitif de la gamification qui semblent encore échapper aux marques.
L’advergame de masse
Parmi les multiples formes que peut adopter l’advergaming, Skemmi, spin-off de l’Université Catholique de Louvain fondée en 2013, en propose une en particulier: le développement d’expériences multimédia interactives de masse. En d’autres mots, il s’agit de permettre à la foule d’un événement, qu’il accueille 50 ou 2.000 personnes, d’interagir avec un écran et d’intervenir dans ce qu’il diffuse. Seat l’a expérimenté il y a peu. La petite société lui a conçu un jeu vidéo sur mesure, dans lequel une Leon évolue sur une route, devant récolter des objets et éviter des obstacles. Cette animation est diffusée sur les écrans géants de salles de cinéma… et ce sont les spectateurs qui, depuis leur siège, dirige le véhicule en agitant les bras. Point de magie; tout repose sur une plate-forme composée d’une série de capteurs qui extraient et analysent toutes les informations qui leur sont présentées. Sons, couleurs, mouvements,… sont traités pour ensuite être transformés en actions à l’écran. Un moment court mais riche en émotions pour l’auditoire, qui se retrouve plongé dans un environnement « gamifiant » le dernier spot de la marque. Et qui traduit l’esprit jeune, fun, bref le principe d’« enjoyneering » de cette dernière.
L’outil peut également servir des projets éducatifs. Ou la communication corporate d’une entreprise, lors de formations, de séminaires, etc. La participation des « spectateurs » peut être tout autant individuelle que collective, ce dans un esprit collaboratif ou compétitif. Sur base du briefing de départ, le jeu adéquat sera créé. Et dans tous les cas, « l’aspect ludique amplifie le degré d’attention, le but à atteindre motive et le tout génère des émotions, pour une meilleur rétention du message transmis, » argumente Lionel Lawson, fondateur de Skemmi. Il faut dire que l’entreprise est née pour valoriser les résultats technologiques d’années de recherches dans le domaine des interactions homme-machine. « Notre savoir-faire nous permet de comprendre comment faire passer un message. Mission d’autant plus délicate dans le domaine de la publicité puisqu’il s’agit de fédérer des personnes qui ne sont pas venues pour cela. »
A. G.