Radio / L'image des radios francophones
La sémiométrie montre comment les auditeurs voient leurs radios préférées. Ces perceptions rencontrent-elles la façon dont se définissent les radios? Comment se sont construites les identités de ces dernières aujourd’hui devenues de véritables marques?
· Se positionner là où les autres ne sont pas
· Coller aux attentes du public avant tout
· Du ton au site web, l’identité de marque est partout
« Fonder l’identité d’une radio, c’est trouver l'équilibre entre ce que nous avons envie d’être et ce qu’attendent les différents profils de nos auditeurs, » souligne Eric Adelbrecht, directeur des radios RTL. Or, aujourd’hui « nous sommes une entreprise commerciale dont le but premier est la performance. Nous ne pouvons plus fonctionner à l’intuition. Nous devons correspondre à ce que l’on veut de nous. » Dans les années 2000, Bel RTL et Radio Contact connaissent une perte de vitesse du fait principalement du repositionnement de leurs concurrentes. Le même type d’intervention devient nécessaire mais après tant d’années d’existence les radios de RTL ne peuvent pas se permettre de grands bouleversements. « Ce serait suicidaire! Nous sommes pieds et poings liés par rapport à notre héritage. Tout ce que nous pouvons faire c’est réaliser un portrait chinois de ce que nous sommes pour faire en sorte d’y rester. L’existant est devenu notre référence. » Le repositionnement a lieu au moment de la réunification des bâtiments de RTL, les radios du groupe ne devant plus afficher la moindre concurrence mais se montrer complémentaires.
La segmentation se fait de manière assez naturelle: Bel RTL est identifiée comme généraliste pour les 35 ans et plus, dont le contenu prime sur la musique; Radio Contact est avant tout musicale pour les moins de 35 ans. « Cette différenciation est impérative, jusque dans la logique des jeux. Même si l’on occupe la même maison, l’on est toujours tenté de faire ce qui marche chez l’autre. » Le catalogue musical de Contact est lui aussi revu, en supprimant certaines années de référence. « Contact diffusait un peu de tout. Résultat: nous empiétions sur des segments déjà investis et nous nous disputions des cibles avec d’autres radios. Alors même si ce repositionnement nous a fait perdre des auditeurs plus âgés, c’est un choix qui a permis de consolider la marque auprès des plus jeunes. Le catalogue est désormais régulièrement actualisé de façon à ne plus vieillir avec les auditeurs mais à toujours garder la même cible. » Toutes deux ont cependant un ADN commun: être des chaînes populaires menées par des animateurs connus, faisant la part belle au divertissement. Une carte de visite qui colle plutôt bien à l’image du groupe RTL tout entier. « C’est assumé! »
Le marketing au lieu du feeling
Au-delà de leur offre respective, l’identité des radios transparaît au travers de leur slogan. « Vivrensemble » pour Bel RTL, familiale et populaire, et « Feel Good » pour Contact qui se veut être la station avec qui l’on passe de bons moments. « Cette politique nous guide aussi lors de nos partenariats. Nous nous posons toujours la question de la cohérence, si notre public-cible va accrocher à tel ou tel événement. Contact ne sponsorisera par exemple jamais un film d’horreur. » Les logos subissent un relifting, mais aucune modification majeure. « Avant de les moderniser, nous avons pris la température auprès d’un panel représentatif. Et il s’est avéré que les gens tenaient à ces images, surtout au dauphin de Contact qui existe depuis trente ans. Si nous l’avions changé, les auditeurs ne s’y seraient plus retrouvés. Donc nous lui avons simplement donné un petit coup de jeune. » Cela révèle à quel point la radio, c’est de l’émotion, du ressenti. D’ailleurs à chaque renouvellement de grille de programmes, les auditeurs expriment leur difficulté à perdre leurs repères. « Nous travaillons sur de l’humeur, live et quotidienne. Avec des radios historiques comme les nôtres, nous avons développé des marques fortes, prégnantes. Tout doit aller dans le même sens pour renforcer cette identité et être en phase avec les valeurs de la marque, des jingles au web. » Même les équipes d’animateurs ont été briefées afin de clarifier à qui ils s’adressaient et de quelle manière il fallait le faire. « Le marketing a pris tellement d’importance que nous ne pouvons plus laisser de place au feeling, » reconnaît Eric Adelbrecht.
Se repositionner pour se consolider
Côté RTBF, c’est aussi la logique de rentabilité qui a guidé un repositionnement profond en 2004. Francis Goffin, directeur des radios RTBF, explique: « Toutes nos radios se trouvaient dans la même logique quand il s’agissait de développer une relation avec leurs auditeurs. Il a fallu casser cet univers confiné de manière à mieux explorer les publics disponibles. » Aux grands maux les grands remèdes, le Plan Magellan a fait passer à la trappe Radio 21, Bruxelles-Capitale et Fréquence Wallonie pour faire place à Classic 21, Pure FM et Vivacité.
L’institution publique revoit alors sa stratégie d’offre segmentée basée sur trois critères: les contenus, les publics cibles et la relation émotionnelle qui s’établit entre l’une ou l’autre station et ses auditeurs, c’est-à-dire les attentes et les motivations qui orientent la consommation. Ainsi, la RTBF compte deux radios généralistes, qui mêlent talk et musique. La Première se focalise sur l’information nationale et internationale, avec de la culture et certaines musiques selon des thématiques, le tout à destination des 30+ et de groupes sociaux supérieurs. Vivacité quant à elle sert de l’information générale mais surtout régionale de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est devenue la radio du sport et de l’interactivité avec les auditeurs de 7 à 77 ans, tout public appartenant à des groupes sociaux moyens.
Pour sa part, Music 3 est une radio thématique, l’unique chaîne du paysage belge francophone qui donne de l’espace à la musique classique et à l’opéra, mais aussi au jazz, à la musique du monde, à la musique de film. Elle cible les plus de 35, amateurs de ces genres particuliers et issus d’une classe sociale dite supérieure.
Enfin, Classic 21 et Pure FM sont les radios musicales, pensées pour être complémentaires. D’abord en termes de contenus, puisque la première diffuse un catalogue rock & pop des années ’60 à ’90, centré essentiellement sur les sons des ’70 (voire ’80 au rythme du temps qui passe), alors que l’offre de Pure repose sur les nouveautés et la musique des dix dernières années, rock aussi mais davantage de pop et d’électro. Ensuite en termes d’âge: 35-55 ans pour Classic quand Pure a pour vocation de toucher les 18-35 ans « Mais nous n’y sommes pas parfaitement, le public se révélant être plus âgé que prévu. Parce que musicalement, nous n’avons peut-être pas fait au début une assez grande distinction sur le plan musical, passant des titres plus vieux que ces dix dernières années. Le tir est en train d’être rectifié. » Ces cinq stations couvrent donc un large spectre, évitant uniquement les plus jeunes. « Il s’agit d’un choix délibéré étant donné l’historique de la chaîne. De plus, les groupes privés comme NRJ et Fun Radio occupent déjà ces publics de manière approfondie. »
C’est également sur le plan de la relation émotionnelle, qui lie les auditeurs à « leur » radio, que les stations de la RTBF ont dû se diversifier. A ce niveau, La Première et Vivacité s’opposent, la première touchant un public qui aime écouter la radio pour approfondir les choses et se différencier de son environnement, alors qu’avec la seconde, il cherche à être intégré parmi ses pairs. Classic 21 répond également à une approche d’intégration, utilisant notamment pour ce faire un ton feutré. Pure FM, elle, est plutôt dans l’exploration, via ses nouveautés alors que Music 3 donne dans une forme d’élitisme.
La marque dépasse la radio
Les offres définies, le marketing passe à l’action. Logo, visuels et code couleurs (du sombre toujours dans l’esprit feutré pour Classic 21 alors que Pure FM fait dans les couleurs vives) servent à dégager et imprimer l’identité de chaque radio, d’autant plus que pour trois stations sur cinq la page est totalement blanche. Chaque chaîne possède sa marque de fabrique, derrière laquelle la RTBF s’efface. « Nous ne suivons pas une logique de déclinaison d’une seule marque radio forte. La question s’est pourtant posée mais à l’époque, l’image de la RTBF avait souffert suite à l’arrivée des radios privées. » Chacune des radios dégagent une image totalement différente. Une politique sans doute due à la taille du paysage audio belge francophone où chacun doit faire preuve d’une personnalité forte pour se démarquer. « L’idée était qu’il n’y ait aucune confusion possible entre les chaînes. Lorsque l’on zappe de l’une à l’autre, on doit la reconnaitre quasiment immédiatement, ce tant grâce au contenu, qu’au ton ou qu’aux voix. » La complémentarité a là aussi été le mot d’ordre – « c’est une chance d’avoir cinq chaînes » – une complémentarité qui s’est ajustée au fil des saisons. « Seule Pure FM est encore aujourd’hui en léger décalage par rapport à ce que nous nous étions fixés. Nous sommes attachés à améliorer sa performance parce que c’est la seule de notre offre à être à destination des plus jeunes, le public adulte de demain donc. Et puis elle démontre des résultats particulièrement bons sur le net. »
Bien qu’encore en phase expérimentale, cette facette internet justement participe de plus en plus à la création de l’identité d’une marque radio, tant pour celles de la RTBF que de RTL. Les sites web en sont la prolongation de l’identité et permettent de faire perdurer la relation au-delà du moment d’écoute, voire à faire participer le public à l’élaboration des programmes. En ce sens, les marques radios ne sont plus uniquement les stations en tant que telles mais incluent aussi tous les autres moyens d’écouter la chaîne, à savoir tous les écrans disponibles. Enfin, elles se déclinent en véritables labels étiquetant d’autres produits, des CD aux voyages.
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