La télé, dans tous ses écrans

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La consommation de la télévision sur d'autres écrans grandit petit à petit, tablette en tête. Au lieu de subir, celle qui reste encore le « main screen » apprend et se réinvente. Les stratégies mises en place font en sorte que ces seconds écrans la servent toujours plus, ce en distribuant ses programmes sur tous les device, en interconnectant les écrans, en alimentant l'interactivité, en créant de la complémentarité... Finalement, c'est une nouvelle expérience que la télévision offre au téléspectateur.
Dans son étude « Multi-screen & Mobile survey », Havas Media suit l'évolution de la consommation de la télévision sur les différents écrans désormais à disposition des consommateurs. En termes de pénétration, en avril 2014, 94% des gens regardaient encore la télé via un téléviseur, smart TV comprise, soit une baisse de 3% par rapport à décembre 2012. « On est clairement dans un mode de multi-écans, » commente Hugues Rey, chief operating officer de Havas Media Belgium. « Dans l'absolu, les gens font de plus en plus deux choses en même temps: ils regardent la télévision d'une part, mais se connectent d'autre part. Ce pour faire tout autre chose, certainement pas suivre une autre émission! Les autres écrans, c'est donc plus d'opportunités d'être présent, de retrouver du temps de vision. » Mais pourquoi le public manipule-t-il un « second screen » alors qu'il est installé devant le poste? Bonne nouvelle, puisque c'est toujours plus pour surfer sur des sites web ou pour tchater... en rapport avec ce qu'ils visionnent (cf. graphe 2)! D'ailleurs, presqu'une personne sur quatre (23%) pense que l'utilisation du second screen pendant le visionnage de la télévision augmente la qualité de l'expérience. Et s'accorde donc avec l'idée que les seconds écrans, quels qu'ils soient, enrichissent ce qui est diffusé en linéaire.
Le but du jeu Connect, mis en place par RTL, est simple:
il s'agit de répondre, sur un second écran, à des questions
en rapport avec l'émission ou la publicité diffusée à ce moment-là.
Une manière d'encourager le public à rester devant la télévision finalement.
REPOUSSER LES LIMITES DE LA TV

Autre question posée à l'échantillon de l'enquête: de quelles technologies de la télévision se sert-il? Sans entrer dans le détail des chiffres, l'on remarque que les consommateurs s'y perdent un peu parmi les subtilités technologiques. Ils ont notamment tendance à différencier télévision digitale et décodeur. « Or par définition, une set-top box, c'est une télé digitale! » indique Hugues Rey. « Idem avec la notion de 'HD': la haute définition existe uniquement si l'on va chercher un signal HD. Sans cette manipulation, l'on regarde une télé soi-disant HD mais qui émet de vieux signaux. Ce qui est sûr aussi, c'est qu'une grosse partie de ce qui est regardé est encore regardé comme avant: on reste sur les mêmes stations, sans forcément découvrir la 101e chaîne du bouquet... Ce qui veut dire que pour la majorité, la télévision n'a pas changé! » Même avec le second screen? « Je pense qu'on en est qu'au tout début de ce qu'il peut offrir. Des initiatives sont prises, mais on n'a pas encore connu de truc 'wow! Les écrans permettent de gamifier les émissions, de les renouveler, de les rendre plus interactives. C'est aussi l'opportunité de faire passer du contenu en temps réel, pendant l'émission, avec les tweets notamment. Ou de renforcer du contenu exclusif, autrement dit en rapport avec le programme, avec des sujets relatifs ou avec des marques qui s'y trouvent. Pensez aussi à l'accès multi-caméras: lors d'une course cycliste par exemple, on a des images délivrées également par des caméras embarquées sur les vélos. Et puis ça facilite l'intervention des téléspectateurs en live, dans le programme qu'ils regardent. Auparavant, on avait besoin d'une équipe-télé dans son salon; maintenant la plupart des device sont équipés d'une caméra. C'est tout-à-fait sans limite! »

DES PROGRAMMES DÉMULTIPLIÉS

Les seconds écrans ne seraient donc pas en passe, comme d'aucuns le prédisaient, de détrôner le poste de papa. « Bien sûr, en tant que broadcaster, la télévision reste davantage l'écran principal, » concède Ludovic de Barrau, ‎head of marketing TV chez RTL Belgium. « Mais on est de plus en plus en train de parler de programmes. Cette notion de programme continuera d'être majoritairement vue sur le premier écran télé, mais va de plus en plus se décliner de manière différente sur les autres écrans. La télévision deviendra alors l'une des plateformes de diffusion. » L'idée du groupe, c'est de suivre l'arrivée des outils de distribution. D'abord pour le linéaire – avec le câble, l'IPTV (Internet Protocol Television), le satellite, la 3G, les différentes offres des opérateurs, etc. - puis pour le non-linéaire – avec internet, les réseaux sociaux, la syndication,... « Nous faisons en sorte de mettre à disposition nos produits de la manière la plus large possible, et sous de multiples formes, gratuites ou payantes. Ces relais du non-linéaire sont, plus que des concurrents, de véritables 'boosters' de visibilité et d'audience! » Quant au partage des vidéos sur les différentes plate-formes, la dichotomie est, pour le moment, simple: le « long form » passe à la télé; le « short form » préfère les autres device. « Tout bonnement parce qu'en terme de confort de vision, on pense qu'on est encore mieux devant un grand. Mais cela va encore évoluer. »

En face, « nous avons vocation à mettre nos programmes gratuitement en rediffusion pendant une période limitée, pendant sept jours après diffusion en direct, » résume Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF. « Nous travaillons comme cela depuis le début, quasiment dix ans maintenant. VTM, VRT, RTL ont d'abord préféré une autre politique: celle de la catch-up payante... Mais ils en sont finalement venus à notre stratégie, à savoir: le linéaire n'est plus l'instant mais sept jours. Nous ne mettons pas à disposition tous nos programmes en télévision de rattrapage, parce que pour quelques-uns ça ne fonctionne pas et puis certains droits sont exorbitants. Toutefois, la majorité est accessible sur notre RTBF LiveCenter. Même si d'autres initiatives verront le jour, aujourd'hui, le focus est sur le prolongement du linéaire qui n'est plus dans l'instant mais sur sept jours, gratuitement. Ce choix nous permet d'aller au-delà de ce que nous passons en direct, certains événements qui font l'actualité étant uniquement disponibles sur le LiveCenter et non pas à la télévision. Il associe également le direct avec les réseaux sociaux. Lorsqu'on fait de la télévision linéaire ou quand on propose un catalogue de vidéos à la demande, on permet à ceux qui le veulent d'utiliser nos contenus dans un autre contexte, en multipliant les pages de médias sociaux ou en augmentant notre animation sur Facebook »

La répartition de la consommation TV sur les différents écrans en avril 2014 (wave 5),
comparé à décembre 2012 (wave 4).

Les raisons pour lesquelles les consommateurs utilisent un second écran tout en regardant
la télévision (wave 4: décembre 2012; wave 5: avril 2014)
EN INTERACTION AVEC LE MAIN SCREEN

Mise à part la diffusion et rediffusion, la stratégie « second screen » chez RTL, c'est toujours partir de l'écran de base et lui offrir des informations complémentaires sur un deuxième écran. « Et si possible en interaction immédiate, » précise Stéphane Coruble, ‎IPTV et New Business director chez RTL Belgium. « C'est ce que nous avons appliqué en intégrant, voici un an, la technologie 'Connect' à notre application RTL. D'abord sur certains de nos programmes, car il est nécessaire d’avant tout évangéliser les gens, la tablette n'atteignant pas encore les niveaux de pénétration du pc classique. 'Connect', c'est de l'interaction en live, ça propose du contenu additionnel à l'émission qui est en train d'être diffusée. Simplement revoir sur un plus petit écran ce qu'on vient de voir sur le premier, cela ne nous semblait pas le plus intéressant. » Par contre, donner la possibilité de recevoir une recette du 'Dîner Plus Que Parfait', générer un petit sondage par rapport à ce qui est en train de se passer, proposer un petit concours,... Cela ça rajoute à l'expérience du téléspectateur. « On répond de cette façon à l'attente du public qui souhaite recevoir plus que ce qu'il regarde à la télévision, » détaille Ludovic de Barrau. « Si les gens sont maintenant aussi occupés sur un autre écran quand ils regardent nos chaînes, alors autant leur donner les moyens de rester dans notre univers en leur proposant des informations complémentaires. D'autant plus qu'avoir aujourd'hui un téléspectateur interactif et engagé dans ce qu'il fait, c'est avoir un téléspectateur qui sera plus intéressé par ce qu'il est en train de regarder, qui sera sans doute plus loyal demain. »
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Ensuite, il y a les applications, systématiquement développées pour tous les device chez RTL. « Elles nous permettent également d'exister, » poursuit Stéphane Coruble. « C'est ce que nous avons commencé à faire avec 'Belgium's Got Talent' et, depuis cette rentrée, avec 'Rising Star' et le jeu 'Je le Savais'. Là, l'application à télécharger est très spécifique puisqu'elle doit pouvoir supporter des charges très importantes à un moment donné, celui du live. Le jeu Connect, mis en place en mai dernier va connaître une seconde édition d'ici la fin de l'année. » Ludovic de Barrau complète: « L'application, c'est une passerelle pour amener vers un complément lié au programme. Elle permet aussi d'intégrer les réseaux sociaux. Ce sont finalement des outils marketing qui participent aux rayonnement de nos marques et des marques qui communiquent chez nous. Tout cela ne se fait évidemment pas au détriment de l'audience du premier écran. Concernant Connect, on ne note pas une baisse de consommation de la télévision, au contraire! Comme on l’engage davantage, le téléspectateur va forcément rester plus longtemps devant sa télévision, sur nos chaînes parce, qu'il dispose d'un contenu complémentaire. » Le jeu Connect par exemple, invitait à collecter des points en répondant correctement à des questions en rapport avec l'émission ou la pub diffusée à ce moment-là. Et encourageait donc clairement le public à rester devant le « main screen ». « Il s'agit de fait d'un jeu gratuit, super basique. C'est volontaire, d'une part pour s'adresser au plus grand nombre, d'autre part pour ne pas trop perturber le téléspectateur dans sa consommation TV, » détaille Stéphane Coruble.

CHÈRES, TRÈS CHÈRES APPLICATIONS

« Sur toutes nos applications (RTLinfo, Rtl.be, etc.), nous avons dépassé le million de téléchargements. Pour ce qui est des apps équipées de la technologie Connect – soit celles de nos chaînes RTL TVI, Club et Plug - nous en sommes à 250.000 téléchargements en un an, » révèle Stéphane Coruble. « Il est clair que 250.000, ce n'est pas suffisant. Il va falloir continuer à proposer de l'interactivité pour développer ce nombre-là et générer derrière encore plus d'interactions. Nous en sommes encore qu'au début. Je trouve dommage que les autres chaînes belges ne s'y soient pas encore mises parce qu'il s'agit d'un vrai plus pour la télévision. Quelque part, cela défend le média, lui redonne un petit coup de jeune, le réinvente. » Pour cette année, le groupe ne prévoit pas d'autres lancements d'applications. « Pour l'instant, c'est déjà pas mal surtout que ce sont des apps qui coûtent cher, » rappelle Ludovic de Barrau. « Ensuite, nous avons la volonté de ne pas saouler les téléspectateurs avec une masse de nouveaux services différents; on y va par étape, en suivant la demande du public. Il ne faut pas oublier non plus qu'il n'y a toujours qu'un tiers de notre public (belge francophone donc) qui, parfois, utilise un second écran. C'est énorme mais c'est peu en même temps. Nous ne voulons pas saouler non plus les deux autres tiers avec des propositions d'applications non-stop. Il faut y aller progressivement, pour éviter de tomber dans l'overdose. Des choses n'ont pas (encore) fonctionné – comme les apps Club RTL Foot ou SnapTV. Nous avons peut-être mal répondu à la demande ou c'était trop tôt. On sait qu'il y a une latence des gens à se lancer. Surtout quand on propose des initiatives un peu plus de niche, il faut parfois du temps pour que ça prenne. »

Par ailleurs, les apps requièrent d'importants investissements. « Il faut créer du contenu en plus des programmes, il faut développer des applications puissantes et qui doivent sans cesse être adaptées aux nouvelles versions, » énumère Stéphane Coruble. « La plupart de ces développements sont supposés être financés par un modèle dit classique de la publicité... mais je trouve notre marché encore relativement frileux par rapport à ces innovations. Il faut beaucoup évangéliser, rassurer, prouver et donner une valeur. Il faut trouver le modèle qui puisse nous permettre de continuer dans ce sens: développer une application en Belgique, ce n'est pas moins cher qu'ailleurs, alors qu'on s'adresse à un petit marché. » Jean-Paul Philippot a un avis tranché sur la question: « Qui dit application, dit monde fermé en termes d'operating systems, de constructeurs, de filtre d'accès. Heureusement, l'on va de plus en plus vers des développements et des apps agnostiques sur le plan technologique et sur le plan des OS. Comme le RTBF LiveCenter l'est, accessibles sur tous les systèmes, sur toutes les marques de device, sur les écrans de toutes tailles. De cette manière, nous restons indépendants des fournisseurs. Nous ne devons pas attendre le feu vert pendant des semaines voire des mois avant que notre application soit acceptée, ou voir le prix d'une application payante bouger parce que quelqu'un d'autre l'a décidé. »
BE TV, PAS ENCORE SUR SMARTPHONE

Le premier septembre dernier, BeTV lançait BeTV Go: dorénavant, les sept chaînes du bouquet (Be à la séance, Be Séries, Be Ciné…) sont également accessibles dans leur intégralité, via internet. « On travaillait sur BeTV Go depuis un an, dans la plus grande discrétion. Nous avons attendu que les techniciens nous donnent leur signal pour l'annoncer, » éclaircit Daniel Weekers, directeur stratégique de VOO. Cette nouvelle offre permet de regarder les chaînes Be sur pc et tablettes; pas encore sur smartphone. « On trouve encore l'écran trop petit pour nos formats, mais on y viendra assurément. Pour le moment, l'idée c'est de pouvoir regarder un de nos films lors d'un week-end à la mer par exemple, pas en attendant le bus! ».
Pour la suite: motus et bouche cousue. « Nos projets sont confidentiels, pour des raisons de concurrence. Naturellement que Go est une étape, mais ce n'est pas pour cela que les produits suivants sont déjà définis. Tout cela va tellement vite. Il faut disposer des possibilités techniques et, surtout, correspondre aux envies des consommateurs. Nos sondages qualitatifs nous montraient dernièrement qu'ils voulaient plus de souplesse et plus de device... Pour l'instant, nous avons accédé à leur demande. » Rien de prévu pour contrer l'arrivée de Netflix, donc? « On nous met toujours en position de concurrent avec Netflix, bien moins avec RTL ou la RTBF. Pourtant, à mon sens, il y a autant de différence entre nous et ces chaînes, qu'entre nous et Netflix. On propose du sport en direct, Netflix non. Quant à nos catalogues de films et séries, ils ne sont pas les mêmes. Point de vue films d'ailleurs, ça ressemble plus à ce qui passe en linéaire. Et puis on l'observe aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où Netflix a déjà débarqué: c'est un marché complémentaire qui s'est créé. Je suis convaincu qu'on parviendra toujours à créer de nouveaux produits. »
LE DÉFI: LA MESURE DES VOLUMES

Si l'étude de Havas Media dessine ce qu'il en est de la pénétration, qu'en est-il de la répartition en volumes du temps passé sur chacun des device? Hugues Rey ne s'en cache pas: « C'est extrêmement difficile. On ne peut pas procéder en déclaratif... Et les device connectés à la TV compliquent la donne, comment croiser les différents signaux? Cela étant dit, des estimations ont été faites: on parlait de maximum 2% du volume fin 2012; on serait sans doute à un peu plus aujourd'hui, mais on n'atteint pas les 30% qui ne sont pas sur une télévision classique. Bref, c'est un des grands défis de l'étude CIM. »

Ludovic de Barrau confirme: « Nous avons nos chiffres internes pour toutes nos vidéos online. Mais quelle est la part en termes de durée, en termes de volume par rapport à la télévision... C'est une grande inconnue! On sait que la consommation pour le linéaire est encore hachée, les sessions ne sont pas très longues. Derrière cela, il y a les extraits, les vidéos dispersées sur la toile. Nous sommes encore en train d'analyser tout cela avec le CIM, pour trouver un moyen de calculer l'ensemble des consommations de nos programmes sur toutes les plateformes possibles. On aura des résultats présentables, fiables, contrôlés pour – normalement – début 2015. Ce n'est vraiment pas simple: Le nombre de plateformes existantes qui croît régulièrement, le nombre de versions qui démultiplient le nombre de suivis à avoir.... Il faut également convaincre les gens que des mouchards soient installés sur leur ordinateur ou smartphone, ce qui est nettement bien moins accepté que sur une télévision. Jusqu'à présente, aucun pays dans le monde n'est capable de rassembler toutes ces informations-là. C'est d'autant plus un énorme enjeu que l'on sait que la mesure de la télévision, c'est une rolls: on est habitué à une mesure passive et fine. Quand on conduit une rolls, on a du mal à redescendre sur une 2CV pour mesurer toutes les autres plateformes de diffusion de tes programmes. Ce que l'on va sans doute faire, c'est garder une étude télé inchangée et mettre en place une voire deux études à côté qui vont venir compléter cette consommation de télévision premier écran basique.
Le but, c'est aussi de permettre aux annonceurs, aux agences, de pouvoir continuer à délivrer une mesure qui soit complète: quand on achète un programme – de nouveau, je ne parle plus de la télévision – on achète un univers autour de ce programme et donc des spots, des spots diffusés en streaming, du display, du bannering, etc. C'est là où l'on a besoin du soutien du marché dans sa globalité: si on veut continuer à être efficaces, à délivrer autant de GRP, à mesurer comment ces derniers sont délivrés, si on veut vivre dans quelque chose de clair en terme de puissance, il faut que le marché nous aide dans cette démarche-là et dans ce financement-là. »

Aline Guebels