Branding/ Marques qui rient et qui pleurent dans le classement Interbrand.
La bonne santé d'une marque dépend aujourd'hui de nombreux paramètres. Aux critères de marché et de bonheur des actionnaires, se sont de plus en plus greffés des concepts tels que la proximité, l’innovation, le rayonnement, l’éthique et le dialogue, sans oublier la capacité à gérer des crises. Des éléments complexes à mesurer sans doute, mais que scrutent à longueur d’année les analystes d’Interbrand. Il en ressort, à l’image du bien connu ranking de Fortune - auquel Interbrand contribue d’ailleurs, un classement qui établit la valeur positive globale d’une marque sur le marché.
· Les marques technologiques émergent du classement
· Coca-Cola pour la 13e fois n° 1
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Coca-Cola domine ce classement d' Interbrand depuis plusieurs années, mais l'enseigne voit poindre la concurrence de marques technologiques comme Apple, IBM, Samsung, Google, Cisco, ou Intel, qui brillent désormais également en harmonie avec des « labels » plus classiques comme McDonalds, Mercedes, Louis Vuitton ou H&M. Comment tout cela se construit-il, quelle est la signification d’une place dans un tel ranking (aussi bien mondial que national)? Quels sont les critères qui définissent le rapport de la marque à ses stakeholders: actionnaires, investisseurs, mais aussi employés, consommateurs? Et plus largement une reconnaissance par le grand public? Et finalement, à quoi cela sert-il? Patrick Stal, Managing Director d’Interbrand Benelux, basé à Amsterdam, nous aide à décoder le rôle de son organisation, et les enjeux d’un ranking dans un monde du marketing et de l’image, en pleine ébullition.
Tout d’abord, quelle est le rôle d’Interbrand et en quoi consiste exactement votre travail auprès des marques?
Patrick Stal: "Interbrand est le leader mondial parmi les agences de développement des marques. Nous combinons analytiquement une stratégie rigoureuse pour les marques existantes ou naissantes mais aussi travaillons à la création de leur reconnaissance au niveau mondial. Pour nos clients nous répondons aux questions de stratégie de marque en alliant des critères tels que le positionnement, la segmentation sur leur marché, la construction de la marque, et, une fois créée, la mesure de son impact. Nous créons pour ce faire des systèmes complets d’identité de marque qui vont de la création d’un nom, jusqu’à sa naissance et sa croissance sur le marché. Pour la Belgique, par exemple, nous avons développé les marques Umicore, et plus récemment, bpost."
Comment peut-on mesurer la valeur d’une marque, d’une part du point de vue de ses propriétaires et actionnaires, d’autre part du point de vue du consommateur. Est-ce juste une question de capacité financière, de taille du local jusqu’à l’international, de sa visibilité, de sa vision, ou de ses promesses et engagements?
Patrick Stal: "La valeur d'une marque est mesurée par trois facteurs. À la base de notre analyse et de notre méthodologie d'évaluation, qui a été la première à recevoir une certification ISO, on trouve le dossier financier d'une marque. La santé financière de la marque aujourd’hui et la projection de ses données financières dans l'avenir. Le deuxième facteur est la définition du rôle de la marque. Grâce à l'analyse statistique, nous pouvons mesurer le rôle que la marque joue dans le processus de décision de son client, par rapport à d'autres facteurs tels que le prix, la couleur, les matériaux, la proximité, etc. Et en conclusion nous mettons en rapport ce rôle exact que la marque joue dans le processus de prise de décision de notre public cible. Nous pouvons établir dans quelle proportion la performance financière de l'entreprise a été générée par la marque. C'est ce que nous appelons les bénéfices de la marque. Ces bénéfices sont toutefois plus assurés pour une image de marque forte, et moins évidents pour une marque faible. Nous avons donc créé un mécanisme de scoring global sur l’impact des marques. Cela représente plus de 8 000 évaluations de marque, grâce auxquelles nous avons pu identifier les dix facteurs les plus importants pour la construction d'une marque forte: la clarté, la protection, la réactivité, l'engagement, l'authenticité, la pertinence, la différenciation la consistance (réalité), la présence et la compréhension. Les marques qui scorent mieux que leurs concurrentes dans cette grille de dix facteurs, ont une plus grande probabilité d’exister et de rencontrer les attentes du marché.
La valeur de la marque est donc une représentation de l'importance de la marque face à ses auditoires (rôle de la marque) et de sa puissance par rapport aux concurrents (force de la marque). Ce qui est clair, c'est que de grandes marques créent de la valeur pour leurs propriétaires (valeur financière), leurs employés (valeur de l'appartenance), leur public cible (identification et attentes) ainsi que pour de nombreuses autres parties prenantes."
Aujourd’hui on se focalise beaucoup sur la croissance très rapide des marques technologiques et ICT. Qu’est-ce qui peut expliquer cette attractivité vers ce type de marques et produits? Est-ce qu’elles représentent réellement les marques avec le plus de valeur? Et qu’est-ce qui crée cette valeur alors qu’elles elles sont surtout des industries virtuelles?
Patrick Stal: "On a pu constater dans ces dernières années, que les compagnies technologiques ont été celles qui ont le mieux compris comment mondialiser leurs produits… par elles-mêmes leurs marques. Certaines de ces marques ont dû emprunter le chemin le plus difficile, à savoir intégrer le fait que leurs marques sont plus qu’un seul produit individuel. Portées par l’élargissement de leur offre de produits ou de services, ces entreprises ont dû chacune créer une valeur universelle pertinente autour de leur marque, d’autant plus si les produits doivent s’adapter en fonction de différents marchés. Il a fallu que la marque transcende les frontières et se construise une identité, un esprit que tout le monde puisse reconnaître: pour Apple, c’est la convivialité, pour IBM, c’est l’intelligence et l’astuce, pour Samsung, c’est l’esthétique et le design. Pour chacune, ces traductions de leur valeur sont pertinentes et peuvent être comprises de façon similaire dans toutes les zones géographiques, et par des cultures différentes."
"On a pu constater dans ces dernières années, que les compagnies technologiques ont été celles qui ont le mieux compris comment mondialiser leurs produits… par elles-mêmes leurs marques"
(Patrick Stal)
D’un autre côté, peut-on dire encore que des marques plus “classiques” existent bel et bien parce qu’elles représentent une valeur réelle sur le marché mondial. Comment font-elles pour rester vivantes et même obtenir la même croissance que leurs compétiteurs technologiques?
Patrick Stal: "Si nous examinons nos meilleures marques mondiales dans le classement il est difficile de faire la distinction entre les 'traditionnelles' et les 'non traditionnelles'. Notre classement traduit effectivement quelle est la marque la plus précieuse dans le monde, celle qui vaut le plus, qui génère le plus d’attachement ou de fierté (pour les collaborateurs par exemple), mais aussi celle qui innove en permanence, crée un vrai bénéfice pour toutes ses parties prenantes. Même si vous êtes le numéro 100, vous êtes toujours l'une des grandes marques mondiales et vous faites partie de l’élite. Il est intéressant de voir que les marques qui ont le plus grand succès dans le classement, y compris Coca-Cola, n’ont jamais arrêté d’en avoir. Bien sûr, certaines valeurs d’origine pour Coca-Cola ont disparu par le fait de son évolution très importante au cours de ses 125 années d'existence. La valeur du produit s’est déplacée de l’avantage produit (Refresh) vers une émotion (Enjoy) et se positionne aujourd’hui comme une valeur humaine globale (Joy). C’est ce qui fait que Coca-Cola est toujours la première marque mondiale et est numéro 1 depuis 13 ans. Il faut réaliser un investissement constant dans la recherche de pertinence, dans le même temps, il faut rester fidèle à l'authenticité de la marque et construire une expérience homogène sur l'ensemble des points de communication.
Un autre exemple: on voit que les marques de luxe se positionnent de mieux en mieux dans le classement, après avoir connu une certaine baisse liée à une trop grande diversification de leurs produits, qui a été perçue comme une perte d’authenticité, et plus stratégiquement, comme une cession de leur valeur à travers des applications sous licences multiples, loin de leur territoire d’expertise et de leur esprit d’origine. Si vous regardez Louis Vuitton, le redressement s’est opéré par un recentrage de son activité sur la bagagerie, qui représente son know how, mais aussi la valeur pour laquelle la marque est reconnue. Et toute sa communication se réfère désormais à cela."
A l’inverse, si l’on prend l’exemple du marché automobile qui souffre beaucoup pour le moment peut-on imaginer que ce marché va disparaître tout au moins des classements internationaux de marques? Et cela signifie-t-il un premier signe du déclin de la société de consommation? Y a-t-il d’autres industries ou activités qui suivent le même chemin?
Patrick Stal: "Non, nous avons certainement vu un important bouleversement dans le marché de l'automobile au cours des dernières années, mais l'une des grandes surprises de cette année, a été de voir combien de nouveaux investissements les marques automobiles ont justement réalisés autour de leur nom. Ford et Mercedes-Benz, par exemple ont tous deux investi dans de nouvelles propositions liées à la marque et créé en interne un véritable filtre unificateur pour définir et orienter toute leur stratégie. Cela se traduit par 'Forward' pour Ford et 'The best or nothing' pour Mercedes-Benz. Hyundai etBMW ont créé pour la première fois de leur histoire, des campagnes axées sur une marque globale et Audi sont devenu une référence, en développant une nouvelle expérience de la marque dans son magasin phare à Londres, qui est entièrement dédié à l'intégration physique ajoutée aux expériences numériques.
Mais il y a un domaine qui entame un déclin majeur, et qui continuera à s’aggraver, c’est celui du secteur bancaire. La crise a porté un coup de massue aux marques bancaires et elles sont nombreuses, dans ce marché, à ne pas trouver la solution qui leur permettra de récupérer leur valeur en tant que marque. Le public ne les voit plus comme un acteur pertinent, porteur d’authenticité et de crédibilité. Elles sont vraiment perçues comme des entreprises négatives. L’impact des marques qui avaient fortement cru dans cette catégorie est maintenant très réduit en termes de reconnaissance et de confiance. Leurs responsables marketing sont confrontés à des défis herculéens pour retrouver un positionnement valable sur la carte mondiale des marques.
Le cas est encore différent lorsqu’une marque est face à une crise, lorsqu’elle apparaît dans le cadre d'un accident ou qu'un fait négatif est sous le feu des media et du jugement public. Par exemple, Monsanto est aujourd’hui terriblement critiqué sur les réseaux sociaux et dans l’opinion, pour son rôle dans le développement des OGM. Mais en fait, elle reste une marque de haute valeur en tant qu’acteur de l’innovation dans le domaine alimentaire, et son message lié au ' feed the world ' reste cohérent avec son activité."
Le Top 20 du classement Interbrand 2012
Avez-vous constaté l’apparition et l’influence de nouveaux critères pour évaluer et classer les marques. Des critères autres que financiers, importance de l’emploi, ou reconnaissance d’un nom? Si oui, lesquels?
Patrick Stal: "Il y a deux ans, nous avons amélioré la façon dont nous analysons la force de la marque. La notion de « présence » des marques joue désormais un plus grand rôle dans ce processus. En cette ère numérique, les marques doivent être présentes là où on les cite, là où elles sont prises en considération, dans la mesure où elles sont achetées et donc sont évaluées. La citoyenneté, l’engagement sociétal sont également devenus de plus en plus importants Pour beaucoup de marques c'est une façon d'accroître leur pertinence auprès des publics cibles. Pour certaines, c'est toujours un facteur de différenciation, pour d'autres c'est plus 'pragmatiquement' une mesure de protection. En tout cas, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la citoyenneté d'entreprise, et les marques ne peuvent certainement pas (ou plus) y être insensibles."
Avec l’apparition de nouveaux marchés émergents, allons-nous également assister à l’apparition et à la croissance de nouvelles marques qui en remplaceront d’autres au sommet, avec une autre philosophie d’approche, d’autres valeurs de référence et de mesure. Dans quels domaines ce phénomène peut-il apparaître?
Patrick Stal: "C'est une question intéressante. En fait, pour y répondre, nous devons nous référer au passé, aux notions de marques et de leur force. Les marques issues de marchés émergents auront besoin, pour se différencier, d'être plus pertinentes, authentiques et conformes à celles que nous avons actuellement choisies comme références. Si c’est le cas, elles vont certainement gagner des points sur les marques existantes et il est bon qu’elles créent cette émulation, en s’affirmant avec les mêmes atouts. Un grand nombre de marques asiatiques, par exemple, ont beaucoup appris de marques occidentales dans le passé et elles en ont fait des modèles. Mais aujourd’hui, avec elles, nous assistons à un nouveau niveau de sophistication de l'image de marque et de son évolution. Des marques comme Lenovo, Haier mais aussi Shanghai Tang et BYD ne sont que quelques-uns des premiers exemples à porter plus loin la définition de l’image de marque."
Quel est l’impact réel sur la place dans le classement de la responsabilité sociétale et environnementale et des engagements que prend une marque aujourd’hui? Est-ce que c’est devenu un critère prépondérant pour déterminer sa valeur aussi bien côté investisseurs producteurs et partenaires que du point de vue des consommateurs?
Patrick Stal: "Absolument. Être un bon citoyen corporatif est devenu un must pour toutes les entreprises. La façon dont vous utilisez ensuitecet élément pour renforcer votre marque dépend de votre secteur d’activité et de votre position parmi la concurrence. Le Body Shop et Triodos Bank par exemple ont utilisé l’argument de la citoyenneté pour se démarquer de la concurrence. Pour C&A, les bio-coton plages et leurs initiatives en matière de RSE sont les initiatives de la marque les plus pertinentes par rapport à leurs publics cibles. Les grandes marques industrielles ont moins tendance à communiquer sur ce qu'elles font et à l’utiliser comme atout, mais elles ont recours au corporate sociétal pour que leurs activités ne soient pas être touchées par de la publicité négative (protection). Il est devenu indispensable pour nous de prendre cela en considération lorsque nous nous intéressons à une marque et à sa puissance dans notre méthodologie d'évaluation des marques."
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