Le conte de fées du marketing

Le conte de fées du marketing - intro beeld - pub8-2013

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L’année prochaine, ce sera sa 10e édition. A peine. Et pourtant, le festival Tomorrowland s’érige déjà comme une marque extrêmement forte, internationalement reconnue. Récit de l’ascension de cet événement qui, dès ses débuts, s’est imposé une ligne de conduite stricte concernant sa stratégie: offrir aux visiteurs une expérience totale, qui ne serait pas parasitée par d’autres messages. Un « moi avant tout » auquel ont dû se plier ses partenaires.
Il était une fois Manu et Michiel Beers, deux frères fans de musique électronique et de clubbing, las de voir l’électro véhiculer une image sombre, rythmant un monde de la nuit très fermé et fort peu recommandable. Pour les frères Beers, les boum-boum des Dieux de l’électro – les dj’s – doivent battre en plein jour, dans une ambiance colorée, festive et ouverte à tous. Ils imaginent alors monter un festival outdoor entièrement dédié à cet univers. Et pour ce faire, s’associent à ID&T, société hollandaise grande habituée de l’organisation d’événements musicaux de ce genre, qui rachète 50% des parts en 2004. Dès ses premières ébauches, le projet ne souhaite pas se limiter aux performances des artistes qu’il promeut, mais cherche à construire toute une atmosphère. Les participants doivent y plonger comme s’ils découvraient un pays des merveilles, un conte de Grimm revisité à la sauce moderne, où trolls, fées et papillons stylisés envahissent le moindre espace. Bref, de quoi faire vivre une expérience inoubliable à tout qui oserait pénétrer dans ce royaume.

Et le 14 août 2005, le premier Tomorrowland sort de terre. Au beau milieu du domaine récréatif de De Schorre, à Boom, un terrain où plans d’eau, petits ponts, buttes de pelouse et amphithéâtre naturel ponctuent le paysage. Il ne compte que deux scènes, mais elles sont déjà surplombées de hauts décors, de projecteurs et de lance-flammes. Et s’il ne dure qu’une journée – un dimanche, pour s’accorder au mieux à l’agenda surchargé des dj’s bookés par d’autres événements – 10.000 spectateurs sont quand même au rendez-vous. Malgré le gouffre financier qu’il représente (il encaisse 150.000 euros de pertes les deux premières éditions), le festival s’accroche et compte sur ses caractéristiques propres pour se faire sa place parmi l’éventail de manifestations musicales qui animent l’été belge. Dès l’année suivante, ses lutins prévoient un camping pour 3.000 personnes qui voudraient arriver la veille des festivités. En 2007, il gagne un jour et jusqu’à neuf scènes. Puis en 2008, le nombre de visiteurs double d’un coup, s’élevant à 50.000. Un an après, accueillant Moby dans son line-up, Tomorrowland signe son premier sold out et ne cessera plus de les aligner malgré qu’il grandisse un peu plus à chaque édition. La sixième, d’ailleurs, passe le cap des 100.000 visiteurs dont 25.000 campeurs. En 2011, le festival s’étend sur trois jours complets, pour bientôt atteindre la capacité maximale du lieu (75 hectares). Il engrange alors 2,4 millions de bénéfices, sur un chiffre d'affaires de 19 millions. Une croissance de 25 % qui trouve principalement sa source dans la hausse du prix du billet. A ce jour, il accueille 60.000 festivaliers par jour, 3. 000 personnes logeant sur place, et 16 podiums pour 400 artistes!

APRÈS LE PAYS, LE MONDE
Après sa huitième édition, Tomorrowland est sacré à plusieurs reprises « meilleur festival au monde » et voit sa popularité à l’étranger exploser. L’occasion d’instaurer, en collaboration avec Brussels Airlines, des packages comprenant aussi un billet de vol international. En juillet 2013, ce sont 140 avions qui sont affrétés rien que pour le festival, en provenance de 70 destinations différentes. Au sol, plus de 200 nationalités se côtoient dans ce monde magique, réalisant ainsi le plus grand rassemblement multinational de la planète, devant les Jeux Olympiques de Londres! Le public belge n’est cependant pas négligé: la moitié des tickets mis en ventes lui est réservé, le reste du monde devant se partager les 90.000 autres sésames. Le voisinage direct de l’événement est gâté: 500 places sont disponibles en prévente pour les riverains, avant le rush sur la billetterie en ligne, et ils profitent d’un petit rabais sur le « pass trois jours ».

Face à un tel engouement, les elfes n’ont pu résister longtemps à l’idée de transposer leur monde merveilleux ailleurs sur le globe. Si l’événement reste majoritairement belge, le géant américain de l’entertainement SFX lui en a racheté des parts. C’est à lui qu’est confié l’expansion internationale du festival. TomorrowWorld ouvrira donc ses portes le dernier week-end du mois de septembre prochain à Chattahoochee Hills près d’Atlanta aux Etats-Unis. Que ce petit village soit situé à moins de 20 minutes du plus grand aéroport de la Terre en dit long sur les ambitions de cette nouvelle édition… Mais en bon petit frère, le festival devra répondre aux mêmes standards et mêmes valeurs que son aîné pour continuer à servir la réputation de ce dernier.

MAGIQUE… MAIS SURTOUT CONSISTANT
Petit événement est donc devenu grand. En neuf ans, son chiffre de fréquentation a été multiplié par 18 et sa marque s’est imposée comme incontournable. Plus que la poudre de perlimpinpin, ce succès s’appuie sur une stratégie bien réfléchie, de quoi construire une identité forte et convaincre définitivement le public en lui en mettant plein les mirettes. Les trois jours de Tomorrowland, c’est trois jours magiques, où les spectateurs pénètrent dans un rêve, où ils ne savent plus où donner de la tête. Outre l’affiche – la crème de la crème de l’électro paraît-il – ce sont des décors toujours plus grandioses desquels peuvent jaillir des cascades ou de la fumée, des feux d’artifice qui ponctuent chaque fin de journée, une vraie grande roue, des chapiteaux plus colorés les uns que les autres, un journal spécialement édité pour la fiesta, des comédiens et des hôtesses qui ajoutent à l’atmosphère,… Mais surtout, cette ambiance s’insinue partout, dès les avions que les festivaliers empruntent pour rejoindre la Belgique. Autocollant géant sur la carlingue, stickers sur les boxes à bagages, message du commandant adapté, hôtesses étrangement accoutrées, voire musique, lumières et live dj-set sur certains vols. Dans le champ à côté de l’aéroport, le papillon et le slogan du festival marqué dans les cultures façon « crop circles ». Et à l’arrivée, des Tomorrowgirls là pour accueillir les passagers dans un Brussels Airport qui s’est aussi mis aux couleurs du fantastique. Quand on donne à ce point dans l’exceptionnel, dur de ne pas faire parler de soi… tant dans les médias classiques que sur les réseaux sociaux.

C’est bien simple: tout ce qui se rapporte au festival porte son empreinte si reconnaissable. Site internet, tickets, bracelet d’entrée qui n’a rien à envier au Précieux de Gollum ou, mieux encore, « boozebag » collector qui contient les jetons pour acheter boissons et nourriture. Sur place, le moindre stand a l’obligation de se mettre à la mode troll, du débit de boissons aux « mistercash » déguisés, pour leur part, en coffres au trésor. Pas question de logos envahissants « qui polluerait l’expérience du visiteur, » explique Debby Wilmsen, responsable de la communication du festival. Principe qui n’a pas facilité la quête de sponsors et autres partenaires aux balbutiements de l’événement, pas forcément ravis de devoir transformer leur matériel POS. « C’était une idée très difficile à défendre au début, mais elle était essentielle pour donner vie à l’esprit propre au festival. Certains partenaires ont osé tenter le coup… et sont toujours à nos côtés aujourd’hui! » Et bien d’autres se pressent au portillon aujourd’hui, à tel point qu’il faille parfois faire des choix. « Finalement, l’expérience à laquelle les marques contribuent est bien plus puissante qu’apposer des bannières ça et là. » D’ailleurs, toutes sont vivement encouragées à penser des activations créatives – voire « folles » comme disent les frères – de quoi transporter les visiteurs dans d’autres dimensions.

MERVEILLEUX MERCHANDISING
Pour continuer à développer la marque, l’équipe organisationnelle mise également sur les produits dérivés. La collection Finest Store propose moult tee-shirts, sweats, casquettes et même baskets, dessinés avec Le Coq Sportif. Le festival possède sa propre application, ainsi que sa chaîne Youtube – qui enregistre un nombre magique de visites et qui entretient le lien avec la communauté de fans –, retransmet en direct et distribue les vidéos ou albums-souvenirs qu’il produit lui-même. Enfin, il a donné naissance à DreamVille soit son camping qui, comme son nom l’indique, est bien loin des emplacements boueux dans lesquelles s’agglutinent les tentes 2 Seconds. Non, DreamVille, c’est une attraction en soi qui prévoit, selon les bourses, outre une zone de campement classique, des tentes prémontées et équipées, des bungalows pour deux ou même des villas de douze personnes avec salles de bains privatives. La petite cité de rêve compte une place de marché et rassemble divers magasins dont de vraies boucherie et boulangerie, un coiffeur, un « Moroccan Tea House », une centrale de rechargement de gms ou encore un pop-up store H&M. Et puis aussi, une soirée d’accueil dite « Gathering party », des jacuzzis ou sauna en libre accès et une radio diffusant de la dance music à gogo grâce à Studio Brussel. Bref, des détails qui ont de quoi marquer les esprits. Littéralement chouchoutés, les festivaliers revendiquent même venir au moins autant (si pas plus?) pour l’ambiance que pour l’amour de la dance music.

UN PUBLIC ENCHANTÉ ET FORTUNÉ
Parmi les premiers à avoir cru au potentiel du festival, l’on compte Samsung Electronics. Une association qui n’a rien d’étonnant à écouter Serge Vandriessche, Country Director Samsung Mobile Belgique: « Nous avons le même groupe cible, à savoir des gens majeurs mais jeunes dans leur tête, qui pour la plupart travaillent, et qui n’hésitent pas à dépenser leur argent pour se faire plaisir. » Effectivement, rien que pour une entrée, le tarif s’élève déjà à plusieurs centaines d’euros, ce sans compter les dépenses sur place et les éventuels camping ou billet d’avion. « Samsung se lie aussi facilement à la musique. Il ne faut pas oublier qu’une des premières options des gsm – en plus de téléphoner ou d’envoyer des messages – c’était de pouvoir s’en servir comme lecteur de musique. Le genre électro et ce que reflète les dj’s, devenus des stars à part entière, collent aussi bien à notre image. » Il ne reste alors plus qu’à établir un parallèle entre la remarquable montée en puissance du festival et celle de la marque d’électronique – passée de 10% à 45% de parts de marché en moins de dix ans – pour obtenir une correspondance parfaite.

Si quelques mois avant le festival, le groupe sud coréen habille, en points de vente, les packagings de ses produits des couleurs de l’événement, c’est surtout sa présence sur le terrain qui scelle le partenariat. Comme promis, il s’agit à chaque fois d’une exécution originale, dont le contenu est fondu dans l’esprit Tomorrowland: une piste à neige à dévaler en bouée, des auto-tamponneuses qui offrent un tour gratuit aux propriétaires d’un appareil siglé Samsung, une catapulte géante, un wash & dry… En 2013, l’activation s’est traduite par une véritable scène: la « Samsung Galaxy Secret Forest ». « Nous sommes dorénavant des partenaires officiels du festival, » indique Dieter Reyntjens, Marketing Manager chez Samsung Electronics, « ce qui signifie que notre nom se retrouve sur l’affiche officielle, sur le plan et que nous participons au line-up. » Mais pas question de se lancer dans du branding intempestif. La « Secret Forest », c’est une plateforme flottant sur un étang qui exhibe les sets une trentaine d’artistes. Pour y parvenir, les 250 spectateurs qu’elle peut recevoir doivent traverser une forêt enchantée. Des grimeuses sont là, prêtes à maquiller celui qui veut. Aucun logo, aucun drapeau de la marque. Seuls quelques appareils sont disponibles à la manipulation au fond de l’espace, avec des hôtesses discrètes qui ne peuvent en aucun cas se promener partout dans le festival. « C’est cela qui fait la valeur de Tomorrowland: une forte présence, très protégée pour être cohérent et consistant de bout en bout. Ici, nous ne pourrions jamais installer la grande tente blanche de notre ‘recharging station’ comme nous le faisons à Werchter par exemple. » Mais si elle ne peut (quasiment) apparaître nulle part, quelle est la plus-value pour la marque? « Nous sommes maintenant tellement liés au festival que si le public développe une affinité pour l’un, il développera une affinité pour l’autre, » détaille Serge Vandriessche. Mais surtout, « cela nous donne aussi la possibilité d’aller à la rencontre de nos consommateurs et, si l’occasion se présente, de leur mettre notre produit entre les mains. »
Tout pour la musique
Autre partenaire historique du festival: Alken-Maes qui estime que le festival est « hyper qualitatif ». D’abord avec Heineken. Mais Maes reprend le flambeau l’année suivante, assez logiquement comme l’explique Lies Eeckman, Marketing Director de la brasserie: « C’est une marque qui s’adresse à la nouvelle génération, soit le principal public des festivals. » Et tout comme Tomorrowland, c’est une marque qui court après la créativité, qui aime challenger les normes, qui veut renouveler ce qui existe. Ce n’est au demeurant pas un hasard si Maes s’est associée – depuis 25 ans – à Pukkelpop, un autre festival au caractère innovant et branché. Ensuite, « ce que le festivalier apprécie certainement le plus à Tomorrowland s’est d’être projeté dans un tout autre monde, monde dans lequel Maes se trouve aussi. C’est une excellente manière de se rapprocher des consommateurs et de partager nos valeurs avec eux. » Cette fois encore, les bars sont customisés à l’effigie du festival, « mais rien ne nous est directement imposé. Nous construisons le concept ensemble, de manière à ce que les deux marques s’y retrouvent. Cela signifie que nous nous immergeons dans l’atmosphère de rêve du festival, sans toutefois exagérer sur les fleurs et les fées qui collent moins à notre identité de marque, plus masculine. » Pour cette édition 2013, l’activation au programme était un stand de tatouages temporaires (qui tiennent trois semaines tout de même) incorporant ingénieusement les logos de Tomorrowland et de Maes. Les tatoués qui se faisaient remarquer dans la foule gagnaient alors un « front of stage pass ». Par ailleurs, une autre marque du groupe était également de la fête en juillet dernier. Pour la seconde année, Desperado proposait une scène sous chapiteau climatisé, le « Desperados Club », un club caché au fond d’une ville abandonnée animé par des dj’s. De quoi répondre à l’adn « party to the bone » de la bière à la téquila.

Toutefois, l’allié sans nul autre pareil des festivals reste Maes, qui participe à 800 événements liés à la musique par an. « Autant notre concurrent direct se concentre sur le sport, autant Maes mise sur la musique sur le plan du marketing. Et c’est très bien ainsi, » sourit Lies Eeckman. « La musique, c’est la combinaison idéale, un contexte social agréable, dynamique, de partage,… Toutes les valeurs que Maes met en avant depuis son grand retour il y a cinq ans. » Sa cible, les jeunes-adultes, ceux-là même qui veulent vivre de vraies expériences. Voilà pourquoi plutôt que de sponsoring, trop restrictif, notre interlocutrice préfère parler de partenariat avec les événements musicaux et de brand activation « qui permet d’entrer en conversation avec le public. »

Et alors que chaque été, la bière lance une campagne Maes Music, en 2013 elle lève l’ancre du « Maes Music Cargo ». Depuis la fin du mois de juin, ce bateau long de 39 mètres arpente les canaux du pays avec djs, fête et barbecue à bord. De plus, à partir du 30 août commencent les « Concerts Maes Music Cargo », ces concerts-surprises où la population ne découvre qu’au dernier moment quel groupe se produit et où. Cinq bands et cinq escales sont prévues. « L’univers maritime, son côté masculin, un peu rustre, cadre bien avec la bière. Les cargo-concerts que nous organisons remportent chaque fois un véritable succès et contribuent à rendre, dans l’imaginaire belge, Maes et la musique indissociables. »

A.G.