Le crowdfunding s'installe

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La collecte de fonds au service de la mise sur pied de projets créatifs, communicationnels ou informatifs prend pied dans notre économie. Si le crowdfunding ne date pas d’hier, il lui aura pourtant fallu près de dix ans pour toucher toutes les strates de la société. Le peer-to-peer, l’essor des réseaux sociaux, l’obsolescence des comportements individualistes, le tout assorti d’un zeste de crise, ont fait naître des vocations. Le monde de la communication et des médias sera aussi touché…

·        En 2012, le crowdfunding a pesé 2,5 milliards de dollars dans l’économie.
·        Média et annonceurs font leurs premiers pas.
·        Le bon usage des réseaux sociaux est indispensable.

Ils ne sont pas rares les artistes à avoir utilisé les ficelles du crowdfunding pour voir le jour. L’exemple de la Camerounaise Irma Pany et son célèbre hit «I Know » est un cas d’école. En quelques jours, grâce à la plateforme My Major Company, elle récolte les 70.000 euros nécessaires au financement de son album « Letter to The Lord ». Quelques échelons au dessus, en 2008, le candidat à la Maison Blanche, Barack Obama a collecté sur le net 158 millions de dollars et en 2012, c’est un milliard de dollars qui lui sont parvenus par ce biais. Le ‘financement par la foule’ fonctionne, il fait ses preuves. Il repose sur des produits financiers faciles à comprendre. Le principe est simple: le concepteur détermine la somme dont il a besoin et lance en ligne un appel à financement. En échange de celui-ci, des contreparties sont offertes. Grâce à cette approche participative, des dizaines de projets voient le jour sur des plate-formes belges comme: AkaStarter, principalement axée sur la musique, My First Company  dédiée à l’entrepreneuriat, de My Micro invest, toutefois plus axée sur le financement d’entreprises et startups… Pour sa part la française KissKissBankBank s’est, depuis deux ans, déployée dans la francophonie et désormais aussi à l’échelon européen. A sa tête, on trouve trois fondateurs, dont deux sont issus du milieu de la pub et des régies. « Pour l’heure 80% de l’activité provient des pays francophones. A côté de la France, s’ajoutent le Canada, la Belgique et la Suisse. On dénombre aussi des projets sur l’Espagne, l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, la Scandinavie… En termes de villes, Bruxelles arrive en troisième position, derrière Paris et Lyon,» explique Vincent Ricordeau co-fondateur et ceo, qui précédemment a travaillé pour la VNU et Sportfive. KKBB, dont la signature est «Maison de Créativité » a collecté trois millions d’euros en deux ans et mis en ligne 1.500 projets sur quelques 7000 reçus. 2013 devrait encore voire l’activité progresser. Est-ce à dire que la crise donne un coup d’accélérateur à cette formule? «Je ne le pense pas, » répond notre interlocuteur. «La crise met en exergue d’autres valeurs que l’argent, comme le Do It Yourself… Notre activité s’est plutôt développée grâce à l’émergence du peer-to-peer et des réseaux sociaux. Cela a permis de mettre les gens en relation de façon simplifiée. Des plate-formes comme la nôtre adaptent le peer-to-peer dans les flux et les échanges d’argent. De leur côté, les réseaux sociaux permettent de concrétiser et médiatiser des projets online, de façon plus efficace que si c’était offline. Les communautés sont directement identifiées.» De même, le contexte économique ne freine pas non plus l’activité de crowdfunding. «Chez nous, les contributeurs peuvent devenir mécènes pour cinq euros. Il n’y a donc pas de frein à ce niveau. La contribution moyenne est d’ailleurs de 50€, même si certains contributeurs mettent sur la table 2000 euros. Nous sommes en fin de cycle d’une économie sociale individualiste. L’humanité n’est pas construite là-dessus. Elle s’articule sur les liens sociaux, de l’empathie… Il y a un revers de médaille sociétale sur le sujet et ces valeurs-ci prennent le dessus parce que les autres ont fait trop de dégâts.»

Qui finance?

Parmi les contributeurs de KissKissBankBank, on trouve nombre de particuliers, mais aussi des acteurs de la sphère médiatiques et des annonceurs. Vincent Ricordeau divise ceux-ci en trois catégories. «Les contributeurs ont entre 28 et 40 ans. Ce sont pour 55% des femmes. Quarante pourcents de ceux-ci proviennent du premier cercle de relations du concepteur du projet, à savoir: la famille et les amis. Le deuxième cercle est constitué par ceux qui ont entendu parler du projet par le bouche- à- oreille ou via les réseaux sociaux. Il représente 30%. Les 30% restants du troisième cercle sont ceux qui s’intéressent soit à la thématique du crowdfunding, soit à la thématique du projet.» A côté des 80% de personnes physiques, la plate-forme enregistre le soutient d’institutions et de marques. «Elles se rendent compte que le financement participatif permet de dénicher des concepteurs, des créateurs, des innovateurs qui sont déjà en phase d’auto-marketing. Ce qui les rend plus matures que d’autres qui se dirigent directement vers des guichets de subventions, sans essayer de se débrouiller seuls. Des organismes comme leCNC(Centre National du Cinéma) ouCNT(Centre National du Théâtre), les grandes institutions culturelles travaillent avec nous. Les marques commencent seulement à s’intéresser à ces projets. Par exempleLa Banque Postalefinance à concurrence de 100.000 euros par an sur notre plate-forme. » Et de souligner: «Pour les marques et les agences, c’est du pain béni en terme de storytelling. Un créateur qui nait dans son projet grâce aux autres peut permettre de revaloriser de manière forte l’image de la marque. Des petits entrepreneurs locaux sont aussi intéressés. Le retour en storytelling a du sens pour ceux-ci. »
A côté des mentors précités, on trouve aussi l’agence de presse CAPA, Le Monde, la chaîne de télé Toute l'Histoire (…) et deux acteurs belges: l’IHECS et Lab Davanac. La direction de KKBB est actuellement en tournée auprès des grands annonceurs. «Imaginez qu’un constructeur automobile devienne le mentor de tous les sujets liés à la mobilité. Pour chaque catégorie de projets vous allez avoir un sens à ce qu’une grosse marque vienne s’immiscer dans le dialogue, parce que c’est une partie de leur propre futur. Aujourd’hui, la voiture est de moins en moins un outil de reconnaissance sociale. Elle acquiert une dimension collective. L’économie de partage va heurter de plein fouet l’économie classique. Les grandes entreprises appréhendent mieux ces changements C’est très récent, je n’aurais pas pu vous dire ça voici dix-huit mois. Le fait d’être identifié comme étant le bienfaiteur d’un projet apporte une visibilité à la marque. Cela permet aussi de s’installer dans un univers qui est basé sur l’empathie, la confiance, l’optimisme… Des valeurs assez rares dans la société actuelle. »

Financer quoi?

Véritable sherpa en termes de culture numérique, développeur éditorial, co-fondateur de NEST'up, accélérateur de start-ups axé sur les entreprises Wallonnes (…), Damien Van Achter a contribué à la mise sur pied de quelques projets journalistiques à travers sa plateforme Lab Davanac. Parmi ceux-ci: Business-Plan 101% de collecte réussie, Voina, l’art de la protestation à la Russe 110% de collecte réussie, Débrouille-toi et la crise ne t’aura pas 168% de collecte réussie… En l’occurrence tous ces contenus ont été imaginés et mis sur pied par des étudiants en journalisme de l’IHECS. Financés, ils sont désormais face à leur obligation de résultat! Et c’est ici que toute la stratégie satellitaire au crowdfunding intervient. «La réflexion est multiple. Comment je vais intéresser mes utilisateurs? Quelle expérience je vais leur offrir? Quel va être le chemin de navigation que je vais leur proposer? Quelle est l'expérience? On arrive sur un blog, une vidéo, du papier? Que proposez-vous sur base d'un développement journalistique? Comment gérez-vous le service après-vente? C'est sur base de ce qui va se passer après le lancement qu’on peut imaginer un modèle économique qui est celui d'une répétitivité, de devenir plateforme ... On réfléchit à la manière dont le contenu est proposé. Ce qui permettra d’intéresser un média, une marque, une ONG…, » raconte l’ex social media manager de la RTBF. Cette approche, qui ouvre certes des portes en termes de visibilité, de diffusion, de réalisation, de communication, de commerce… implique une maitrise de l’objectif et des moyens dès le départ. La dimension digitale et le bon usage des réseaux sociaux jouent de leur côté un rôle d’accélérateur de particules. Pour Vincent Ricordeau, si le journalisme a tout à gagner à travers cette approche, le monde publicitaire ne tardera pas à y goûter. «L’univers de départ était très artiste, audiovisuel… Il s’élargit à d’autres domaines, la pédagogie commence à prendre. Les agences de publicité nous rencontrent pour appréhender l’apport du crowdfunding, le comprendre et voir ce qu’elles peuvent monter comme opération avec leurs propres clients. » Elaboration de produit, tests, partage, prévente… La porte est grande ouverte. « Nous avons créé un outil pour libérer la créativité au sens large. Faire en sorte que chacun d’entre nous puisse s’assumer comme créateur. Nous sommes une fabrique à optimisme et à confiance en soi. Quel que soit les relais que l’on peut trouver. Nous sommes là pour initier un nouveau paradigme,» conclu notre interlocuteur. Hippies du troisième millénaire et un tantinet geeks, les acteurs du crowdfunding portent haut les couleurs de l’économie de partage. En 2012, celle-ci a pesé pour 2,5 milliards de dollars. Et ce n’est qu’un début.

« Le fait d’être identifié comme étant le bienfaiteur d’un projet apporte une visibilité à la marque. » (Vincent Ricordeau)

Les chiffres du crowdfunding
En mai 2012, EGS, cabinet juridique new-yorkais publiait une étude internationale sur l’activité de crowdfunding dans le monde. Sur base du Crowdsourcing.org’s Directory of Crowdfunding Sites, représentant 452 plateformes et ayant fourni 170 répondants, EGS a établi un baromètre de l’activité. On observe ainsi qu’en 2011, ce sont les Etats-Unis et l’Europe qui se sont principalement distingués dans cette discipline; à concurrence respectivement de 837 et de 584 millions de dollars. La carte des plateformes de crowdfunding place les Pays-Bas, juste devant la France, mais loin derrière l’Angleterre. En termes d’activité, informatique, internet, télécommunication et média occupent la tête du peloton.