Le pain, plus fort que la pub?

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Branding / Le marketing selon Le Pain Quotidien

Alain Coumont est l’un des orateurs du STIMA 2012, le congrès international du marketing qui se tiendra les 7 et 8 décembre à l'ICC de Gand. Il faut dire que son parcours a doit quoi intriguer puisqu’il a mis le concept du Pain Quotidien sur pied avec succès, sans jamais recourir au marketing. Du moins, pas au marketing en tant que publicité.

·        Un concept construit par hasard
·        Mais naturellement basé sur des valeurs fortes
·        Le marketing ne se résume pas à la pub

« La marque du Pain Quotidien s’est construite toute seule. Il faut bien avouer que je n’ai que peu de mérite de ce point de vue-là, » commence Alain Coumont, fondateur et Chief Creative Officer du Pain Quotidien. Selon ses dires, la réussite du Pain Quotidien ne serait due qu’à une suite de malheureux accidents finalement heureux. « Tous les éléments étaient réunis pour faire faillite trois mois après l’ouverture. Cela a bien pris cinq-six ans avant que ne pointe la perspective d’un succès. Je serais d’ailleurs de très mauvais conseils pour les jeunes qui sortent d’écoles type Solvay. »

Au départ, Alain Coumont est chef coq, formé à l’Ecole hôtelière de Namur. Après avoir travaillé dans la restauration de luxe et comme cuisinier privé à New-York, il revient à Bruxelles et ouvre le Café du Dôme en 1987. Peu satisfait de la qualité du pain pour le restaurant, il décide de le fabriquer lui-même, installant four et pétrin dans un atelier de fortune. « Mais faire de tels investissements pour ne fournir qu’un établissement, c’était de la folie! Il fallait que j’ouvre une boutique de manière à travailler à plus grande échelle. » Le premier Le Pain Quotidien voit le jour en 1990 rue Antoine Dansaert et ce, sans le moindre plan financier. « J’ai trouvé là un rez commercial à louer. Il a fallu le meubler en vitesse: j’ai racheté des étagères de vitrine en chrome dans une boulangerie arabe de Schaerbeek, déniché un vieux placard en sapin type confiturier et je suis tombé sur une ancienne table de couturière rue Haute, dont la taille me convenait bien. » Ces trouvailles, purs fruits du hasard, vont pourtant bientôt faire partie intégrante de l’identité de la marque. « J’aime dire que sans cette table, nous ne serions pas là où nous en sommes aujourd’hui. » Autour de cette table rendue collective, c’est en effet tout un esprit de convivialité qui se développe et qui vient naturellement renforcer la symbolique du partage dont le pain est empreint dans nos sociétés.

Un concept dû au hasard
Ces coïncidences donnent doucement naissance à un concept. « Je n’avais rien calculé. D’ailleurs, il m’a fallu des années pour comprendre le monstre que j’avais créé. Aujourd’hui encore, j’ai parfois du mal à le définir. » Parce qu’est-ce que Le Pain Quotidien? Une boulangerie? Un salon de thé? Un restaurant? L’enseigne a fait le choix de se qualifier, justement, de table commune. Le nom, lui, a coulé de source… Même s’il faut bien avouer que ses sonorités en « in » ne sont pas les plus faciles à exporter sur les autres continents. Quant au logo, qui estampille dorénavant même la vaisselle, « il a été dessinée par une jeune graphiste que j’ai dû payer à l’époque l’équivalent de 250€. Je n’avais de toutes façons pas les moyens de mettre plus. » Idem pour la publicité. La seule communication dont le Pain Quotidien a bénéficié à son lancement, c’est un article dans le journal Le Soir.
C’est avec cet article-là qu’une dame vient un jour, six semaines après l’ouverture. Elle propose d’ouvrir un magasin avec la même décoration qui serait fourni par la boulangerie d’Alain Coumont. Une franchise en somme. « Mon comptable m’a transmis une copie du contrat de franchise d’une enseigne de pelotes de laine. J’y ai remplacé tous les mots 'pelotes' par 'pains' et j’ai fait signer mon premier contrat, sans avocat parce que je n’en avais pas les moyens. » En 18 mois, ce sont six établissements franchisés supplémentaires qui ont ouvert leurs portes. La machine est en marche, même si pas encore bien structurée.

En 1997, se concrétise – non sans mal – le rêve américain. A la base, une proposition de partenariat faite par un américain qui n’aboutira pas. Or débarqué à New-York, Alain Coumont repère un chouette emplacement Madison Avenue et, avec un nouveau partenaire belge, tente quand même le coup. « Quatre jours après, le New-York Times réalisait une demi-page sur nous puis tout a démarré d’un coup. En six mois, nous étions devenus rentables. Nous avons alors commencé par ouvrir un deuxième, puis un troisième magasin. » Aujourd’hui, l’on compte une trentaine de Pain Quotidiens dans tous les Etats-Unis, de Washington à la Californie. Et puis aussi en Australie, aux Emirats Arabes Unis, en Russie, au Mexique, etc. Au total – et pour l’instant – l’enseigne est présente dans 19 pays. A chaque fois, l’on y retrouve le même univers. « C’est effectivement devenu notre marque de fabrique. Il y a très peu d’adaptations où que l’on aille, de Zurich à Dubaï. Que ce soit dans un grand building ou un petit espace, nous imposons de récréer notre atmosphère. Quelque chose de très chaleureux, de convivial, de sûr. De très 'mammifère' en définitive. Aspect qui plaît apparemment à notre clientèle que nous avons découverte constituée à 80% de femmes. »

Le non-marketing comme marketing?
Ce serait donc naturellement, avec le temps et au fil des rencontres, que Le Pain Quotidien s’est constitué en marque forte, consciente des caractéristiques qui font ses forces. Et non pas grâce à une quelconque stratégie marketing. « Le ticket d’entrée pour toute pub est très cher. Or, pendant des années, l’entreprise ne pouvait pas se le permettre. Je m’en suis donc passé. » Pour celui qui est à l’initiative de la désormais chaîne du Pain Quot’, si le service et/ou le produit est supérieur, le marketing n’apporte pas énormément. L’important est de faire connaître cette nouveauté rapidement, avant que la concurrence s’en empare. « J’ai au début pratiqué du 'marketing instinctif' en allant, par exemple, servir des petits-déjeuners dans des boîtes de nuit le lendemain du réveillon. J'imagine que cela m’a permis de toucher, l’air de rien, des prescripteurs. »

« Marketer » excessivement serait peut-être même contre-productif. « Je pense qu’une de mes particularités est d’être arrivé avec une approche de consommateur. J’étais un consommateur qui voulait donner vie à un de ses fantasmes, comme tous mes partenaires d’ailleurs, d’abord séduits en tant que consommateurs. Alors qu’en général, ce sont les marketers qui construisent un besoin ou une envie qui pourrait correspondre à l’une ou l’autre niche. De ce fait, j’imagine que ma démarche a été perçue comme une espèce d’acte d’amour, pas une 'méchante approche de communication' si je peux m’exprimer ainsi, » réfléchit Alain Coumont. « De même, lorsque nous avons introduit le bio, c’était réellement pour la qualité des produits. En rien dans une optique de greenwashing. »

D’ailleurs, si aujourd’hui près de 23 après, la marque est un excellent gagne-pain et pourrait s’offrir de grosses campagnes, la publicité n’est pas vraiment à l’ordre du jour. « Il est vrai que nous avons maintenant un budget marketing. Mais nous l’avons mis sur pied avant tout pour rassurer nos actionnaires qui, habitués à cette pratique, s’inquiétaient de ne pas en avoir! Pour preuve, il s’agit d’un budget plutôt léger et même comme ça, c’est rare que nous parvenions à le dépenser. Notre seul vrai marketing, c’est signer un bail dans une rue sympa. Une rue où les gens passent, testent… et reviennent! »