Le pari fou!

Marianne cover

Articles traduits

Marianne Belgique fait front au Vif / L'Express

Le neuf mars, Marianne Belgique a pris place dans les rayons des libraires. A l'heure où la presse magazine déguste à tous les étages, une bande de mousquetaires ose goûter à l'aventure périlleuse qui est celle de lancer un news hebdo et de faire des vagues dans un segment peu disputé.
·        Objectif: une diffusion à 15.000 exemplaires.
·        Un deuxième tour de table attendu au niveau de l’actionnariat.
·        IP Press assure la régie du titre.

Depuis la disparition du Pourquoi Pas? en 1989, il n'a jamais été simple de lancer un news hebdo sur le marché de la presse francophone belge. En 1990, L'instant tentait un coup de force. Deux ans plus tard, il déposait les armes. Dans les deux cas de figure, c'est Le Vif / L'Express, édité par Roularta, qui s'est retrouvé renforcé par ces disparitions. Sans effets de manche, l'hebdomadaire a développé une stratégie basée sur deux fondements: l'abonnement et l’élargissement de son offre éditoriale news avec ses suppléments féminin et culture/télé. Et ce n'est pas l'épisode du Journal du Mardi (1999-2005) qui a changé la donne. Marianne Belgique peut-il échapper à un pareil destin qui semble tout tracé? Outre le pari qui réside dans la rencontre entre le titre et un lectorat en attente d'une information «  indépendante, irrévérencieuse et intelligente » - sa ligne de conduite - il faut analyser point par point tous les paramètres de l'entreprise.

Une folie raisonnable...

L'enthousiasme de ses promoteurs est certes un ingrédient de base, mais il se doit d'être solidement accompagné par d'autres éléments. Voici deux ans que l'historien, diplomate et homme de paix israélien Elie Barnavi caresse l'idée de donner une petite sœur à Marianne France. Il fait figure de chainon entre la direction française du magazine et Benoît Remiche, administrateur délégué de Tempora (acteur de poids dans la sphère cultuelle) et ex président du conseil d'administration de Belgacom. Les deux hommes œuvrent à l'avènement du projet. Les effets d'annonce se succèdent pour finalement, voici quelques mois, aboutir à la mise sur pied d'une équipe et à la quête de capitaux. Le coup d'accélérateur est donné avec le choix de Pascal Vrebos, figure de proue des débats politiques sur RTL-TVI et du Bel RTL Soir sur la station éponyme. L'homme devient directeur de la rédaction. Ceci en étonne plus d'un.

L'ex chroniqueur de L'instant aurait-il perdu la tête? « C'est un pari fou raisonnable. Engager des gens en période de crise est certes fou. En regard du nombre de cv que j'ai reçus, je constate que la profession de journaliste est mal en point. Raisonnable, pourquoi? Parce que nous sommes à un moment de poly-crises. Il y a des crises et des crisettes à tous les étages. La Belgique est elle-même dans un état d'évaporation virtuelle, sur fond de bricolage politique permanent. La question est: Où va-t-on? Et comment peut-on résoudre, toute une série de nœuds aux niveaux économique, financier, politique, communautaire, moral, éducatif, épistémologique?... Je pense que dans ce contexte, un magazine indépendant, irrévérencieux, intelligent peut avoir sa place au cœur d’un certain ronron quotidien. C'est un appel d'air à la réflexion, à la polémique et au débat. L'hebdo n'est ni de gauche, ni de droite. Il dénoncera les mauvaises gouvernances, mais il ne se limitera pas à dénoncer, il donnera aussi des pistes. C'est l'ADN de Marianne. »

Les parrains de Marianne

A côté d'un Pascal Vrebos, véritable chef d'orchestre éditorial, prend place une petite rédaction de cinq personnes, sous la rédaction en chef de Vincent Liévin, journaliste et bloggeur. Une dizaine de collaborateurs freelances complètent les effectifs de l'équipe de Marianne Belgique. Il faut savoir, qu'à l'instar du Vif/L'Express, qui emprunte une partie de son contenu à L'Express français, ici, seulement un tiers de la pagination est assuré par la Belgique. Les pages estampillées bleu- blanc- belge se fondent dans une maquette d’une centaine de page entièrement reconstituée et à la carte.

A côté de la rédaction, l'essentiel est géré à l'extérieur. « Nous nous concentrons sur la production de contenu et nous externalisons le reste, à savoir l'impression, la publicité via la régie IP Press, les abonnements avec le servicePartenaire PressedesAMP. » précise Benoît Remiche, ceo de la Semeb, société éditrice de Marianne Belgique. L'homme a finalement réussi à réunir un capital de départ de 1,45 millions d'euros, soit la moitié de ce qu'il estimait avoir besoin au départ! Une augmentation de capital est d'ailleurs prévue prochainement, qui devrait conduire le titre au seuil des deux millions d'euros. Ceci étant, la direction se dit sereine côté budget. « Marianne arrive modestement mais sérieusement. Le but est de ne pas perdre de l'argent, mais de faire des bénéfices. Nos actionnaires ne sont pas des philanthrope.Nous devons donc tenir l'équilibre et nous développer.» professe Pascal Vrebos. Et de s'enthousiasmer de la présence dans le conseil d'administration et dans le capital de Michel Leempoel, administrateur délégué des éditions Ciné Revue. « Il fait partie des ingrédients sérieux de ce 'pari un peu fou'. C'est fantastique qu'un patron de magazine people à succès s'intéresse à notre projet.» On observe par ailleurs que l'actionnariat de l'hebdo est très diversifié et tout autant étoilé. «Nous avons premièrement la coopérative 'Les amis de Marianne', qui représente actuellement 10% du capital. Suivent cinq actionnaires à hauteur chacun de 100 à 250.000 euros et de plus petits actionnaires se situant entre 25.000 et 50.000 euros. Le capital est suffisant pour mener à bien le projet, » précise Benoît Remiche. Quant aux noms qui se « cachent » derrière ce parterre, que du beau linge. On trouve à la présidence du c.a. l'avocat Bernard Remiche et à la vice-présidence, messieurs Michel Leempoel et Yves Delacollette - représentant Franco Dragone, dont la participation flirte autour des 300.000 €. Suivent, parmi d'autres: Jean-François Raskin, directeur de l'IHECS et vice président du c.a. de la RTBF, Michel Kacenelenbogen manager et fondateur du théâtre Le Public, Elie Barnavi... Parallèlement à cette structure, l'hebdomadaire entend nouer des liens avec certains médias. Le quotidien De Morgen participe à l'aventure à travers des éditos concoctés sur mesure. Volet télé, Marianne entend travailler autant avec la RTBF que RTL, ceci malgré la filiation de Pascal Vrebos avec la seconde. La casquette au frigo? « C'est très clair, je défends Marianne! » décoche t-il.

Sus à la morosité

En regard du tableau présentant l'historique des chiffres de diffusion de la presse hebdomadaire francophone sur les six dernières années, on a de quoi frissonner. Ce constat, qui déborde largement communautés et frontières, est flippant. Seul un titre tire son épingle du jeu:  Paris-Match qui progresse contre vents et marées. Les autres encaissent une baisse drastique de leur diffusion payante. C'est dire que sur le plan sportif, on ne peut que saluer l'arrivée de Marianne Belgique. Pour Bernard Cools, deputy general manager de Space, «le sort que connaît la presse magazine est injuste. Elle a toujours de nombreux atouts. » Quant à la belle Marianne, il ne la promet pas à la guillotine. «Je ne condamne pas l'entreprise dès le départ. Il y a en effet une place à prendre. Leur projet semble tenir la route. » Dans les rangs des concurrents installés, on fourbit les armes. Le Vif / L'Express renforce sa rédaction, Le Moustique tente d'additionner les scoops et Le Soir Magazine s'adonne aux « révélations ». Marianne semble réveiller ou du moins faire de l'effet à ses ainés. Si cette émulation est à saluer, ses honorables confrères n'ont pas trop de craintes à avoir. La nouvelle venue espère atteindre les 15.000 exemplaires vendus d'ici la fin de l'année, sans pour autant développer à outrance son offre numérique. Une édition tablette, dans un premier temps limitée à une version pdf, ainsi qu'une autre dédiée aux smartphones, relayant le site, constituent la seule existence dématérialisée d'un magazine, vendu au numéro 3,80 €. On n'observe pas non plus de véritable politique d'abonnement. « Nous privilégions la vente en kiosque, avec une couverture qui accroche et aussi du fond. Je défends les libraires qui sont les mal aimés. Nous avons un site, on peut y acheter Marianne en format pdf. Mais je ne veux pas dépenser un argent fou sur internet. Pour le moment, tout le monde y perd de l'argent. » déclare Pascal Vrebos. Pour la petite sœur de Marianne France et la cousine germaine de Ciné Télé Revue, le temps de l’épreuve est venu.