LE SANG DES RÈGLES N’EST PLUS BLEU, DITES-VOUS ?

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La publicité a l’agilité pour passer à côté de l’essentiel, manipulant des corps féminins pour vendre n’importe quoi : des bimbos pour un paquet de chips, une blonde nue pour de l’outillage électroportatif... Bref, c’est (aussi) pour ça qu’on l’aime, mais pourquoi diable la pub ne montre-t-elle pas le corps des femmes pour parler du corps des femmes ? Heureusement, on peut aujourd’hui compter avec une nouvelle vague : le sans-tabou déferle. - Camille Lingre, @Influencia

L’heure est venue de mettre les points sur les «i». D’appeler un chat, un chat. De cesser de prendre des vessies pour des lanternes. De prendre les consommateurs - les individus que nous sommes - pour des idiots. Les campagnes de publicité qui promeuvent un "minou tout doux" (Veet et son spot sexualisant des filles de plus en plus jeunes), des savons Dove conçus pour convenir à toutes les femmes ("de peau normale à peau noire"), des mannequins à deux doigts de l'orgasme en savourant un yaourt 0% m.g. (ici les exemples sont multiples) ne sont plus audibles, visibles, possibles. Alors plutôt que de poursuivre dans cette voie, un conseil: mettez le nez dehors et voyez ce qui se trame. Le savoir concernant la gent féminine, son corps et son histoire est partout. Le discours s'élève vers une représentation des genres plus égalitaire, et plus... intéressante.

La vulve, un second sexe passé sous silence qui aujourd'hui se découvre une voix et mille visages.

Serviettes et Pussypedia
Une nouvelle façon d'infirmer, sans tabeau, se fait jour au travers de concepts pédagogiques, voire éditoriaux, divertissants et souvent artistiques. Certes, la publicité nous dicte des attitudes qui seraient propres à un sexe, à une société et des modes de consommation, et ainsi souvent contribue à l'aliénation de chacun aux pouvoirs et aux images. Pourtant, la vulgarisation de l'information et l'occasion rêvée pour les enseignes, entreprises et publicitaires de renouveler leurs contenus, discours et campagnes afin d'introduire de la nuance et de susciter le débat grâce de à des motos moins stéréotypés et plus impactants. Certains activent aujourd'hui cette option. Cela change la donne et des campagnes publicitaires et clips artistiques fusent comme des cris de ralliement pour un monde tout en diversité et un corps féminin démystifié. Un acteur exemplaire de ce renouveau? La marque de protection hygiénique suédoise Body Form. Elle fait son nom dans la pub en étant en 2017 la première à utiliser la couleur rouge pour dépeindre le vrai sang menstruel (scandale!) au lieu du liquide bleu qui habituellement joue le jeu de l'efficacité d'absorption des protections. En 2018, elle délivre un spot dédié à la beauté plurielle de la vulve - un second sexe passé sous silence qui aujourd'hui se découvre une voix et mille et un visages. Dans la même veine, la jeune belge Charlotte Abramow, grâce à un clip sublimant la vulve en métaphores infinies, choisit Les Passantes de Georges Brassens pour ancrer son propos chez les jeunes (et moins jeunes).
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Au-delà des films et de la pub, une nouvelle bible de la femme et de son sexe verra le jour au printemps 2019: Pussypedia. Initié par la journaliste Américaine spécialiste de la vulgarisation scientifique Zoe Mendelson (et deux copines illustratrice et chercheuse), ce projet hybride mi-collaboratif mi-site d'information est né grâce à un financement participatif sur Kickstarter. Acquis au discours aussi inclusif que passionné, féministes, scientifiques, chercheurs, amateurs,... ont cliqué par milliers de dollars our soutenir la somme. En cours de modélisation, Pussypedia promet une multitude de formats, contenus et explications sur les hormones, les menstruations, le désir sexuel, l'appréhension du corps et l'intimité féminine plurielle.

Si le projet est novateur, ceux qui se créent autour de l'élévation du statut des femmes par le biais de la vulgarisation du propos remontent à 2017, notamment grâce à l'illustratrice et très engagée Suédoise Liv Strömquist, qui brisait le tabou des règles en exposant six de ses dessins dans une station de métro de Stockholm. En France, au même moment, Elise Thiébaut et Mirion Malle publiaient leur BD sur les cycles menstruels à destination des jeunes. Un an auparavant, Le Monde y mettait du sien en publiant dans sa rubrique Les Grands Formats un ouvrage haut en couleur et en action : Petite et grande histoire du féminisme en bande dessinée. Des bulles passionnantes et ludiques, adaptées à la lecture des enfants, des adultes et des grands parents un peu dépassés sur l'histoire du féminisme, de ses multiples mouvements et formes, et de ses cheffes de file.
Les Monologues du vagin
Cette liste est non exhaustive, car on soupçonne que des centaines de récits passionnants ont participé et participent à ouvrir la discussion et ré-envisager l'intimité féminine. En 2019, la brillante et incontournable pièce du pilier du féminisme Eve Ensler Les Monologues du Vagin - dont la première représentation date de 1996! - donne encore un goût de la surprise et de l'engouement que peuvent susciter de tels sujets auprès d'un public de non-initiés, réjoui sinon plus que le cercle des féministes aguerries. Dans la même veine, on citera l'interprétation du livre de la journaliste Camille Emmanuelle, spécialiste des questions de sexualité, Sexpowerment, le sexe libère la femme (et l'homme). Une discussion époustouflante de vérité où l'on partage et explore avec joie et vulnérabilité sa relation très intime avec sa propre sexualité. Parce que les sexualités doivent être plurielles pour accéder à la liberté totale de soi, cette conversation est la clé parfaite pour mieux se connaître et assumer sa légitimité.

Chattologie, ce sujet vous concerne que vous soyez doté d'un utérus, d'un pénis ou d'une trottinette électrique.

Dans un registre spectacle-conférence, Chattologie (écrit par Louise Mey), justement sous-titrée "courte conférence sur la gestion des flux", y navigue avec humour et justesse. Réprimandées, sous-estimées, rarement expliquées, les règles méritent une meilleure éducation pour une meilleure gestion. " Chattologie s'adresse à tous: quadras curieux, ados angoissé-es, mamies révoltées, couples, frangins, cousins, futures mères, futures pas-mères, voisines, boulanger: ce sujet vous concerne que vous soyez dotés d'un utérus, d'un pénis ou d'une trottinette électrique", vante l'auteur. On trouvera autant d'initiatives, projets artistiques, politiques, historiques, scientifiques, pour tenter de pallier la méconnaissance des fondamentaux d'une société égalitaire. Pour se libérer des carcans de légende, s'affranchir des modèles datant de la préhistoire. Et si ces usages se multiplient, la contribution associée des institutions et structures privées de tous bords, y compris les marques (dont l'influence sur la vie du consommateur est considérable) permettra d'éduquer tout un chacun parfois crûment mais sûrement.

Patience dans l'azur

Et si les femmes sont un sujet à part entière dans cette démarche de vulgarisation des savoir, c'est parce qu'elles demeurent aussi essentielles que la politique ou les mathématiques, pour "quitter" une société de la représentation pour celle de la participation.  En effet, l'enjeu de la vulgarisation de l'information n'est pas seulement de transmettre, mais de donner l'occasion au citoyen qui la reçoit de s'en emparer, de l'utiliser à bon escient, de prendre conscience des réalités et de faire évoluer sa façon de se concevoir, de concevoir le monde, de le penser et de le consommer.

L'astrophysicien Hubert Reeves l'a bien fait en publiant en 1981 Patience dans l'azur, un ouvrage destiné à démocratiser la science de l'univers. Traiter du sujet des femmes tient malheureusement de la même prouesse. Les femmes, leurs corps et leur histoire sont encore trop méconnus (voire niés) et le désintérêt des institutions de s'investir dans les enjeux du Deuxième Sexe en est la cause. Alors, chers publicitaires, profitez de ce savoir, des sources d'information et inscrivez cette réflexion illico dans vos to-do lists.