« Le talent n'a pas de couleur »

Articles traduits

Une managing director chevronnée d'une agence de publicité et une entrepreneuse sociale qui ne jure que par l'impact et qui est devenue membre du Parlement flamand deux jours avant cette conversation. Voici la recette de ce nouvel article Your Turn. - Wim De Mont
Petra De Roos Sihame El Kaouakibi  PUB3 19
PUB a de nouveau organisé une « blind date » pour deux personnes. Le décor : l'élégant salon de DE Studio à Anvers, le nouveau centre artistique pétillant (à côté du cinéma) occupant l'ancien espace du Studio Herman Teirlinck, où nombre d'acteurs et actrices flamands ont été formés par le passé. Les deux invitées : Sihame El Kaouakibi et Petra De Roos. Une blind date est une blind date, nous ne savons pas encore si ces deux personnes se sont déjà rencontrées. En l'occurrence, nous avons droit à un match immédiat : elles se sont vues la veille de cette conversation et se connaissent depuis quelques années. Elles n'ont par conséquent pas eu besoin de se présenter l'une à l'autre, mais nous leur avons demandé de tout de même parler un peu d'elles.
Sihame El Kaouakibi :« À chaque fois, je dis quelque chose de différent ! Si je discute avec des jeunes, je parle de Let's Go Urban ; dans le monde de l'entreprise, j'évoque l'agence d'études de marché NextGenIty, car je veux être une entrepreneuse qui a un impact. Avec les hommes ou les femmes “moyens”, j'attends de voir quelle est la meilleure approche. »
Petra De Roos :« Politique ! »
Sihame El Kaouakibi :« Oui, le 8 juin, j'ai prêté serment en tant que membre du Parlement flamand. Mais je n'ai pas de ligne directrice pour me présenter, parce que je fais trop de choses. En revanche, je dis toujours que j'attache de l'importance à mon impact. Je veux que le monde change de manière positive pour tout le monde. Or tout commence avec l'éducation. Ce que beaucoup ne savent pas, c'est que je suis en réalité diplômée en Pédagogie. »
Petra De Roos :« Le choix du mot “impact”, j'aimerais bien le copier ! Je travaille aussi sur l'impact, pour des marques, pour des entreprises, et parfois pour le monde. De stagiaire à managing director, j'ai fait toute ma carrière dans l'agence de communication LDV United, fondée par Harry Demey. Avec notre équipe de 50 personnes, nous y essayons d'avoir un impact de façon stratégique et créative. »
Sihame El Kaouakibi :« Incroyable, de stagiaire à managing director ? Comme quoi, les stéréotypes... »
Petra De Roos :« Il faut dire que 22 années se sont écoulées ! » (Rires)
Sihame El Kaouakibi : « Quand bien même... Cela en dit long sur la maison ! »
Petra De Roos :« C'est vrai, nos deux directeurs créatifs ont eux aussi commencé par un stage. Il y a quelque chose de particulier. »
Sihame El Kaouakibi :« Il est important qu'une énergie saine et positive circule. Pour que les collaborateurs puissent évoluer avec elle. »
Sihame El Kaouakibi  Petra De Roos PUB3 19
Au fond, comment vous connaissez-vous ?
Sihame El Kaouakibi :« Aucune idée. Sans doute via LDV... »
Petra De Roos :« Nous avons par exemple sponsorisé la nouvelle maison de Let's Go Urban. Certaines personnes qui travaillent chez nous ont dansé chez Let's Go Urban. Cette année, nous avons d'ailleurs organisé notre fête du Nouvel an à JJHouse, le nouveau lieu de travail de Sihame. »
Quels sont vos points de vue sur la diversité dans un contexte urbain ?
Sihame El Kaouakibi :« Notre peuple d'abord ! » (Hilarité générale)
Petra De Roos :« En vérité, je préfère ne pas parler de politique, mais j'aime beaucoup la diversité. L'an dernier, l'ACC a mené un sondage sur la proportion de « blancs » au sein des agences ; plus tard, je me suis rendu compte que j'avais rempli le questionnaire n'importe comment. Je n'avais pas classé le collaborateur de LDV provenant du Vietnam ni celui dont le père est sud-américain dans la catégorie “origine étrangère”. Il faut croire que je ne vois pas les couleurs. J'aimerais que la génération suivante soit elle aussi insensible aux couleurs, car je trouve qu'il s'agit d'un problème qui n'en est pas un. A fortiori dans un environnement créatif, nous devons accueillir à bras ouverts les cadres de référence différents avec lesquels travaillent les gens. Ils apportent plus de richesse aux idées et voient d'autres possibilités. »
Sihame El Kaouakibi :« Et nous n'avons même pas encore évoqué l'égalité entre les femmes et les hommes ! En ce qui concerne la couleur, j'affirme toujours : “Talent is colour blind”. Je continue de trouver étrange que les personnes issues de l'immigration n'aient pas suffisamment accès à l'éducation supérieure. L'étroitesse d'esprit perdure. On a pu le constater le 26 mai. Une personne sur cinq a voté pour le Vlaamse Belang, et vous devriez voir les commentaires sur ma page Facebook, avec des messages tels que “moslimhoer” (“salope de musulmane”) ou “keer terug naar uw land” (“retourne dans ton pays”). Vous voyez l'état d'esprit... Tom Van Grieken est certes plus modéré que Filip Dewinter, mais la sensation reste la même. Comment lutter contre cela ? Hier, quelqu'un m'a dit que nous devrions lancer un réseau de nœuds, qui consisterait à entamer plus souvent le dialogue avec les gens. À parler chaque jour avec quelqu'un à qui nous n'adresserions habituellement pas la parole : dans le bus, dans le tram... »
Petra De Roos :« Dans notre secteur, je constate bien qu'on se rend compte du manque de diversité. De nombreuses initiatives existent, mais nous pourrions incontestablement faire mieux. Nous manquons de nouvelles personnes. »
Sihame El Kaouakibi : « Pour cibler correctement, il faut connaître les gens, il s'agit de mon objectif avec NextGenity et l'agence WannaCatch. Pas pour faire concurrence aux agences plus grandes, nous continuons d'être une niche et collaborons même avec des agences de communication pour amplifier notre impact. Pour ce faire, le secteur doit s'ouvrir, ne serait-ce que pour accueillir des personnes n'ayant pas suivi la formation “appropriée”, mais disposant d'autres cadres de référence. »
Sihame El Kaouakibi Petra De Roos PUB3 19
Empathie
La diversité, cela concerne également le rapport entre les sexes...
Petra De Roos :« Les marques peuvent jouer un rôle de précurseur. Mais ce qu'on raconte doit être en accord avec les valeurs mêmes de la marque. Une image de deux femmes qui s'embrassent chez H&M semble logique, mais la représentation de deux femmes dans un même lit par IKEA a été considérée comme peu crédible par certains. En tant que marque, il faut choisir une position qui soit reflétée par la communication. Toutes les marques ne peuvent pas se dresser en haut des barricades. Ce que les gens estiment “possible” est subjectif et influencé par l'esprit du temps. Dans ce domaine, l'autonomisation s'est beaucoup développée, surtout chez les jeunes, de même que la sensibilité à certains thèmes. »
Sihame El Kaouakibi :« Bien sûr, le silence a été trop long. Il y a une différence entre se taire puis se mettre à hurler et écouter puis parler. La deuxième option aboutit au dialogue, la première non. Les jeunes agissent souvent en réaction à une indignation personnelle, et donc de façon colorée. Personnellement, je me considère comme riche, car mon cercle de connaissances est très divers, que ce soit en matière d'âge ou d'origine ethnique. Cela vous apporte beaucoup de richesse, ce qui donne une image nuancée, empathique. »
Petra De Roos : « L'empathie est une discipline au Danemark, comme j'ai pu le lire cette semaine. Ce n'est pas génial, ça ? »
Sihame El Kaouakibi : « Trop souvent, les gens sont enfermés dans le carcan de leur église ou de leur mosquée, et parlent trop peu avec des gens en dehors de leur bulle. C'est ce que je tente d'accomplir avec Let's Go Urban : rassembler des jeunes de toutes les couches de la population et construire quelque chose ensemble. Nous devons nous défaire des stéréotypes. »
Quotas
Petra De Roos :« Cela vaut également pour la vie en entreprise. Le nombre de filles diplômées est plus élevé que jamais, mais le nombre de femmes occupant un poste à responsabilités élevées reste extrêmement bas. J'ai un CEO féministe, cela aide. Je ne suis pas fan des quotas, mais parfois, ils sont nécessaires pendant une période de transition. Je ne crois pas que les entreprises avec des femmes CEO sont toujours plus performantes que les autres, et c'est parce que le peu de femmes qui se sont faufilées parmi ce bastion d'hommes sont simplement de bons CEO. Il faut avant tout mettre un terme à l'homogénéité, les algorithmes sont écrits par les hommes, l'intelligence artificielle est mise au point par des hommes. »
Sihame El Kaouakibi :« C'est justement la mixité femmes-hommes qui débouche sur de meilleurs résultats. Dans l'éducation, 95 % des enseignants sont blancs et sont des femmes. Ce n'est pas une bonne chose, il faut définir des objectifs stratégiques. La mixité femmes-hommes et la diversité ethnique font réellement une différence. »
 
La conversation continue un peu. Sur la créativité, par exemple. Et sur la façon de la développer : en invitant des intervenants dans les écoles, avec des créatifs inventeurs, par le biais de l'apprentissage critique... Et grâce aux médias, maintenant que les points de contact sont omniprésents et que tout est devenu contenu. Les deux femmes sont extrêmement impliquées dans ce domaine, et comptent manifestement continuer à s'engager pleinement dans ce qu'elles font. Nous sommes impatients de voir ce que cela donne.