Les ceo de Rossel, IPM et L’Avenir

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CIM / Au tour de la table, les ceo de: Rossel, IPM et L’Avenir

La publication des chiffres de l’étude CIM Presse Cinéma 2012 a fait nombre d’heureux dans les rangs des éditeurs de journaux du Nord au Sud du pays. Du côté des titres francophones, on frise même la standing ovation… à l’exception de l’Echo. Une fois encore, entre les données de diffusion payante et les audiences du CIM, la dichotomie est réelle. Pour les acteurs réunis autour de notre table, tous ces chiffres se doivent d’être lissés sur quelques années. Rendez-vous est par ailleurs déjà pris pour 2013, année où le digital fera enfin son apparition dans les résultats.

·        Bruxelles, enfin mesurée comme il se doit
·        La question de la crédibilité des chiffres est posée
·        Le CIM 2013 amènera une rupture
·        La lecture du journal reste synonyme de surprise

« 4,6 millions de lecteurs 12+ par jour », c’est le quotidien des éditeurs de presse quotidienne, proclamé dans leurs colonnes la veille de la publication officielle des résultats de cette édition CIM 2012. Derrière cette autosatisfaction légitime, le travail de la nouvelle plateforme marketing News Paper Work, qui désormais œuvre au bien-être des journaux sous toutes leurs formes. C’est dire que les éditeurs, que nous avons réunis autour de notre table, étaient pour le moins satisfaits. Face aux excellentes audiences, au nombre de lecteurs au numéro parfois surprenant et à la promesse d’un CIM 2013 comptabilisant les divers modes de lectures digitales, la problématique du recul récurrent des chiffres de diffusion a pesé moins lourd. Bernard Marchant, ceo du groupe Rossel (Le Soir, Sud Presse, Metro, L’Echo, De Tijd,) s’est déclaré satisfait sur le plan qualitatif, de la fidélisation et du rajeunissement du lectorat. Pour François le Hodey, ceo d’IPM (La Libre Belgique, La Dernière-Heure ) « nos médias de presse quotidienne sont la référence en terme d’information. Ensemble, aucun média ne peut rivaliser avec nous. »Quentin Gemoets, ceo de L’Avenir, groupe Corelio (Les éditions de L’Avenir) estime qu’il faudra trouver le bon équilibre entre les médias papier et numériques. Observateur attentif de la planète média, Michel Robert, de l’agence média Robert & Marien, s’est félicité des bons résultats, tout en mettant systématiquement le doigt sur les problématiques du média et de l’étude.

Comment interprétez-vous les excellents résultats des quotidiens francophones? Réalité du terrain? Surévaluation? Confusion entre lecture papier et digitale?
Quentin Gemoets: « A partir du moment où les chiffres paraissent, après tous les contrôles techniques et méthodologiques, ce n’est plus le moment de se poser ces questions, même si elles ont le mérite d’être posées. L’étude indique que nos marques de presse francophone se portent bien. Le marché progresse de 5,5 points. Les jeunes sont très présents, ce qui montre que la presse n’est pas un média de vieux. Chacun jugera si cela représente bien la réalité des marques imprimées ou si c’est en partie biaisé par les marques web. A partir de là, la question vaut pour toutes les marques de presse! »
Bernard Marchant: « Pour la première fois les enquêtes ont été bien menées sur Bruxelles. Les enquêteurs ont fait leur boulot, en particulier,  sur certaines classes sociales qui n’étaient pas bien représentées précédemment. Les enquêtes ont été notamment réalisées en dehors des heures de bureau, ce qui explique la croissance de certains titres. Les règles méthodologiques ont été appliquées. Aujourd’hui encore nous sommes sous-représentés dans le Brabant Flamand, sur le plan de notre diffusion. Nous avons autant de lecteurs dans le Brabant Flamand que dans le Brabant Wallon, alors que le CIM interviewe plus de monde dans cette dernière région. Je suis par ailleurs étonné de la méfiance vis-à-vis de l’étude presse, alors que celle-ci pourrait s’exprimer sur les autres études. L’étude porte sur les supports et c’est bien codifié dans la question. Sur le fond, il est évident que ces résultats reflètent la force des marques. Nous investissons dans ce sens depuis plus de dix ans. Et les mesures quotidiennes, que nous réalisons sur nos marques, donnent des résultats supérieurs aux chiffres CIM. Nous estimons que le nombre de lecteurs quotidiens du Soir est à 650.000 et non à 590.000, évidemment toutes plateformes confondues. Nous attendons donc le jour où l’étude comptabilisera toutes nos audiences, quelque soit le support. Quand on intègrera cet aspect multi supports dans les études CIM, nous aurons encore un certain potentiel de croissance, car déjà aujourd’hui nos offres sont multi médias. »
François le Hodey: « Le nombre de lecteurs primaire augmente significativement, ce qui est une bonne nouvelle. La presse est le seul média qui a une audience mesurée et pour lequel on opère une différence entre les résultats de l’enquête et du terrain. Cette étude révèle plus d’éléments sur le dénominateur que sur le numérateur. Ainsi sur Bruxelles, on exprime un réservoir qui existait et qui jusqu’ici était ignoré. Par contre le dénominateur, le nombre d’exemplaires vendus, n’est pas si objectif que ça. Même s’il y a des règles en termes de déclaration, la pratique peut-être très différente. La difficulté de cette étude se situe au niveau du tableau de bord. Il y a deux compteurs que l’on cherche systématiquement à mettre en parallèle.»

Le nombre de lecteurs au numéro flirte parfois entre 8 et 9. N’est pas surréaliste?
François le Hodey: « La vraie question est de savoir si on compare de bons numérateurs. Celui-ci est sous-estimé de mon point de vue. Nous avons des discussions avec les AMP, nous pensons que tous nos exemplaires ne sont pas distribués… »
Michel Robert:  «C’est une bonne chose d’avoir des chiffres positifs pour un média qui est mis sous pression et notamment par les nouvelles technologies. Cela peut aussi être contrebalancé par un manque de crédibilité par rapport aux chiffres. Ca fait peur de voir 7,9 lecteurs au numéro. Même si la diffusion est sous-estimée, il faudrait qu’elle soit du double de la sous-estimation pour arriver à 4 lecteurs au numéro! C’est énorme. Quand on sait qu’un ménage moyen est à 2,3 … C’est plus une mise en cause de l’étude. Si on ne mêle pas la diffusion et l’audience, sur le long terme on peut voir des évolutions. Ici, on revient au CIM de 2008. Chez un annonceur qui connaîtrait une augmentation de 20% ou 30%, il y aurait une conséquence industrielle, ce qui n’est pas le cas ici. Le risque est aussi de voir des supports payants devenir gratuits, or ils n’ont pas un profil de gratuit. Avoir 6 lecteurs qui ne payent pas alors qu’ils le devraient, amène à se poser la question du pourquoi ne le font-ils pas?»
Bernard Marchant: « Cette étude doit être lissée. Nous n’avons jamais formulé nos tarifs sur base d’une étude annuelle. Nous lissons toujours. Nous n’allons pas augmenter nos tarifs de 29 % pour Le Soir. Le prix net de nos offres papier est largement inférieur à celui que nous pratiquions voici 10 ans. le média reste compétitif. Il ne faut pas oublier que le CIM est un outil qui nous sert à confectionner nos tarifs. Par contre, on peut nous critiquer parce que nous avons opéré une cannibalisation. Celle-ci n’est pas totale car quelqu’un qui lit La Meuse sur internet, représente une audience qu’il faudra valoriser un jour. Il y a un décalage entre l’étude et le fonctionnement du marché publicitaire. »
Michel Robert: «La méthodologie du CIM doit changer, car on mesure un lectorat mélangé avec de la notoriété! »

En 2013, la « consommation » digitale de vos médias sera prise en compte dans l’étude. On se rapproche d’une intégration de la notion de  marque de presse. Faut-il s’attendre à de grands bouleversements?
François le Hodey: « Nous allons exprimer un lectorat qui sera globalement plus important qu’à ce jour. Il sera aussi mieux identifié entre les supports. Il est frappant de voir la croissance quotidienne des téléchargements d’application de nos produits. L’univers de la marque va devenir de plus en plus puissant. Avant la révolution numérique, nos marques n’étaient disponibles qu’en kiosque ou par abonnement. Alors qu’aujourd’hui, elles sont disponibles partout. Nous touchons une population beaucoup plus vaste et plus jeune. »

Vos audiences en ligne sont généralement excellentes, mais les revenus publicitaires ne suivent pas. Y-a-t-il une solution? Quel message adressez-vous aux annonceurs?
Michel Robert: On a va avoir plusieurs navires aux couleurs d’une même marque et un paquebot de papier qu’il ne faudrait pas oublier. Or on ne peut avoir 5 lecteurs au n° sur un iPad. Chaque bateau doit avoir sa propre logique. Si c’est la notoriété qu’on analyse plus que l’audience, on risque d’être confronté à ce genre de problème. C’est juste une mise en garde. Les sous audiences se doivent d’être rationnelles. Il faut aussi que l’étude s’installe, puisqu’on va avoir une rupture. Il ne faudra pas la juger tout de suite.»
Bernard  Marchant: «Il ne faut pas oublier que si on veut calculer l’audience sur iPad, nous disposons de ces chiffres en interne! Il faut aussi qu’il y ait une cohérence, celle du profil des gens qui nous lisent quelque soit la plateforme. Le web est le miroir de ce que nous sommes. Les agences médias vont devoir appréhender ces nouveaux outils de communication. »
Michel  Robert: « Le qualitatif se doit de refaire surface; il y a tout un comportement humain qui varie. Lire la presse quotidienne sur un iPad est publicitairement différent par rapport au papier. Sur une tablette je peux agrandir la pub, la voir de manière linéaire, travailler les formats… Revient-on sur les pages régulièrement ?... Il y a un volet qualitatif qui va intervenir pour justifier le profil ou le nombre de lecteurs. Ce n’est pas parce qu’un lecteur est seul sur son iPad qu’il a moins de valeur que les quatre lecteurs d’un quotidien papier. A noter que sur ce format, il y a un aspect découverte que la lecture digitale restreint, puisque généralement on ne lit ou consomme que ce qu’on aime. On croît qu’on a une liberté, mais on se limite soi-même par nos propres choix. La surprise ne peut venir que de l’extérieur. Pour surprendre le lecteur, il faut une énergie énorme et beaucoup de journalistes… »
François le Hodey: « On assiste à une tendance qui voudrait que le contenu et précisément le contexte éditorial n’aient plus d’importance. Le seul élément qui compte est d’être en contact avec le profil de la personne avec qui on veut communiquer. C’est la logique du profiling appliquée par ceux qui n’ont pas de contenu à proposer. Aujourd’hui, on considère que le vécu et le contexte éditorial n’ont pas d’importance dans la communication. C’est un nivellement par le bas des contenus éditoriaux. Nous sommes dans une phase critique où des acteurs importants développent un discours dénigrant sur la valeur des contenus. »
Bernard Marchant: « Quand une entreprise, comme Facebook, réussit à se valoriser à un montant absolument débile, elle se crée une manne financière incroyable avant d’avoir fait ses preuves. Nous devons faire nos preuves tous les ans. Leur concept de communication est efficace, mais ce n’est pas un concept publicitaire. C’est un outil qui permet de faire de l’audience, mais ce n’est pas pour ça que celle-ci a une valeur publicitaire. J’attends la démonstration. Il y a tellement de gens qui ont intérêt à ce que ça marche, qu’un annonceur qui ne serait pas sur Facebook aurait l’air con. Alors qu’on oublie que les titres de presse sont des médias sociaux. Dans un pays de 11 millions d’habitants, avec une dizaine de titres de presse, on peut toucher des profils différents. Surtout qu’aujourd’hui, ces titres permettent d’interagir. »

Quels sont vos attentes par rapport à l’étude CIM 2013 et son volet digital?
Quentin Gemoets: « J’attends une crédibilité totale par rapport aux chiffres et qu’on puisse voir comment se construit notre audience, qu’on détermine l’origine géographique de nos internautes … Comment chacun de nos support enrichit l’autre en termes d’audience. Quels sont les va-et-vient qui existent entre ceux-ci. Cela permettra de construire, avec l’annonceur, un plan média efficace, qui pourra toucher sa cible.»
François Le Hodey: « J’ajouterais que la même marque, tantôt sur papier ou en format digital, va toucher des publics segmentés, traditionnels ou novateurs. Cette étude doit arriver à démontrer que nos différents supports, sous une même marque, permettent d’entrer en contact avec différents types de population. A travers cette étude, nous allons pouvoir être beaucoup plus pertinents dans la valeur ajoutée communicationnelle de nos médias. »
Michel  Robert: «  Nous allons aussi observer, dans les cibles adultes, des adultes nés à l'ère du numérique. Ils auront peut-être connus vos marque par le digital et non le papier. Dans leur esprit, La Libre et Le Soir sont au même niveau que Google. Il serait intéressant de poser cette question à ces jeunes adultes: Pour vous qu’est-ce qu’une source d’information? Même s’ils ont intellectuellement tort de mettre Google au même rang que vous, sur le plan publicitaire, ils ont raison. »
Bernard Marchant: « Les jeunes sont matures par rapport à leurs sources d’information. Ce qui est intéressant c’est de voir comment le marché publicitaire va gérer ça! »

Comment concilier la réalité des chiffres de vente – à la baisse – avec l’autre réalité qui est celle des chiffres issus des études d’audience?
Bernard Marchant: « On compare des études qui ne mesurent pas la même chose. D’un côté on a administrativement le nombre de journaux vendus, de l’autre nous avons l’audience. Or depuis dix ans, nombre de médias investissent pour qu’on puisse les lire ailleurs que sur leur support de base. Comment voulez-vous que ce soit cohérent? Le lecteur s’en fout de l’étude CIM. Si on lui demande s’il a lu Le Soir ou La Libre, que ce soit sur papier ou sur internet, il répondra oui. L’étude est donc en décalage. Ca ne me pose aucun problème, puisque c’est dans cette voie que nous avons investi. La question de la diffusion est purement économique. Voici dix ans, on aurait pu croire qu’investir dans les nouvelles plateformes serait financé par la publicité. La réponse est non. Le marché publicitaire ne financera pas une variété de contenus telle que nous la proposons. La baisse de nos diffusions est structurelle. C’est une problématique complexe qui repose aussi sur des moyens. Si en Flandre cette diminution est moindre, il faut comparer la capacité marketing de la Flandre par rapport à celle de la Belgique francophone. Het Laatste Nieuws est par exemple un plus gros annonceur que Coca-Cola en Flandre! Donnez à la DH ou au Soir les mêmes moyens publicitaires que HLN, ils feront de la diffusion! La Flandre est le seul marché en Europe où le cross média est sans limite. »

La baisse de diffusion payante est irrémédiable?
Bernard Marchant: « Evidemment. La question est: Le support papier restera t-il dans des parts de marché de 30% à 40%? Il sera un mass média unique et important, puisque les autres médias ne seront concernés que par l’écran. Il y aura une concurrence entre écrans extrêmement marquée. Si vous prenez les journaux au niveau mondial, à l’exception de l’Asie, leur chiffre d’affaires publicitaire diminue beaucoup plus que celui généré par la diffusion. Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus dépendants de nos revenus de diffusion que de nos recettes publicitaires. Avant la diffusion pesait pour 40%. Aujourd’hui, elle dépasse les 50%.  Nous sommes moins dépendants du marché publicitaire alors que nous avions tous pariés sur l’inverse. Si le marché publicitaire ne paye pas, parce qu’il n’accepte pas la prime qualitative que nous offrons, nous devrons nous réorganiser. C’est ce qu’a fait Mediafin, qui a réorganisé son information, ce qui n’est pas mauvais pour son compte de résultats. Ils vont bien financièrement, mais leurs chiffres d’audience ne sont pas excellents.»

Deux récentes initiatives entendent démontrer la vivacité de votre média. D’un côté la plateforme Gopress s’adresse aux lecteurs en ligne, de l’autre News Papers Work rappelle que vous avez 4,6 millions de lecteurs 12+ par jour. Ce sont les pistes que vous privilégiez pour assurer votre pérennité?
Quentin Gemoets: « Avec Gopress nous voulons maitriser nous même les circuits de distribution pour le futur. Ne pas dépendre d’un certain nombre de gros acteurs internationaux. Gopress est à l’échelle de notre secteur. NPW s’adresse aux annonceurs et fait comprendre que la presse est bien vivante et a pris les devants de son repositionnement. Nous redorons le blason de la presse, car dans trop de milieux on la caricature un peu trop vite. Nous adressons le message à nos lecteurs, mais ça ne s’arrêtera pas là. »
François le Hodey: « Il y a un effet de mode aujourd’hui, avec un hype sur les technologies, or les sites de news sont à ce niveau très performants. Ca occulte parfois le fait que la presse quotidienne papier est toujours un média puissant. C’est l’objectif de cette campagne. L’audience de l’audiovisuel est principalement construite sur la fiction, la nôtre sur la vie politique, sociale, culturelle économique. Nous sommes les champions de la vie de gens. Nous avions un déficit à ce niveau. Nous nous sommes donc mis ensemble pour communiquer sur les réels attributs de la presse.
Bernard Marchant: « Gopress nous servira aussi à créer des outils communs de monétisation, qui faciliteront l’accès à l’info payante. Le tout n’est pas de placer agressivement des paywall sur nos plateformes d’information. »
Michel Robert: « IL est bien de faire savoir ce que l’on fait. Cette fierté est salutaire, d’autres médias le font régulièrement. Volet distribution, il est vrai que iTunes fonctionne bien, mais a aussi pas mal de morts derrière lui… Vous êtes régionaux alors qu’Apple est mondial et propose une déstructuration complète du prix! Un individu, en fonction du device qu’il a face à lui, est prêt à payer plus ou moins. Mon fils, pour un même jeu ‘FIFA 2012’ est prêt à payer 20 € sur une Playstation, sur un iPhone, 5€ c’est déjà cher. Sur une plateforme mondiale, opérer une réduction de l’ordre -99% est possible en regard de l’échelle et de l’absence de stock. Pour un média, il y a une production continue de la part des journalistes. La structure est en stock et vous devez réinventer le produit. En presse il faut prendre en compte  un coût physique et la question est celle de la rentabilité.»