Les données, meilleures amies de la créativité ?

Articles traduits

Les données constituaient le sujet principal de la session de « Your Turn » organisée par PUB avec Diana De Cat de Roularta Media et Erwin Jansen de Wunderman Antwerp. Voici la question posée par PUB : à quel point les données et la créativité sont-elles BFFs ? - Wim De Mont

Erwin Jansen & Diana De Cat

Erwin Jansen & Diana De Cat


En sa qualité de CEO de Wunderman Benelux, Erwin Jansen supervise la créativité de Wunderman dans notre pays et au delà des frontières, en collaboration avec son ami et associé Gio Canini. Quant à Diana De Cat, elle est responsable, au sein de Roularta Media, de la communication et de la recherche et passe chaque jour en revue les chiffres et insights qui rapprochent les médias et les annonceurs. Ils se connaissent en réalité plutôt bien, contrairement à ce qu’ils pensaient initialement. Leurs chemins s’étaient déjà croisés dans le cadre de IAB Belgium. Aujourd’hui, ils se retrouvent autour d’une table de la brasserie Kasteel Walburg à Saint-Nicolas. Le fossé entre les châteaux des données et de la créativité est-il très profond ? Ou bien, existe-t-il une jolie passerelle entre les deux ?
Diana De Cat : « Nous constatons, pour mettre la balle au centre, que les marques aiment faire appel aux données pour définir des segments précis au sein de leur groupe cible de client et de prospects. Dans le content marketing en particulier, il est essentiel d’avoir une correspondance parfaite entre le groupe cible et le contenu. Par ailleurs, nous remarquons que si un annonceur veut communiquer avec un groupe cible précis, il trouvera très important de raconter son histoire d’une façon tellement créative que son public cible le reconnaîtra. En outre, la pertinence est cruciale. Les données peuvent attirer l’attention, par le biais d’une infographie originale, par exemple. »
Erwin Jansen : « Ce n’est pas là-dessus que nous allons nous disputer (rires). D’ailleurs, j’ai ici des documents que je suis en train d’étudier et qui traitent de la direction que Wunderman voudrait prendre pour ces trois prochaines années. Pour nous, les données sont extrêmement importantes. Nous avons même au niveau international un ‘réseau au sein du réseau’ de 1.500 experts en stratégie des données et en science des données qui dispose de sa propre méthodologie et de technologies uniques pour soutenir la meilleure communication et le meilleur marketing. Bien qu’il s’agisse ici plutôt de créativité insight-driven et pas tellement data-driven. Il faut combiner beaucoup de données différentes, et en plus de la segmentation, le contexte compte aussi beaucoup. »
« Le storytelling reste essentiel. » - Diana De Cat

« Le storytelling reste essentiel. » - Diana De Cat


Diana De Cat : « La technologie permet d’illustrer rapidement les données, d’en faire des bases de données par type, des bibliothèques avec des templates de toutes sortes, you name it. C’est vrai que l’on risque que tout cela devienne extrêmement plat. Comment les spécialistes créatifs arrivent-ils à se démarquer et à créer quelque chose qui est quand même novateur et surprenant ? »
Erwin Jansen : « Data & insights, cela reste un moyen ! J’ai vu un test chez Facebook, à Menlo Park, où il s’agissait de définir un public cible, des objectifs de marketing etc., pour que l’intelligence artificielle génère un spot publicitaire. Etait-ce de la mauvaise publicité ? Non. Etait-ce une publicité originale ? Non plus. Pour l’originalité, on a toujours besoin de la créativité humaine. Dans la pratique, cela dépend beaucoup de l’annonceur. Est-il ambitieux ? Veut-il prendre un risque mais en contrôlant le risque en intégrant les insights émergeant de ses données ? J’observe que le gros des annonceurs reste ouvert aux idées novatrices et étonnantes. »
Médias et vie privée
Quant aux médias, sont-ils toujours bien utilisés ? Là aussi une bonne utilisation des données ouvre la porte à des solutions innovantes, nous explique Diana De Cat : « Les éditeurs disposent des données nécessaires pour réaliser une bonne segmentation et présenter le public cible souhaité à l’annonceur. Prenez les campagnes pour des voitures de luxe, il ne faut pas les associer à un seul média, mais aux profils des lecteurs de plusieurs médias qui peuvent avoir un intérêt pour ce type de véhicules. »
« Voilà une question dangereuse ! »- Erwin Jansen

« Voilà une question dangereuse ! »- Erwin Jansen


Erwin Jansen : « Les données ne sont jamais complètes par nature. Il est tout à fait imaginable qu’un consommateur achète des vestes à mille euros chez Gucci, mais fasse ses courses quotidiennes auprès d’un discounter. Il s’agit de se rapprocher au maximum de ce consommateur, mais ça peut coûter cher. Quid du respect de la vie privée ? Voilà un autre débat ! Les jeunes s’en inquiètent-ils encore ? Ils comprennent que données et vie privée sont devenues monnayables, c’est ce que montrent des études. Ils veulent évidemment que leurs données soient bien gérées. »
Diana De Cat : « En plus, il y a le risque d’utiliser les données de façon mainstream. Comment échapper au mainstream par la créativité ? Les jeunes créatifs arrivent-ils à sortir du lot ? »
Erwin Jansen : « Voilà une question dangereuse… (rires). Aujourd’hui, il n’y a rien de plus chouette que de faire de la publicité. Le nombre d’outils, de canaux, de touchpoints a explosé. Il faut maintenant choisir les bonnes manettes, savoir quels paramètres vont se renforcer mutuellement. Je trouve personnellement que les jeunes le font de façon très maligne. Avant on choisissait parmi quelques médias, maintenant tout est un média. »
Diana De Cat : « Mais je vois aussi des jeunes qui font des digital detox. Pendant le  StuMPA (Student Magazine Print Award), cela faisait justement partie d’une campagne qui préconisait la lecture d’un magasine en tant que ‘temps pour soi’, un moment sans smartphone et accompagné d’une tasse de café bien chaud. »
Erwin Jansen : « Chaque génération est plus maligne que la précédente à sa façon. Je vois cela d’un bon œil. »
Diana De Cat : « Je regarde régulièrement des données sur mon écran et je me demande ‘Quelle histoire ces chiffres me racontent-ils ?’. »

Diana De Cat : « Je regarde régulièrement des données sur mon écran et je me demande ‘Quelle histoire ces chiffres me racontent-ils ?’. »


Des résultats précis
Diana De Cat : « La créativité se trouve souvent dans la combinaison surprenante d’éléments existants, non ? Dans des associations nouvelles, ce qui est possible avec les données aussi, en croisant des paramètres entre eux, par exemple. Je regarde régulièrement des données sur mon écran et je me demande ‘Quelle histoire ces chiffres me racontent-ils ?’. Les marques disposent de plus de données clients que nous, mais il faut toujours pouvoir les traduire en une histoire. Des données sans histoire ne servent à rien. Le storytelling reste essentiel. »
Erwin Jansen : « De plus en plus de pitches ont une question sur les données, on voit que les marques sont demandeuses de connaître les leçons du passé, d’orientation vers les résultats, de croissance de parts de marché, de retour moyen par client. Le cliché selon lequel les créatifs tremblent face aux données n’est tout simplement pas vrai. Les données leur permettent d’obtenir les insights. Plus vous êtes précis dès le début, meilleurs seront vos résultats et produits créatifs. Au sein de notre groupe, nous menons nos propres recherches depuis 20 ans déjà, cela s’appelle le Brand Asset Valuator. Nous avons décidé de comparer ensemble toutes les marques que nous étudions, et pas uniquement les marques d’un même secteur, et nous avons découvert beaucoup de choses. Cela a mené à des positionnements et des partenariats assez surprenants et néanmoins efficaces.
Diana De Cat : « Les intrications entre la vie réelle et le monde virtuel sont vraiment nombreuses. C’est intéressant pour les créatifs, mais vous êtes parfois trop en avance. Nous travaillons avec Scanlink dans nos magasines pour que la réalité augmentée soit possible dans nos publicités et nos articles, mais les annonceurs ne l’utilisent pas autant qu’ils le pourraient. »
Erwin Jansen : « La Belgique est parfois un peu trop petite pour déployer rapidement ce genre de choses. La réalité augmentée, pourquoi pas, mais seulement si cela présente un véritable intérêt, pas si c’est pour faire de la tech pour dire de faire de la tech. Ce n’est pas étonnant que les startups de ce secteur pensent immédiatement ‘global’. »
Diana De Cat : « Pour conclure, les données nous aident à avoir un meilleur aperçu de la diversité de nos groupes de consommateurs. Rachid Lamrabat s’est servi des chiffres pour démontrer la taille de la population allochtone dans nos grandes villes et sa vitesse de croissance. Lorsque l’on développe des campagnes publicitaires, il est bon d’en tenir compte, notamment, et surtout, sur le plan créatif. Le défi est de rendre le message publicitaire pertinent et captivant pour une grande diversité de consommateurs malgré les différences culturelles. »
Erwin Jansen : « Bien sûr, les populations allochtones sont reprises dans les données, mais quels insights en tire-t-on ? »

Erwin Jansen : « Bien sûr, les populations allochtones sont reprises dans les données, mais quels insights en tire-t-on ? »


Erwin Jansen : « L’ethnomarketing est un domaine très pertinent. Dans certains groupes, il y a des sujets tels que l’alcool qui sont abordés de façon différente. Mais il y a aussi des comportements sociaux qui varient, comme je le constate dans l’école de mes enfants, à Anvers. Bien sûr, les populations allochtones sont reprises dans les données, mais quels insights en tire-t-on ? Et surtout, comment en faire un avantage pour l’annonceur ? Par exemple, je suis de nombreux influenceurs belges d’origine marocaine. Outre la qualité de leur communication et leur nombre de followers parfois énorme, je constate qu’ils restent très attachés à la mode et aux marques. Est-ce que les marques de luxe en tiennent compte ? »
 L’horloge tourne, d’autres obligations les attendent… Nos deux interlocuteurs comprennent que certaines questions sur l’utilisation des données devront rester sans réponse… Mais n’est-ce pas là ce qui rend ce domaine si fascinant ?