« Les études de marché hybrides deviennent la norme »

Alors qu’en 2013, les agences d’étude de marché souffraient des effets à retardement de la crise, ce creux avait (presque) entièrement été résorbé en 2014. Cela n’empêche pas que de grands changements vont transformer le secteur, pense Gerd Callewaert, country manager de IPSOS Belgium mais aussi, et particulièrement pour cette interview, président de Febelmar.
Febelmar est l’organisation qui se cache derrière une large majorité des études de marché dans notre pays. En 2013, le marché avait connu un recul de près de cinq pour cent. Les 30 membres de Febelmar enregistraient alors un chiffre d’affaire d’environ 170 millions d’euros. En 2014, ce montant était de 178 millions, soit légèrement en dessous des 180 millions de 2012. Et cette année ? « Ce qui est intéressant, c’est notre ‘mood indicator’ », explique le président de Febelmar, Gerd Callewaert. Au début de 2015, le niveau de confiance de nos membres n’était pas très élevé. Mais aujourd’hui, 60% des agences pensent d’ores et déjà que 2015 sera meilleure que 2014. »
2015 sera donc une bonne année ?
Gerd Callewaert : « Je me dois de nuancer tout de suite cet optimisme ! (rires) Les derniers sondages sont antérieurs au crash boursier chinois. Et comme le veut la tradition, c’est le dernier trimestre qui détermine si l’année a été bonne ou non. D’autre part, en 2014, deux des plus grandes agences ont enregistré une croissance, ainsi que trois de taille moyenne. Cela montre donc que les petites et moyennes agences peuvent croître, mais aussi les grandes. Le quatuor de tête - TNS, GfK, Nielsen et Ipsos - détient 75% du marché belge, mais seulement 35% du marché international. La situation belge est la conséquence de consolidations. Pourtant les études de marché restent peu coûteuses en Belgique (voir tableau, NDLR). »
La question incontournable : quelles sont les tendances ?
« Le phénomène des années précédentes était l’apparition des sondages en ligne. Le face à face et les enquêtes téléphoniques sont en déclin. Les enquêtes téléphoniques s’utilisent encore pour les études de marché b2b, car il existe peu de panels en ligne dans ce secteur spécialisé. Conséquence de cette tendance : le coût de la collecte de données a diminué. Pourtant le chiffre d’affaire demeure inchangé, à l’exception de 2013. Cela signifie qu’il y a plus de projets et que l’on met davantage l’accent sur l’analyse et la conception. Ces deux aspects sont à nouveau liés à des changements du marché. Les études de marché sont devenues plus complexes et les commanditaires ont des attentes différentes, plus importantes, quant au reporting. »

« Les commanditaires attendent une plus grande pertinence. »

Qu’entendez-vous par « plus complexes » ?
« 73% de nos membres constatent que l’étude de marché est devenue plus complexe. Les business models de nombreuses entreprises sont sous pression et notre rôle change. Les commanditaires attendent une plus grande pertinence et rendent les études plus importantes, mais aussi plus complexes. Plus que jamais, l’étude de marché doit aider à déterminer la direction à prendre et répondre à des questions stratégiques. Peut-être que nous – en tant qu’agence – devrions nous concentrer davantage là-dessus, car le ‘big data’ est l’un des mots-clés du moment. Il y a, en outre, l’apparition des études de marché do it yourself, qui apporte aussi des solutions à certains de nos membres. Ce n’est bien sûr pas un problème, mais en tant qu’agence nous devons pouvoir faire preuve d’une pertinence nettement meilleure que les études ‘maison’, et les sondages un peu plus faciles ont disparus de nos tâches. Cela rend évidemment notre travail plus complexe. »
D’où l’importance d’un bon reporting ?

« Plus de valeur ajoutée et de courtes présentations en marge d’un ‘full report’ écrit : nous sommes désormais à la fois analystes, présentateurs et stratèges, car les commanditaires attendent également que nous formulions des recommandations concrètes. Rien de neuf, mais la demande est désormais beaucoup plus prononcée. Tous les chercheurs ne sont pas capables de jouer ces trois rôles, mais une agence doit pouvoir fournir les trois profils. Les études de marché hybrides deviennent la norme. La communication avec les gens – le point fort par excellence des agences qualitatives – doit être combinée à la technologie et aux TIC et cela requiert des compétences supplémentaires. À terme, au sein des agences, il devrait y avoir plus d’équipes clients, au lieu d’avoir des équipes qualitatives et des équipes quantitatives. »

Nouvelles tendances

Que nous réservent les prochaines années ?
« Outre l’importance croissante des sondages en ligne, je vois une plus grande place faite aux neuro-recherches, aux études mobiles et une importance accrue des big data et du systèmes EFM (enterprise feedback management), en d’autres termes des enquêtes de satisfaction transactionnelle. Pour commencer par la fin : la demande des clients – la plupart du temps d’une mesure du taux de satisfaction – est immédiatement couplée à un système interne de qualité et de suivi. Ce type d’études se rapproche des TIC, tout comme le big data. Ces services sont aujourd’hui fournis par de grandes agences de consultance telles qu’Accenture, ainsi que par des entreprises informatiques et toute une série de start-ups. Pour le big data et l’EFM, ce ne sont pas les données qui manquent, et nous disposons également de données comportementales. Mais il n’y a aucune explication sur le pourquoi. C’est là que les agences entrent en jeu.

« Le mobile est un mot clé, mais on en parle plus qu’on fait réellement. »

La collecte mobile de données est nouvelle. Un tiers de nos membres l’utilise déjà, bien que cela ne se passe pas encore de façon structurelle. En tous cas, moins que dans d’autres pays. Peut-être qu’en matière de mobile, la « loi de l’avance freinante » est d’application en Belgique. Le ‘mobile’ est l’un des termes à la mode dans le secteur, mais l’on en parle plus qu’on en fait réellement. Nos listes de questions sont souvent trop longues pour le mobile. Il est possible de faire des listes plus courtes, mais ce serait parfois au détriment de ce que les commanditaires veulent savoir et si l’on divise le questionnaire, l’étude devient plus chère et plus complexe. »
Le big data peut-il pousser les Google et Microsoft de ce monde à racheter des agences telles que Nielsen ou Ipsos ?
« Je ne pense pas que cela se produira dans l’immédiat. Ces entreprises ont leurs propres activités d’études de marché, mais elles font également appel aux agences. L’étude du ‘pourquoi’ reste l’activité principale de nos membres. De plus, il y a des éléments purement financiers qui font obstacle à des rachats de ce type. Les marges de profit de notre secteur sont bien plus faibles que ce à quoi les entreprises que vous venez de citer sont habituées. »
Quels sont les avantages des études neurologiques ?
« Parfois, les décisions sont prises de façon inconscientes, et c’est là que la neuro-recherche entre en scène. Elle apporte de nouvelles informations sur le processus décisionnel. Elle est réalisée au moyen d’un scanner cérébral ou d’un détecteur de mensonges, mais cela reste peu pratique et assez coûteux. Les mesures neurologiques passives, comme celles des expressions du visage ou de la vitesse de réaction, sont moins exactes, mais beaucoup plus réalisables et abordables. Selon moi, elles deviendront monnaie courante dans les prochaines années. Il sera cependant plus difficile de proposer toutes les formes d’études de marché. Certaines agences, telles que Haystack, essaient de se spécialiser dans ce secteur et d’être présent internationalement. En bref, beaucoup de choses vont changer ces prochaines années. »