Les femmes dans la pub, oui mais à quel prix ?

Communication / News

Aujourd’hui, il ne suffit plus d’éteindre le petit écran pour ne plus être exposé à la publicité. Elle vit avec nous, et même à travers nous quotidiennement. Elle fait partie intégrante de nos vies et va jusqu’à influencer nos mœurs et nos comportements pour le plus grand bonheur des annonceurs. La publicité, en suivant son contrat implicite, exagère volontairement la réalité ; elle prend parti de manière non raisonnable en s’éloignant de la vérité, de la réalité. Pourtant, on entend souvent dire que la publicité est le miroir de notre société. Elle semble gonfler et mettre en avant les travers sociétaux comme les inégalités et le sexisme : "Il semblerait que les deux côtés du miroir s’influencent mutuellement. La publicité est tellement omniprésente dans nos vies, qu’elle a sans aucun doute un impact sur les mentalités. Cependant, les créatifs s’alimentent du monde qui les entoure. Ils vont toujours regarder ce qui fonctionne par rapport aux tendances pour communiquer au départ de cela", explique Sophie Pochet, Academic Officer de la section publicité à l’IHECS.

Il serait intéressant d’analyser le parcours de la place de la femme dans cette communication de masse. Que s’est-t-il passé dans l’histoire de la publicité télévisuelle pour qu’il y ait, de nos jours, une réelle prise de conscience de la représentation de la condition féminine ?

Origine de l’image de la femme « parfaite » vue par un prisme masculin et sociétal

Les publicitaires ont très vite compris que la femme faisait vendre : "Autrefois, les possibilités offertes aux femmes dans la publicité étaient limitées : elles étaient représentées soit comme la femme au foyer idéal, soit comme un objet de désir. Ces rôles peu enviables ont dominé la création d’images pendant des décennies", explique Wim Denolf, journaliste chez Knack Weekend. Bien que l’homme soit aussi victime de stéréotypes en jouant des personnages virils et machos, l’impact de son image sur les mentalités semble moins négatif que celui de son homologue féminin. Nous essayons de déconstruire de plus en plus ces clichés de la femme parfaite qu’on nous impose depuis longtemps à travers les médias de masse. Cependant, toute lutte mérite de s’attarder sur son origine.

L’image féminine véhiculée dans les publicités télévisuelles des années 50’ prend une tournure utilitaire. Elle est mise en scène dans des personnages de potiche pour servir à la promotion du produit. La femme est destinée aux tâches peu glamours comme le ménage, la vaisselle et le repassage. Pourtant, elle se doit de rester belle et séduisante en toutes circonstances. Elle est utilisée comme un moyen et non pas comme une fin pour faire vendre. Les Golden sixties arrivent 10 ans plus tard avec un développement des équipements ménagers. Cette époque prône les valeurs familiales traditionnelles malgré une modernisation de la société. Les rôles des deux genres restent plus ou moins figés. D’un côté, on retrouve le père de famille, viril et rassurant, qui apporte le confort financier nécessaire. De l’autre côté, on découvre une femme qui doit savoir gérer son double devoir de mère et d’épouse idéale. On ne la verra jamais négligée et disgracieuse dans les spots publicitaires. L’idée est de montrer que la femme ne peut être accomplie qu’à travers l’entretien de son foyer.

Après plusieurs vagues de révoltes dont le but est entre-autres d’abolir la puissance maritale, les femmes s’affirment davantage dans la société. Elles remettent en cause leur place dans un monde androcentrique. On peut voir, déjà à cette époque, des mouvements féministes qui revendiquent l’égalité homme-femme.

Dans les années 70’, les publicistes jouent sur cet angle d’émancipation féminine. Ils veulent prétendre qu’ils ne sont pas sexistes pour viser ces nouvelles consommatrices. On voit alors à la télévision que le rôle tenu par les femmes évolue vers une fonction plus active dans le monde du travail. Au début des "eighties", la Superwoman des temps modernes fait son apparition. Les publicités montrent une femme puissante, travailleuse et sexuellement libérée. Elle est capable d’assurer tant professionnellement que personnellement. Cette personne polyvalente dispose de son avenir et de son corps librement. Elle doit cependant toujours se soucier de l’épanouissement de son mari et de l’éducation de ses enfants. Certaines marques de luxe tentent, dans les années 90, de se démarquer des autres en montrant la femme plus sexualisée que jamais. Le shockvertising du temps de Benetton a ouvert la porte à d’autres tendances plus douteuses comme le porno chic. La liberté sexuelle domine la publicité de cette décennie. Les spots publicitaires montrent le corps féminin comme un véritable produit de consommation en jouant sur la banalisation de la sexualité. D’après le sociologue Pierre Bourdieu, "les femmes existent d’abord par et pour le regard des autres, c’est-à-dire en tant qu’objet accueillants, attrayants, disponibles. On attend d’elles qu’elles soient féminines, c’est-à-dire souriantes, sympathiques, attentionnées, soumises, discrètes, retenues, voire effacées. Et la prétendue féminité n’est souvent pas autre chose qu’une forme de complaisance à l’égard des attentes masculines, réelles ou supposées, notamment en matière d’agrandissement de l’ego". Les publicitaires ne manquent pas de nous rappeler que le sexe fait vendre ; en oubliant presque qu’à force d’érotiser le corps, celui-ci n’est plus perçu comme un être pourvu d’une âme, mais comme un objet.

Vers une nouvelle représentation de la gent féminine

Entre-temps, les voies se sont ouvertes à une nouvelle façon de montrer les femmes, dans le respect de celles-ci. D’après Jean-Claude Jouret, docteur en information et communication à l’UCL, "Ce n’est pas l’homme qui a pris conscience qu’il devait respecter la femme, c’est la femme qui a pris conscience qu’elle devait se faire respecter". La marque Dove, pour ne citer qu’un exemple, s’est rendue compte que les consommatrices d’aujourd’hui veulent pouvoir s’identifier aux modèles qui jouent dans les publicités. Elles ont fait et font encore comprendre massivement aux publicitaires qu’elles veulent être mieux représentées. A partir de ce constat, Dove s’est positionné sur cette nouvelle vague féministe. C’est maintenant depuis quelques années que la marque opte pour un "storytelling" mieux travaillé en termes de représentation du genre féminin pour une communication plus efficace.

Cependant, d’autres annonceurs sont dubitatifs à changer leur manière de promouvoir leurs produits. Ils préfèrent souvent jouer sur les instincts les plus primaires des consommateurs comme la reproduction. Le paradigme disant que la publicité doit nécessairement montrer une image idéalisée du monde persiste. Mais qui a dit que montrer les femmes de manière plus réalistes faisait moins vendre ?

L’étude « AdReaction » menée par l’institut de recherche Kantar révèle que les publicités qui montrent des femmes tenant un rôle d’expert ou ayant une fonction plus narrative que descriptive donnent de meilleurs résultats. Elles sont perçues comme étant plus crédibles par les consommateurs.

Le problème notoire qu’a mis en avant Kantar, est que 90% des professionnels européens du marketing pensent qu’ils représentent correctement les femmes. Alors que seulement 45% du public considèrent que les publicités ne les montrent pas de manière positive. Cet énorme écart démontre bien que la plupart des marques ne sont toujours pas sur la même longueur d’onde que l’opinion publique. Les annonceurs ont tout à gagner à mieux dépeindre la gent féminine : Selon la même étude de Kantar, les campagnes publicitaires seraient plus efficaces et pourraient gagner presque 9 milliards de dollars supplémentaires en valeur de marque.

La publicité 2.0

Il faut sortir de ce cadre stéréotypé archaïque car en réalité, la publicité nous impose des modèles qui sont de plus en plus difficiles à supporter pour les femmes. Les consommateurs d’aujourd’hui semblent être d’accord pour dire que le secteur publicitaire se doit d’être responsable d’un point de vue de représentation des genres. Pourtant, les réseaux sociaux montrent un paradoxe sur ce sujet. Les gens sont sensibles à la cause mais continuent de suivre toutes sortes d’influenceurs et de leaders d’opinion qui véhiculent des images peu novatrices des femmes. Comme l’explique Sophie Pochet : "Les vieux clichés semblent impérissables. Je pense que nous avons tellement été normés à voir ces fausses belles images qu’il nous est naturel d’être attiré vers cette vision photoshopée du monde".

Il y a donc encore un long chemin à parcourir pour que ces stéréotypes datant d’une autre époque ne soient plus d’actualité. La publicité doit réellement atteindre le même niveau que la société actuelle qui évolue sans cesse. De plus en plus de marques, comme Dove, veulent véhiculer une communication qui a du sens, plus responsable. Il y a une réelle prise de conscience qui a permis le développement des compétences de certains organismes. Le jury d’éthique publicitaire surveille les possibles discriminations entre l’homme et la femme. Mais depuis 2016, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel belge va encore plus loin dans ce domaine. Désormais, le CSA est compétent en matière d’égalité homme-femme dans les médias audiovisuels. C’est une belle avancée pour la Belgique d’avoir cet organe qui vérifie et pénalise les publicités télévisuelles sexistes. Comme l’a dit l’écrivain Samuel Becket : "A force d’appeler ça ma vie je vais finir par y croire. C’est le principe de la publicité". Dans ce vent de #metoo, cette communication de masse doit continuer de proposer une image des femmes à la hauteur de celles-ci. La publicité joue un rôle important dans le renforcement des stéréotypes genrés au sein de la société. C’est donc normal que les publicitaires adaptent leurs manières de communiquer car ils peuvent réellement faire évoluer positivement la place de la femme dans certaines pensées encore récalcitrantes à la problématique.

Eugénie Blockmans - Étudiante en publicité à l’IHECS