Les gardiens du temple

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Précédant les stratégies de communication d'un produit, tous les annonceurs passent par le stade de la création de celui-ci, de sa conception et de son habillage. Un processus auquel sont associés les agences spécialisées en packaging. Nous avons invité quatre gardiens de « la marque » à débattre des nouveaux challenges de leur métier.
Bernard Puttaert (Lonsdale), Catherine Faucheux (Mona Lisa), Nike Stellamans (Anthem) et Patrick De Grande (Quatre Mains)
Au royaume du packaging, la Belgique est de taille modeste. Notre marché s'est rétrécis au fil des ans sur fond d'une internationalisation grandissante. Le nombre d'acteurs belges a également fondu comme neige au soleil. Représant cette réalité, nous avons réuni autour de notre table quatre patrons d'agences: deux nationales et indépendantes, deux filiales d'acteurs internationaux. Rayon belge: Catherine Faucheux, directrice de création et manager de Mona Lisa, ainsi que Patrick De Grande, également directeur créatif et manager de Quatre Mains. A leurs côtés, Nike Stellamans, general manager de l'américaine Anthem (appartenant au groupe SGK, qui compte aussi dans son portefeuille Brandimage) et Bernard Puttaert, directeur associé de la française Lonsdale. Ces quatre professionnels, qui affichent de beaux états de service, défendent haut les couleurs du savoir-faire belge. Si les compétences sont bien là, il n'est pas toujours aisé de faire entendre sa voix dans un concerto international. Ceci d'autant plus que la taille réduite des équipes belges doit parfois rivaliser avec celle pléthorique des enseignes hollandaises, anglaises ou allemandes... Une force de frappe contre laquelle doit se mesurer au quotidien une créativité et ingéniosité blanc bleu belge.

Aujourd'hui, n'êtes-vous pas davantage les gardiens de l'histoire de la marque? Vos clients n’ont-ils pas oublié l'ADN de leurs marques?
Bernard Puttaert: C'est une réalité que j'observe depuis cinq ans au moins. Nous sommes en effet les gardiens de la marque. Chacun parmi nous connaît certaines marques depuis de longues années. Nous avons plus d'expérience que certains marketeurs qui débarquent. Je constate aussi que de grandes marques belges travaillent avec des agences étrangères qui n'ont pas cette connaissance de la marque! La direction marketing s'opère depuis un autre pays. C'est notamment le cas avec AB Inbev, dont une partie des marques est gérée hors de nos frontières. J'espère que nous pourrons rester ces gardiens, car cela s’effrite...

LA PUBLICITÉ EST ÉPHÉMÈRE ET COÛTE UNE FORTUME. Catherine Faucheux

Nike Stellamans: Il y a sans doute nombre de décideurs qui ne sont plus basés en Belgique, mais nous devons être à l'écoute du client qui a beaucoup d'informations à communiquer. Chez Athem nous traduisons une idée forte dans le pack que nous extrapolons ensuite à tous les points de contact. Nous gérons les Sucres de Tirlemont depuis longtemps, or ils ont décidé de lancer leurs produits premium dans le monde entier. Comme gardien de la marque, nous nous retrouvons dans une situation inverse. Nous sommes partis du pack, de l'ingrédient et nous avons aussi créé toute la campagne de communication pour les USA et l'Asie.

Patrick De Grande: Je n'observe pas une si grande dispersion des marques belges à l'étranger. Ceci dit, nous essayons toujours de nous imprégner de la valeur de la marque, de la philosophie de l'entreprise afin de renforcer le produit. Je crois que nous avons encore un rôle important à jouer au niveau belge.

CatherineFaucheux: Nous gérons notre client Alpro depuis 13 ans, il y a donc un suivi une continuité. Certes, certains font appel à des compétences extérieures, mais nombre de marques nationales sont conservatrices et sont ravies des services apportés ici. Quand l’international veut régler des problématiques nationales, c'est très souvent impossible. Je l'ai vécu avec Knorr.

TROP DE NOUVEAUX PACKS?
Quels sont les problématiques les plus épineuses aujourd'hui?! Le timing, la taille des budgets..?
Nike Stellamans: Vous voulez dire des challenges (rires)?! C'est le rôle des agences de design d'éduquer les jeunes équipes marketing qui n'anticipent pas des processus qui s'imposent au packaging. La première partie, qui est la réflexion stratégique, est la plus importante. Quand on reçoit un briefing du client, il faut ensuite le traduire en design et cette interprétation, il faut la partager avec le client. Un bon briefing est tout bénéfice pour la marque et ses performances.

LE CONSOMMATEUR EST DANS UNE ATTITUDE DE ZAPPING. Nike Stellamans
Catherine Faucheux: Le temps se raccourcit, les exigences à la base sont plus importantes et les budgets plus petits. Nous déployons aujourd'hui beaucoup d'énergie pour éduquer le chef produit, les équipes, il faut laisser le temps au temps.

Bernard Puttaert: On y est habitué depuis quelques temps. Avant, on disposait de deux mois. Maintenant, c'est deux semaines...

Quel est la durée de vie d'un packaging aujourd'hui?
Catherine Faucheux: Chez nous il y a un très forte accélération. Je ne sais pas si elle est due à la crise. Les gens ont envie de changer très vite, parfois même trop vite. Je pense à un retailer comme Delhaize où c'est parfois très impressionnant.
Nike Stellamans: Nous sommes dans le fast moving: quand une marque change, il y a l'autre qui réagit. Le consommateur est aussi plus exigant. Il veut du changement, il est dans une attitude de zapping. Il exprime un besoin de nouveauté. Le grand succès des marques réside dans l'innovation. Or la majorité de celle-ci se fait à travers le packaging. La grande tendance est dans la personnification; Prenons l'exemple de 'Share a Coke'!
Patrick De Grande: C'est le consommateur qui décide quel produit doit émerger du marché. Le consommateur est devenu le chef! Il veut de l'innovation à tous les niveaux, même pour les marques de distributeur. On assiste à un renouveau du packaging très cadencé, notamment avec des éditions limitées. Il en va de même aussi sur le plan des goûts et saveurs.

LA RESPONSABILITE DE DESIGNER OU DE L’ANNONCEUR
Tout ceci, assorti d'une certaine overdose de packaging, n'est-il pas contraire à la tendance à la responsabilité sociale, environnementale des entreprises et des marques?
Nike Stellamans: Ce sont des tendances qui existent déjà depuis quelques années. Si on fait du green pour le green, le consommateur n'y croira pas. Il faut aussi prendre en compte la réalité du marché. La taille des familles se réduit. On passe d'une semaine à l'autre de cinq à deux personnes, il y a donc un besoin de packaging plus petit.

NOUS NE SOMMES PAS DANS UNE CULTURE ÉCOLOGIQUE. Bernard Puttaert
Catherine Faucheux: Le green coûte de l'argent. Dès qu'on arrive au volet production on se rend compte que c'est cher. Face aux chiffres, les clients ne vont pas se lancer dans des directions révolutionnaires. En plus, le consommateur n'est pas dupe.

Bernard Puttaert: Nous ne sommes pas dans une culture écologique. Les consommateurs pensent davantage au recyclage, mais les marques ne nous demandent pas pour autant d'en tenir compte. La plupart des produits ici présents sont emballés avec du carton, donc recyclable. Le packaging écologique c'est pour moi, moins d'emballage, donc moins de coût.

Patrick De Grande: Le problème n'est pas l'emballage mais ce qu'il y a dedans. Aujourd’hui on nous vend des family pack, dont 40% du contenu va à la poubelle. C'est ça qui pose problème!

Bernard Puttaert: Si le consommateur a besoin d'un grand packaging comportant dix petits, on le lui fera. C'est le consommateur qui est en fin de chaîne et je ne crois pas qu'il se pose ce genre de questions. Je n'ai encore jamais entendu une marque qui abordait cette problématique.

Patrick De Grande: Si! Chez Lima, car cela fait partie du positionnement de la marque. Tout comme Oxfam pour qui nous travaillons aussi. Le produit est à la base bon pour la santé, il ne faut pas en rajouter des couches. Le produit et les gens sont centraux et l'histoire se crée à leur niveau. Le packaging participe à cette histoire qui est très intégrée. C'est pour ça que nous travaillons volontiers pour ce type de clients, au même titre d'ailleurs que pour Delhaize.

Voit-on des annonceurs qui s'arrêtent au packaging pour réduire la part de la créativité publicitaire?
Catherine Faucheux: Je dis à mes clients que le packaging représente 80% de leur identité. La publicité est éphémère et coûte une fortune. Il y a aussi tous ces tests entre les deux qui constituent souvent des dépenses inutiles.

Bernard Puttaert: Le consommateur devient roi, comme nos enfants le sont à la maison. Nous essayons d'être à l'écoute de toute le monde. On fait des études pour des cibles de plus en plus fragmentées. L’ objectif, c’est de ne surtout pas perdre les consommateurs actuels mais d’en gagner de nouveaux.

LE CONSOMMATEUR EST DEVENU LE CHEF! Patrick De Grande

Avez-vous encore les moyens aujourd'hui de réaliser des beaux packagings, d'être innovants, créatifs...?
Bernard Puttaert: Oui, le travail de réflexion reste créatif. Ce n'est pas un métier facile. Nous travaillons avec des créatifs qui sont très très forts, je dirais même plus que ceux travaillant dans la pub. Ils doivent communiquer sur un petit espace...

Catherine Faucheux: Nous allons toujours un pas plus loin, mais chez le client, la part de risque est toujours très contrôlée.

Nike Stellamans: Tout dépend de l'organisation marketing et de la présence de différents seuils d'approbation. Le Belge est plus traditionnel par rapport à l’Angleterre ou les Pays-Bas qui sont plus conceptuels. L'idée prime. Ceci dit, rien n'est comparable, car un produit fait partie d'un marché et de consommateurs.

Patrick De Grande: Le consommateur Lima est différent de celui des Sucres de Tirlemont. En Belgique, nous sommes à un carrefour d'influences et nous en profitons. Nous sommes dans un petit pays, nous parlons des langues différentes mais nous nous comprenons. Nous devons être fiers de ce que nous réalisons.

PINTEREST
Quel est l'impact de la digitalisation de la société, de la montée en puissance des réseaux sociaux, de la connectivité sur votre métier?
Nike Stellamans: L'influence est grande. On dit qu'avec l'e-commerce il n'y a plus l'aspect tangible du packaging. D'autre part, le consommateur n'achète pas un produit uniquement pour lui même, mais aussi pour l'expérience. Il se rend dans un magasin pour cette raison, pour le côté social, pour des conversations avec d'autres consommateurs. Le futur, pour moi, réside dans les multiples canaux. Le packaging est le point de départ. Il doit communiquer transversalement, il n'est pas seul, il fait partie de l'expérience de la marque.

Utilisez-vous les réseaux sociaux dans vos approches et recherches?
Bernard Puttaert: Non car notre travail est confidentiel et une fois que quelque chose est sur le web c'est dangereux. De plus certains projets n'aboutissent pas, il ne faudrait pas qu'ils tombent entre les mains d'un concurrent. Par contre, l’univers digital est une source d'inspiration pour les créatifs. Notamment un réseau comme Pinterest.

Catherine Faucheux: Nous sommes tous les quatre présents sur Pinterest, c'est visuel, c'est important. Nous avons une belle bibliothèque de données inspirationelles. Il faut naturellement bien l'utiliser. Au niveau des designers, ils se doivent de rester prudents, car le subconscient travaille. On peut « créer » des réalisations existantes sans s'en rendre compte. C'est dangereux, car nous devons nous porter garant de l'originalité du projet.

Patrick De Grande: Chaque mois, nous organisons une réunion de brainstorming dont l'objectif est de répondre à un briefing fictif. Nous n'utilisons pas internet mais uniquement la réflexion de chacun. C'est un excellent exercice pour les designers. Cela leur permet d'imaginer de superbes réalisations.

Photos: Hilde Collier (Image4you)