Les médias classiques sont-ils schizophrènes ?

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La situation économique étant ce qu’elle est, le marché de la publicité devrait rester sous pression quelques temps encore. Lorsque la croissance est au rendez-vous, elle ne profite (surtout) qu’aux quelques entreprises qui composent cet acronyme particulier, GAFA : Google, Apple, Facebook et Amazon. Les médias classiques, quant à eux, ne savent pas s’ils doivent les adorer ou les détester.

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Roularta Scanlink

 

 

L’évolution qui laisse une part du marché publicitaire de plus en plus belle aux grandes entreprises internationales est peut-être lente, mais elle continue, malgré les nouveaux formats publicitaires des éditeurs « classiques », constate Xavier Bouckaert. Le CEO de Roularta Media Group est heureux de constater que ‘son’ marché de lecteurs se porte bien. « Mais pour cela, il a été nécessaire d’innover,  prévient-il. Les lecteurs sont de plus en plus actifs en ligne, nous devons donc leur proposer de bonnes solutions online et les aborder de façon personnalisée. C’est ainsi que nous pouvons faire la différence grâce à notre contenu. » Du côté de De Persgroep Publishing, le CEO Koen Verwee souligne que les revenus publicitaires ne sont qu’une partie des revenus : « Pour les journaux, le rapport est de 70/30, lecteurs vs. publicité ; pour les magasines, il est de 85/15. » De Persgroep est passé au monde numérique sur le marché des lecteurs et sur le marché publicitaire, avec une proportion qui est déjà de 50/50 entre le offline et online chez certains annonceurs nationaux. Mais de grands investissements resteront nécessaires pour maintenir la croissance numérique les prochaines années, prévient Koen Verwee.

RTL

Multicanal

Selon Xavier Bouckaert, Roularta apporte une valeur ajoutée en adoptant une approche multimédia – les ‘pure players’ sont actifs en ligne et ne couvrent pas tout le marché – et en connaissant bien ses consommateur du fait de sa position d’acteur ‘local’. « Nous avons des atouts, dit-il, il s’agit de les utiliser et de les développer sur les plans informatique, marketing et humain. » Roularta Media Group mise sur des groupes cibles spécialisés, comme des amateurs de construction (Je vais construire & rénover) ou des hommes d’affaire (Trends). « Le fait que nous parvenons à bien définir ces groupes cibles nous permet de traduire cela en de beaux tarifs. »

Denis Masquelier

Denis Masquelier (IP Belgium/RTL Belux) : « La télévision est, par sa nature, un média de masse. Vous ne pouvez pas changer cela, mais la force de ce média peut être utilisée pour travailler de façon plus ciblée. »

Denis Masquelier, general manager chez IP Belgium (RTL Belgium), est satisfait de la portée des médias pour lesquels il génère des revenus. En Belgique francophone, la diffusion en différé n’est pas encore la norme, mais même en ligne, les sites du groupe média obtient de bons résultats. Mais, car il y a un ‘mais’, la télévision n’est plus le premier média des jeunes. Le fait qu’ils consomment plus de médias que les générations précédents n’enlève rien à la difficulté d’attirer les nouvelles générations. « Il faut vraiment surveiller cela, dit-il. Le contenu des entreprises GAFA est en effet très accessible. Nous y réagissons avec une approche multicanal. En fin de compte, le contenu reste roi. »

Koen Verwee

Koen Verwee (De Persgroep Publishing) : « Nous devons également investir dans les data, et là il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. »

Pour préparer l’avenir, les chaines de télévision doivent entretenir de bonnes relations avec les entreprises de télécommunication, afin de maîtriser des évolutions, telles que diffusion en différé ou la rediffusion à la demande d’émissions récentes, opine Denis Masquelier. « Pour le CIM, bien mesurer cette visualisation non linéaire est un défi. » Le suivi des revenus publicitaires est une autre pierre d’achoppement – sans parler de l’arrivée de la chaîne française TF1 sur le marché publicitaire belge. « Les réseaux sociaux prennent toujours une part de chaque forme de publicité, explique Denis Masquelier. Au niveau du groupe, on parle désormais de ‘total vidéo’ et de ‘total audio’, car la télévision n’est plus dissociable de toutes ces formes de visualisation en ligne et non-linéaires. C’est la même chose pour la radio. Nous ne sommes plus cantonnés à notre domaine de base. C’est pour cela que RTL Group investit dans des initiatives telles que SpotX et que le groupe est devenu actionnaire de Fremantle. En Allemagne, Smartclip développe du marketing vidéo en ligne. Pour plaire aux annonceurs, il faut avoir des données, il faudra donc créer davantage de ponts entre les différents métiers dans les années à venir. »

Média schizophrène

La relation entre les éditeurs classiques et les géants tels que Google – ou plus généralement les GAFA – est schizophrène, reconnaît Xavier Bouckaert. « Il existe des conflits, mais en même temps nous sommes des revendeurs de Google. Nous sommes donc également partenaires d’une collaboration qui se déroule à merveille. Il s’agit donc de trouver un équilibre qui convient à toutes les parties. » A terme, les entreprises GAFA s’y retrouveraient aussi, pense-t-il. Il y a le problème de la brand safety. Sur les réseaux sociaux, vous ne savez pas toujours très bien où atterrit votre publicité. La législation européenne pousse le monde du numérique en direction d’un écosystème qui garantit une viabilité à tout le monde. « Nous n’attendons pas la pression de l’Europe, explique Xavier Bouckaert. Nous essayons de créer ce genre d’écosystème avec les entreprises GAFA dans le respect mutuel. Ces dernières font des efforts, mais encore trop peu. Des cadres juridiques devraient les motiver un peu plus. »

Du côté de De Persgroep, Koen Verwee confirme que les relations avec les GAFA sont complexes : « Nous proposons du contenu qui est important pour eux. Ils s’occupent du reach et cela fait de nous des partenaires. Mais au niveau publicitaire, nous sommes concurrents, bien qu’à nouveau, nous collaborons avec Google sur le volet technologique. Ce sont des acteurs mondiaux qui peuvent investir de l’argent dans de nouveaux modèles publicitaires et qui peuvent tout développer à l’échelle mondiale. Le réseau – et donc le pouvoir – de Google et Facebook grandit sans cesse car ils rachètent souvent leurs concurrents. »

Xavier Bouckaert

« A chaque lecteur sa page web personnalisée » – Xavier Bouckaert

Les entreprises GAFA ont établi leur position dominante en relativement peu de temps, dit Denis Masquelier. « Au début, on ne les prenait pas au sérieux, puis on les a vues comme des ennemis. Aujourd’hui, il y a une entente, nous sommes partenaires d’un côté, concurrents de l’autre. Nous avons deux millions de fans sur tous les réseaux sociaux, ce n’est pas négligeable. Bien que cela soit un peu schizophrène, car Facebook Live et Facebook Connect marchent sur nos plates-bandes. A l’inverse, nous produisons du contenu pour Microsoft, et cela ouvre de nouvelles portes. »

Le contenu classique exige de nouveaux formats. « Les mini-journaux sur Facebook n’ont pas bien fonctionné, nous en avons tirés des leçons. Il faut d’abord construire une communauté et ensuite on peut commencer à gagner de l’argent. Les programmes CRM jouent un rôle important en faisant attention à l’ensemble du customer journey. Cela vaut aussi pour le targeted advertising à la télévision. La télévision est, par sa nature, un média de masse. Vous ne pouvez pas changer cela, mais la force de ce média peut être utilisée pour travailler de façon plus ciblée. »

Les médias ont besoin de Facebook, Google e tutti quanti. Mais l’inverse est-il vrai ? Denis Masquelier pense que oui, car, outre le contenu généré par les utilisateurs, ces entreprises ont besoin de contenu de qualité. Cela vaut également pour les entreprises de commerce en ligne typiques, qui font de plus en plus passer leur publicité par les médias de masse classiques.

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Collaboration

Pour Koen Verwee, il y a trois façons de faire concurrence aux GAFA. Tout d’abord, il faut continuer à investir dans son propre domaine et dans l’engagement, en proposant aux utilisateurs une expérience idéale. « Nous devons également investir dans les data, et là, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Nous devons persuader les utilisateurs de se rendre identifiables et nous devons investir dans des analyses. Il faut également trouver des partenaires, car seuls, nous sommes trop petits pour leur faire de l’ombre. Nous sommes d’ailleurs déjà devenus nous-mêmes une organisation internationale, avec les Pays-Bas et le Danemark. La fusion des régies de Medialaan et de De Persgroep s’inscrit aussi dans cette stratégie, et ce n’est pas par hasard que nous allons aussi investir dans les data. »

La fusion des régies de Medialaan (50% De Persgroep, 50% Roularta) et De Persgroep n’a-t-elle pas ouvert la porte à une fusion avec la régie publicitaire de Roularta ? « Nous sommes tout même un peu plus spécialisés, dit Xavier Bouckaert. Dans les grandes lignes, le public cible de Medialaan et de De Persgroep est plus ou moins le même que celui de Facebook. Cependant, une collaboration ad hoc entre notre régie et la nouvelle régie de Medialaan et de De Persgroep serait tout à fait envisageable. En tous cas, l’avenir est plus que jamais à 360°, et ce, pour toutes nos marques. Une approche numérique, mais à côté de nos évènements et nos croisières, par exemple, ou d’initiatives comme les belles marques en pleine croissance de Digilocal et Storesquare. "