Les opérateurs télécom sur la sellette

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Tous les projecteurs sont braqués sur les télé distributeurs, devenus ces dernières années des opérateurs télécom à part entière. A l’heure où ceux-ci se positionnent dans le quadruple play (télévision, téléphonie, internet, mobile) leurs relations avec les chaînes n’ont jamais été aussi tendues. Pourtant, le danger pour ces dernières n’est pas intra muros!
·        La catch-up tv est à 15% en Angleterre, un phénomène qui nous concerne tous
·        La perte des droits sportifs menace les chaînes comme les télé distributeurs
·        L’étroitesse de notre marché préserve les acteurs de l’audiovisuel

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. La télévision s’est rapidement positionnée comme le média le mieux adapté à l’ère digitale. Lentement mais surement, elle a intégré nombre de fonctions permettant aux téléspectateurs de regarder en avant-première des séries, de revoir un Jt, de commander un produit, de jouer la carte du second écran… Bref tout allait pour le mieux… Au détail près que les revenus publicitaires online ne pèsent pas lourd. Philippe Delusinne, ceo de RTL souligne que toutes les innovations digitales « n’ont pas encore trouvé leur modèle économique.» A côté de cette réalité, quand les télé distributeurs se sont lancés dans des offres triple-play, les télés n’ont pas immédiatement saisi dans quelle pièce elles allaient désormais jouer. Pour le tandem téléspectateur/internaute, internet a donné à la télévision une nouvelle dimension, marquée du sceau de l’interactivité et de la mobilité. Coté chaînes, différents problèmes se posent: La vision différée, fonction offerte par les décodeurs numériques et l’arrivée des télé distributeurs sur leur terrain du contenu.
«Tout le monde est en train se rassurer. Guillaume de Posch (ndlr: co-ceo de RTL Group) déclare que la télévision a un bel avenir. Je suis plus perplexe et mon analyse est basée sur des chiffres.» tempère Daniel Weekers, patron de BeTv et directeur stratégique de Tecteo, intercommunale propriétaire de VOO. « Je constate une explosion de la catch-up tv. La télévision de rattrapage gagne du terrain. Or, quand les gens regardent la télé en mode rattrapage, ils zappent la pub. Sur internet, on a d’un côté les buzz générateurs de pub et de l’autre les pubs qui sont agaçantes, qu’on essaye d’éviter. Et quand ce n’est pas possible on abandonne la partie. Les annonceurs des chaînes généralistes se contentaient jusqu’ici des données d’audience des émissions qui étaient regardées, jamais les audiences des spots publicitaires. Aujourd’hui, ces annonceurs sont aussi actifs sur internet et peuvent constater si leur campagne a été vue! Pour la première fois les annonceurs se demandent si leur spot télé a été vu ou pas et ne se contentent plus de l’audience de ce qui a après ou avant. Les chiffres d’audience indiquent si un programme a été vu, mais s’il l’a été en différé, la pub n’a pas été vue. Cela pose un problème d’équation économique aux chaînes généralistes. Celles-ci font de l’audience avec des programmes locaux, de la variété et du sport. Ces programmes locaux (info, documentaires) leurs coûtent de l’argent. Comme elles ne les rentabilisent pas aux niveaux des rentrées publicitaires, elles perdent des revenus. Ca coute beaucoup plus cher que d’acheter les droits de fictions et sportifs. Cette situation concerne à la fois les généralistes, mais aussi les chaînes à péage. Tous les producteurs de contenus locaux! » Et de donner le coup de grâce: « Prenez l'exemple du Qatar en France. Ca tombe comme une bombe atomique! Ils ont décidé de mettre la main sur tous les droits sportifs en quelques années, avec des moyens illimités. Canal+ souffre. Netfix arrive en Angleterre. Les télés connectées sont là… Ces chaînes disposent de séries américaines en primeur par rapport à TF1 ou France 2, idem en sports, films… Ces acteurs, qui bénéficient de moyens sans communes mesures avec les nôtres, peuvent se permettre de tout acheter. La chance de la Belgique est d’être un petit pays. Nous ne sommes pas un marché prioritaire pour ces dinosaures.»

Ce décor, à peine futuriste, planté, dans les rangs des télé distributeurs on refuse de porter le chapeau à la place des chaînes. Chez VOO, qui entretient des «relations commerciales correctes » avec les chaînes, on évite les débordements. «Nous ne voulons pas jouer la carte de la concurrence avec celles-ci, à l’instar de Belgacom qui crée une chaîne événementielle sportive. Nous restons dans notre domaine, la télévision à péage et la distribution.» Chez Telenet, attaqué de toute part les barons de l’audiovisuels en Flandre, on tient à remettre l’église au milieu du village. «Chapitre vision en différé, dans les année 70, nous avons connu les enregistreurs vidéo. En 2004, nous avons participé avec les chaînes au projet Vlaanderen Interactief. Et nous avons innové main dans la main avec les trois grands acteurs audiovisuels en Flandre. Lorsque le Tivo, qui connaît un grand succès aux USA, est arrivé, nous avons renoncé à la fonction permettant de zapper la pub. Nous avons même planché ensemble sur la manière de générer de nouveaux revenus et un nouveau business modèle. Il faut savoir que nous sommes le seul pays au monde où les distributeurs et les chaînes se partagent les revenus de la vidéo on demand! La vision différée est une réalité, en Belgique. Elle a pris place dans un environnement contrôlé.» souligne Benny Salaets, Vice President Content Management de Telenet.

Touche pas à mon contenu
Les amateurs de sports et principalement de football ont été les premières cibles des télé distributeurs. Tant du côté de Belgacom Tv (qui nous a opposé une fin de non recevoir à nos demandes répétées d’interviews) que du tandem Telenet / VOO, le sport est le nerf de la guerre en termes de contenu. D’un côté on a Belgacom 11 et 11+, de l’autre Voofoot et Sporting Telenet… Face aux montants déboursés pour l’acquisition des droits, le monde de l’audiovisuel s’est retrouvé au tapis. Il ne restait plus aux chaînes qu’à faire allégeance. Pas toujours simple, comme en témoigne Philippe Delusinne. «Nous sommes dans un marché très imbriqué, avec des distributeurs qui sont tantôt partenaires, tantôt concurrents. Il faut trouver des équilibres.» Chez RTL, comme pour toutes les chaînes généralistes du pays, on sait de quoi on parle. La filiale de Bertelsmann travaillait avec Belgacom Tv sur un projet de chaîne rire… avorté en octobre 2011. Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF renchérit. « Avec les cablos, nous sommes dans un écosystème, où nous leur apportons la toute grande partie de leur audience et ils ajoutent des contenus spécifiques de niche. S’ils viennent à faire de la télé généraliste il y aura un problème!» Pour Frédéric Antoine, professeur à la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication de l’UCL, «C’est une partie de bras de fer. Les chaînes de télévision sont obligées d’accepter une série de comportements des distributeurs, car sans eux, elles ne sont nulle part. En Belgique, ceux qui véhiculent le signal ont un pouvoir prépondérant par rapport aux fournisseurs de contenus. Personne n’imagine de recevoir un signal télé via le numérique hertzien. L’offre par satellite est réduite. Tout passe par les télé distributeurs. Qui, il ne faut pas l’oublier, rémunèrent les chaînes. Pour RTL, malgré l’étroitesse du marché la Belgique reste intéressante puisque nous sommes un des seuls endroits en Europe où le télé distributeur paye pour transmettre le signal. D’un côté les chaînes ont besoin de ceux-ci pour être acheminées vers les téléspectateurs. De l’autre ils ont besoin de ces chaînes pour que les gens s’abonnent. Leur succès résident dans leur offre de chaînes populaires liées à la communauté dans laquelle nous vivons.» Sur un ton pacificateur, Benny Salaets déclare ne pas comprendre l’animosité de certains. «Nous agrégeons des contenus. Nous sommes comme un Delhaize ou un Carrefour qui proposent différentes marques et aussi ses marques propres. En l'occurrence, nous avons près de 80 chaînes à notre menu, pour lesquelles nous ne jouons aucun rôle. Ment tv par exemple est une initiative que nous supportons sans pour autant être partenaire. A côté des offres payantes, au sein de nos offres premium, nous proposons un catalogue de films et du sport de premier niveau en direct. Nous sommes un acteur de premier plan au niveau footballistique. Ce n'est pas nouveau! Souvenons-nous de la reprise par Telenet de Canal+ Vlaanderen. Lorsque nous prenons une initiative, il s'agit toujours d'occuper une place dans laquelle aucun acteur n'était présent.»

Google Tv et cie
Si depuis l’été, la Flandre s’enflamme au niveau du câble, d’autres périls menacent la « quiétude » de l’univers audiovisuel européen. Google Tv s’installe massivement autour de nous, Apple Tv s’immisce discrètement dans les salons et Netflix pourrait très bien se payer un raz-de-marée. «Il faut être réalistes. Nous ne pouvons que perdre des droits. Le tout est accentué par le fait que la télévision de rattrapage passe par internet, qui est complètement ouvert. Nous investissons énormément pour construire les autoroutes et quand elles seront toutes finalisées, un Google ou Apple va arriver et sans faire l’objet d’aucune réglementation va, par sa puissance financière, installer des droits de passage, sans payer un euro de concession. Si tout le monde continue à jouer dans son petit coin, nous aurons une télé connectée, une Samsung, avec des widget présélectionnés par Google. Et le petit portail de la RTBF se retrouvera à la 72e place. Et lorsque que l’on cliquera, nous n’aurons plus que les programmes propres de la RTBF car elle n’aura plus les droits pour le reste.» lâche Daniel Weekers. Moins alarmiste, Frédéric Antoine met l’accent sur la filiation naturelle entre les chaînes régionales ou nationales et leur public. «Les opérateurs classiques ont une richesse de programmes sans comparaison avec celle des nouveaux venus. Ces nouvelles chaînes ne sont pas du niveau de la télévision classique. Même s’il y a une érosion et que par exemple la TNT a sonné le glas de l’hégémonie de TF1, la grande audience reste sur les chaînes classiques. Ce n’est pas parce qu’on verra des chaînes Youtube, qu’il y aura du jour au lendemain une déstabilisation des chaînes généralistes. La ménagère de -50 ans continuera à regarder les programmes de TF1 et de RTL. Si ces nouveaux venus ont les reins assez solides pour proposer la même chose, il y aura peut être une migration des générations suivantes.» Et d’ajouter: « L’évolution technologique fascine, mais ne fait pas vaciller les bases du système. Les développements se font toujours dans les niches.» Ceci étant, Daniel Weekers plaide pour que l’ensemble des acteurs nationaux fassent entendre leur voix à l’échelon européen et ceci à travers leurs instances de régulations, au rang desquelles figure le CSA. Il reste à s’interroger si, en marge de ce chapitre juridique, les télévisions ne mènent-elle pas une guerre en retard? Pour Frédéric Antoine, la réponse est à chercher de l’autre côté du petit écran. « La télévision génère toujours de grandes audiences, mais le profil du téléspectateur est vieillissant. Les jeunes sont plus enclins à consommer la télévision via internet. Or si l’on visionne un programme en catch tv, on est obligé de visionner un petit spot publicitaire. C’est dire que les opportunités commerciales ont bien été saisies par les chaînes. Il y a une volonté de réfréner les velléités des téléspectateurs de se libérer de celles-ci. Or le téléspectateur n’est plus enchaîné comme il l’était depuis 50 ans!»