L'humour est une affaire sérieuse

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Mortierbrigade, De Vloer et Hilarious disposent chacune de leur propre style, mais ont en commun le sens de l'humour. Absurde, burlesque ou amusant ? On a le droit de rire, du moment que cela reste pertinent. - Evy Van Ruyskensvelde

Jens Mortier (mortierbrigade) : « En tant que créatif, si nous voulons attirer l'attention, nous devons parfois faire preuve d'audace. »

Les fous rires sont bons pour la santé et pour les abdominaux, paraît-il. Et à en croire la publicité de la LoterieNationale,un millionnaire sommeille en chacun de nous. Eux aussi doivent bien stresser au moment de trouver une place de parking, non ? Vous comprenez ce que je veux dire : rien de tel qu'un spot publicitaire drôle et bien écrit. Évitons de parler du dernier exploit de Bicky Burger, histoire de ne pas s'abaisser à ce niveau. Entre nous, ils ont vraiment raté leur coup, sans jeu de mots... Ou le mouvement #MeToo aurait-il rendu le sujet encore plus délicat ? « Nous vivons effectivement à une drôle d'époque. On constate que les gens ont maintenant très peur de heurter la sensibilité (ou les seins) de qui que ce soit, » rit Jens Mortier, le gourou de la publicité qui se cache derrière la Mortierbrigade. « Cela pèse sur notre métier, puisqu'en tant que créatif, si nous voulons attirer l'attention, nous devons parfois faire preuve d'audace. » En ce qui le concerne, il faut pouvoir rire de tout. « Même du Zwarte Piet, et même de #MeToo. Mais seulement à condition que ce soit vraiment bien trouvé, que cela ne tombe pas à plat et ne soit pas blessant. » Un avis que partage Johan Roelandt, fondateur de De Vloer: « L'humour a vraiment de la valeur, du moment qu'il est juste. Les plaisanteries de mauvais goût l'étaient déjà il y a dix ans. Une blague ne doit pas nécessairement viser une catégorie spécifique de la population, et à mon avis, l'univers créatif a toujours joué un rôle de pionnier dans ce domaine. » Un rôle qui nécessite un véritable travail. « L'humour est une affaire sérieuse, comme je dis toujours, » poursuit Jens Mortier. « Rien ne m'irrite plus qu'une plaisanterie mal écrite. Cela exige donc beaucoup de maturité de travail. Mon père et moi créons toujours les spots Humo ensemble, et même après trente ans, nous nous appliquons toujours autant. »

Johan Roelandt (De Vloer), avec le Maine Coon Kevin : « Le secteur publicitaire continue de trouver de nouvelles façons d'être drôle. »

Risqué ou pas ?

(MédecinsSansFrontières) De Vloer a pensé cette campagne pour Médecins Sans Frontières. L'agence a même remporté le Prix de la solidarité du Standaard.

L'avantage d'un spot drôle est évident, estime Johan Roelandt. « Faire sourire les gens lorsqu'ils regardent ou écoutent un spot constitue une émotion, qui plus est accessible. Et nous nous débrouillons bien, puisque le secteur publicitaire continue de trouver de nouvelles façons d'être drôle. » Pas étonnant que les annonceurs demandent parfois explicitement un soupçon d'humour en plus. « Cela convient très bien à certaines marques. Pour Dag Allemaal, par exemple, nous avons créé la campagne ludique “Zoveel te vertellen”, une interprétation pleine d'humour sur la valeur du récit du journal. Cette interprétation à la télévision est une pure niaiserie, mais elle a rendu la marque plus légère et moderne. »

(Single Ladies) Les DJ de Q qui dansent la chorégraphie de Beyoncé sur des talons hauts... « L'humour consiste souvent à lâcher la blague qu'il faut de façon inattendue, » d'après Johan Roelandt

Bien sûr, l'humour n'est pas systématiquement le premier choix. « Avant tout, il faut établir un lien logique avec l'ADN de la marque, » estime Olivier Vozzella, digital creative director de l'agence créative Hilarious à Auderghem. « En matière de communication, il convient toujours de garder à l'esprit que chaque idée se fonde sur des objectifs et des points de vue. » Ce qui ne signifie pas pour autant qu'une marque ne puisse pas prendre de risques... « Il suffit de voir “Teletruc”, le dernier travail de TBWA pour Telenet. Malgré l'objectif consistant à gagner plus de parts de marché à Bruxelles, ils ont opté pour l'humour en tournant délibérément en dérision la marque. Risqué, mais bien joué, car la campagne est vraiment sympa. » Là aussi, Jens Mortier est d'accord : « En tant que marque, il faut oser aller jusqu'au bout. Sinon, mieux vaut faire autre chose. Vous pouvez aussi jouer avec une corde sensible et explorer d'autres registres. »

(Euro Millions) Dans un spot de mortierbrigade pour la Loterie Nationale, le millionnaire Paul gare son yacht dans le port. Pour lui aussi, trouver une place de parking est stressant !

Attribut sexuellement indispensable

(Teletruc) Olivier Vozzella parle de la dernière campagne de TBWA pour Telenet. « Malgré l'objectif consistant à gagner plus de parts de marché à Bruxelles, ils ont opté pour l'humour en tournant délibérément en dérision la marque. »

 

Mais continuons de nous pencher sur l'humour, car les registres sont suffisamment nombreux pour s'y étendre. « Il existe plusieurs types d'humour. On disait à un moment qu'il valait mieux éviter l'humour sous forme de jeux de mots, mais cela dépend vraiment. Récemment, Humo fournissait un préservatif gratuit, et nous parlions “d'attribut sexuellement indispensable”. Là aussi, la règle est la suivante : on peut tout s'autoriser, du moment que le travail est bien fait et qu'il correspond à la personnalité de la marque. Par exemple, le Lotto ne peut pas soudain se permettre d'être impertinent, mais Humo, oui. »

« Rien ne m'irrite plus qu'une plaisanterie mal écrite. » – Jens Mortier

Comme nous l'explique Johan Roelandt, l'humour peut également se retrouver dans le spectacle. « Une des premières choses que nous avons faites ici était la vidéo “Single Ladies” pour Qmusic. Ces DJ qui dansent jusqu'au bout à la perfection la chorégraphie de Beyoncé sur des talons hauts... L'humour consiste souvent à lâcher la blague qu'il faut de façon inattendue. » Qu'en est-il de l'humour absurde ? Lidl, par exemple, y recourt depuis quelques années dans le cadre de ses campagnes, mais est-ce réellement efficace ? « Pour Lidl, sans l'ombre d'un doute, » affirme Olivier Vozzella. « Ses campagnes ont été récompensées à plusieurs reprises. Elles ont non seulement insufflé à la marque une nouvelle vie, mais ont aussi pu toucher une nouvelle génération. Le “magasin dont on n'osait pas dire qu'on y avait acheté les légumes les moins chers” est d'un coup devenu “the smart buy”.

« L'humour a vraiment de la valeur, du moment qu'il est juste. » – Johan Roelandt

Humour : attention, danger

« Il faut établir un lien logique avec l'ADN de la marque » – Olivier Vozzella

Olivier Vozzella démontre avec un exemple grinçant que l'humour n'est pas toujours le meilleur choix. « Viagra, une marque bien connue des créatifs, a laissé, au fil des ans et d'innombrables campagnes humoristiques, un arrière-goût plus qu'amer. Aujourd'hui, la marque est systématiquement associée aux problèmes d'impuissance, et plus personne n'ose l'acheter en pharmacie. Par conséquent, son chiffre d'affaires en 2019 ne représentait que 2 % des parts de marché. » Dans le cadre de campagnes de récoltes de fonds également, les agences créatives font particulièrement attention, même si l'un n'exclut pas l'autre... « Nous avons reçu une demande de campagne de collecte de fonds pour Médecins Sans Frontières, » confie Johan Roelandt. « L'encart indiquait : l'association ne peut pas accepter de cadeaux de la part de politiques afin de rester politiquement neutre. Cette information est très difficile à transmettre au public... Au final, nous avons opté pour une photo de Louis Michel à la plage, photoshopée bien sûr, avec comme slogan “Il n'y a que comme ça que le Premier ministre Michel peut déposer de l'argent sur notre compte.” Elle nous a même valu le Prix de la solidarité du Standaard ! »