"L'idéologie est un porte-manteau."

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Depuis sa création en 2001, la N-VA pèse lourd dans l'échiquier politique. Le parti a réussi ce que son prédécesseur, la Volksunie, n'avait jamais pu réaliser : être un partenaire de coalition possible à chaque élection. La communication bien ficelée du parti a certainement joué un rôle dans cette évolution. Entretien avec Bart De Wever, l'incontournable président de la N-VA. - Wim De Mont

Le secteur de la publicité n'est pas totalement inconnu Bart De Wever le président de la NVA.  Sa femme a travaillé pendant des années comme graphiste pour plusieurs grandes agences. On peut critiquer la N-VA sur beaucoup de sujets, mais certainement pas sur le plan de la communication. Pas étonnant, avec un président qui sait tenir son public en haleine et des campagnes, assorties de concepts forts. Le dynamisme est bien là. Mais comment la communication au sein du parti est-elle organisée ? "En grande partie en interne", nous confie l'homme politique le plus influent du nord du pays. "Ce n'est qu'en période d'élections que nous externalisons. Surtout pour la production matérielle, mais parfois aussi pour l'aspect créatif. Ce n'est pas facile : soit vous changez d'account, soit vous travaillez avec des gens qui ne vous aiment pas et qui ne voudront peut-être pas mouiller leur chemise  pour vous. Dans le passé, nous avons travaillé avec l'agence Brandhome et d'autres encore. Nous devons encore réfléchir comment nous allons nous organiser pour  la prochaine fois. En fin de compte, vous devez faire le processus de création vous-même. Un homme politique ne devrait pas demander à des tiers comment il doit tailler son crayon. Votre idéologie est votre crayon. Lors des élections, il est important que vous le tailliez le plus précisément possible. Qui peut mieux le faire que l'homme politique lui-même ? Je pense que vous avez besoin de personnes extérieures comme caisse de résonance, comme organisateur de panels, pour donner un feedback; parce qu'en tant que politicien vous êtes parfois trop proche des choses".

Qui est responsable de la communication au sein de la N-VA ?

Bart De Wever : "Le directeur politique de la N-VA est le PDG de la N-VA ! Et pour le parti en tant que "entreprise", son porte-parole est le directeur de la communication. Il a plusieurs porte-parole : chaque groupe a un porte-parole. Certains bourgmestres ont un porte-parole, y compris les cabinets... Le directeur de la communication dirige le flux de communication vers les médias, en échangeant avec ces porte-parole et en communiquant par des moyens modernes, de sorte que l'équipe  qui envoie la communication est sur la même longueur d'ondes. Cela s'adresse aux médias traditionnels, qui posent constamment des questions ou que nous devons contacter. Un niveau en-dessous, opère la cellule des médias sociaux. Ils adaptent l'histoire sur les réseaux sociaux ou écrivent leurs propres histoires, parfois en réponse à quelque chose. Un troisième service s'occupe de la communication de masse, comme les affiches et les brochures. Nous utilisons encore beaucoup de brochures, surtout au niveau local. Et puis il y a le modeste service de médiation, qui canalise et répond aux questions spécifiques de la population. Ces questions sont tout azimut, ça va de sujets personnels à des problèmes spécifiques. Nous devons discuter en interne de leur organisation, car nous recevons des milliers de questions qui me sont posées et fournir des milliers de réponses est une tâche impossible".

La communication interne suit-elle la même voie ?

Bart De Wever : "En ce qui concerne le contenu, il est étroitement lié à la communication externe. Nous n'avons pas deux points de vue différents, selon qu'il s'agisse de nos membres ou du monde extérieur. Il existe également une unité de politique locale, qui aide les échevins au niveau communal. Les bonnes initiatives d'une commune sont transmises aux autres communes. Cela permet également d'adopter la même approche dans plusieurs communes ; lorsqu'un autre parti met, par exemple, une motion particulière sur la table. Il y a également deux chefs de file du mouvement par province qui prennent le pouls des instances locales".

Un parti politique est-il parfois confronté au choix entre "idéologie"  et "perception"  ?

Bart De Wever : "L'idéologie est un porte-manteau, une vision de l'homme et de la société. Et puis il y a l'actualité. C'est comme un flux et un reflux, les stimuli arrivent tous les jours. C'est un art d'accrocher ces stimuli sur ce porte-manteau. Que pense une personne de notre idéologie, de ces stimuli ? Et comment le parti s'exprime sur ce point ? Quelles sont vos actions politiques ? Les politiciens y investissent beaucoup de temps. Vous ne pouvez pas faire cela seul en tant que président, vous devez en discuter en groupe. Cela fonctionne via un conseil du parti, une réunion quotidienne, la consultation des ministres, ... et enfin un conseil mensuel du parti. Nous faisons le point sur la situation actuelle, et comment nous avons réagi ? Si nous disons cela, quelle seront les  réactions ? C'est bien tant que vous ne reniez  pas votre idéologie. Nous voulons faire valoir notre point de vue du mieux possible. Parfois nous réussissons et parfois pas. Il faut alors se défendre et aller de l'avant ".

En Flandre, vous êtes dans la majorité, au niveau fédéral dans l'opposition. C'est une difficulté supplémentaire ?

Bart De Wever : "Keep it simple. Je suis en faveur d'un nombre d'obstacles aussi réduit que possible. Parti majoritaire et parti d'opposition, c'est bien un obstacle. Ce n'est pas aussi facile quand il s'agit de communication que quand on gère tout, surtout dans un pays où les pouvoirs sont morcelés. C'est un pays où tout le monde est compétent, mais où personne n'est responsable. Ce n'est pas confortable, mais pas  impossible non plus".

En tant que bourgmestre, vous démarquez-vous de la politique du parti à ce niveau ?

Bart De Wever : "En tant que bourgmestre, je suis à la tête d'une coalition, pas de la N-VA. C'est en effet un champ de mines, certainement à Anvers, la plus grande ville de Flandre. Pour beaucoup de gens, le bourgmestre est l'incarnation de la politique, de toute la politique. Qu'il s'agisse de compétences locales, provinciales, flamandes, fédérales ou européennes. Ce manque de clarté entre tous ces pouvoirs c'est le "fond de commerce" de l'anti-politique en Flandre. C'est une difficulté pour la N-VA : nous disons que le système n'est pas bon, mais en tant que parti politique, nous voulons faire quelque chose, en parlant et en négociant. Il ne suffit pas de tout démolir. Il est parfois difficile de communiquer, mais il faut être patient... Le populisme doit être contré par une politique décisive. Que ce soit à gauche ou à droite : il faut que ce soit clair".

La N-VA n'a-t-elle pas deux marques, "N-VA" et "Bart De Wever" ?

Bart De Wever : "Il y a peut-être 20 noms de célébrités dans le parti, mais la différence vient du fait que  je suis là  depuis très longtemps et c'est comme ça qu'on devient une marque. Y a-t-il une rupture avec la marque N-VA ? Je ne pense pas. Je suis le meilleur représentant commercial de la N-VA, qui est vraiment une marque classique. Je pense que le fait qu'il n'y ait pas de scission a conduit le parti à dire que je devais rester président. Parce que les gens pensent que maintenant, en tant que président, vous devriez avoir quelqu'un qui est  en symbiose avec la marque N-VA, et non quelqu'un qui se demande si  la marque doit changer maintenant, faire de  l'anti-gouvernement ou se positionner  plus au centre".

La communication politique prend-elle suffisamment en compte le maintient ou le rétablissement de la crédibilité de la politique ?

Bart De Wever : "Comment rester crédible en tant que politicien, c'est un travail de tous les jours. Mais la crédibilité est un concept subjectif. Pour certaines personnes, vous ne serez jamais crédible, quoi que vous fassiez. Le corps électoral était autrefois plus stable, avec peu de transferts. Maintenant le réservoir d'électeurs est beaucoup plus volatile. Vous devez donc plus dépenser d'énergie pour être crédible auprès de cet électeur/consommateur. Par conséquent, avoir une carrière de quarante ans n'est plus la donne pour la génération actuelle de politiciens, qui va et vient Et ceci  parce qu'il faut s'investir personnellement beaucoup plus. Et vous subissez beaucoup plus d'attaques mettant en cause votre crédibilité. Il n'y a pas d'outils magiques pour construire sa crédibilité. Il existe cependant des outils magiques pour perdre rapidement cette crédibilité. Il faut donc savoir repérer les pièges et les éviter".

Comment déterminez-vous quand et à qui sont accordés les interviews ? Y a-t-il une stratégie derrière tout cela, ou les décisions se prennent  au jour le jour en fonction de ce qui est utile ?

Bart De Wever : "Les deux. C'est un marché où il y a une offre et une demande. Les médias ne sont pas là pour vous servir à votre guise. Inversement, les demandes pour des interviews affluent ici chaque semaine. Il n'est peut-être pas agréable de dire cela, mais notre approche est opportuniste. Parfois, vous créez de la rareté, parfois vous pesez ce qui est le mieux pour vous. Tous les partis font cela, vous savez".

Pendant un certain temps, vous n'avez donné aucune interview à certains médias...

Bart De Wever : "Je ne donne pas d'interviews à De Standaard. Historiquement, ce journal fait partie de mes piliers. Je suis un homme moderne, mais j'ai mes racines. Et ce sont les mêmes racines que ce journal. Mais il a perdu les siennes. Il cherche toujours à atteindre un lectorat traditionnel, mais maintenant il fonctionne  avec des journalistes ouvertement anti-NVA.  C'est un problème pour moi car ce journal ne dit pas ouvertement : "Nous sommes un journal d'opinion de gauche". Cela ne me dérange pas de donner des interviews à De Morgen. Mais il faut être honnête sur ce que l'on est, afin que le lecteur puisse en tenir compte. À part cela, je pense que certains médias imprimés surestiment un peu leur importance. La politique évolue, les médias aussi. Les médias ne peuvent plus faire et défaire. C'est mon point de vue. Ce n'est pas sympathique, mais j'aime donner des réponses honnêtes. Une raison de plus pour ne pas accorder trop d'interviews ! Mon service de communication m'a un peu préparé pour cette interview, mais c'en est resté là. C'est le moment où les porte-parole pensent : "Que va t'il raconter maintenant ?". En effet j'ai mon avis sur  le sujet".