Loin de moi cette campagne

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Le 25 mai, la Belgique sera à l'heure électorale. Au menu des élections nationale et européenne. A l'aube de la campagne, nous nous sommes penchés sur les paramètres de communication en place. A l'exception de la NVA, la majorité des partis ne se sont pas montrés pressés de monter au créneau. Et sur le plan numérique, rares sont-ceux qui se distinguent. Le calme avant la tempête?

Jusqu'à l'organisation par De Tijd et L'Echo, le 3 avril dernier, de leur « Grand Débat » entre le président de la NVA et celui du PS, la campagne électorale était en veilleuse. Une situation très logique si l'on repense au chemin de croix qu'a été celui des partis de la majorité pour arriver à s'entendre et à former un gouvernement le 6 décembre 2011. Depuis près de deux ans et demi, le bruit des conflits communautaires s'est tu. Le gouvernement a travaillé. Difficile dans ces conditions de sortir les haches de guerre, comme l'explique Nicolas Baygert, politologue, chercheur au CELSA (Paris IV-Sorbonne), à l’UCL et enseignant à l'IHECS. « Nous sommes arrivés dans une phase de la campagne qui demande une redramatisation de la politique! Pendant deux ans, on était content d'avoir un gouvernement avec des partis qui donnaient l'impression de bien s'entendre, et où tout le travail de communication visait à l’apaisement, à arrondir les angles, à mettre en avant le consensus. On n'était pas dans une politisation du discours, mais dans des projets. Le basculement vers une communication de campagne est compliqué pour les partis représentés au gouvernement, et encore plus pour Elio Di Rupo, qui était l'icône de cet apaisement. Son gouvernement et lui ont communiqué sur le fait qu'ils avaient réussi à pacifier le pays, à le 'sauver du chaos'. Je l'ai suivi en campagne dans le Hainaut, et je peux dire qu'il ne s'affirme pas comme un militant socialiste. Il est le VRP de la Belgique. Son discours est simple: la Belgique peut marcher, laissez-nous continuer. C'est compliqué à tenir pour la suite. Quand Laurette Onckelinx, lors d'un meeting, dit que le MR 'fait du n'importe-quoi-isme', c'est tirer une balle dans le pied d'Elio Di Rupo, car il y a quand même un bilan avec le MR à défendre. C'est le problème du système politique belge, avec ses grandes coalitions. Basculer dans un rapport de force avec d'autres partis n'est pas crédible, ou alors il faut changer de registre mais ce n'est pas naturel! »

Loin de moi cette campagne - Elio di Rupo - pub4-2014

TIREZ LES PREMIERS MESSIEURS LES ANGLAIS

Comment dépeindre la stratégie communicationnelle des partis politiques à l'avant-veille du scrutin? Si ce n'est les déplacements de pièces sur un échiquier underground, les grandes manœuvres et les effets de toge sont plutôt absents à l'aube de la campagne, comme si la majorité des partis regrettaient de devoir rabattre les cartes. Pas « encore » de trace de slogans assassins. « C'est le problème de la particratie, une terme employé en sciences politiques et qui n'est pas une insulte. Il faut essayer de vendre ces élections comme démocratiques, alors que leurs résultats est un arrangement particratique. On l'a vu avec la NVA au niveau fédéral ou encore avec le MR à Bruxelles, qui se sont retrouvés dehors. On ne s'entretue pas comme en France où celui qui gagne emporte tout et où c'est le désert pour les perdants. On est un des rares pays où ça fonctionne comme ça. Il y a aussi des avantages, on n'est pas dans des rapports de force qui tuent les initiatives, » précise notre interlocuteur. Et d'ajouter: « Les partis politiques vont avoir de moins en moins d'importance. Il leur suffit d'avoir un produit d'appel pour leur marque. Avec des personnages comme Elio Di Rupo, Bart de Wever ou encore Maggie De Block, qui fonctionnent très bien, le parti n'a plus beaucoup d'importance. Il faut avoir la personnalité qui incarne au mieux l'offre politique. Certains partis ont des problèmes, comme le MR: avant c'était Reynders, maintenant ce n'est plus clair. D'autres ont compris que le temps politique s'était considérablement accéléré. A cause des sondages, des enquêtes de popularité, nous sommes dans une phase d'élections permanentes. Il est fini le temps de la politique cyclique où l'on passait d'une campagne à une autre. Il faut faire l'effort de convaincre tous les jours. »
C'est le cas de la NVA qui est en campagne depuis les élections communales, et ne relâche jamais la pression face à l'immobilisme de la plupart des partis. A une moindre échelle, le PTB pratique aussi cette stratégie au sud du pays. Entre les deux, il existe toutefois une grande différence de moyens. Ainsi, en pré-campagne, la NVA a acheté des espaces publicitaires sur Facebook, des AdWords, etc. « C'est de bonne guerre. Elle a investi 300.000 euros dans sa campagne virtuelle. C'était assez drôle, quand on souhaitait visionner une vidéo de Paul Magnette, on avait droit à spot de la NVA. Elle a créé un éco-système, à un point tel qu'on reste en présence de la NVA où qu'on aille. C'était du jamais vu, les autres partis sont à la traîne. En France, depuis la campagne de 2007, tous les partis s'arrachent des mots clefs. L'UMP a ainsi acheté des mots comme Jacques Lang et lorsqu'on tapait son nom on arrivait sur la page de l'UMP. »

Nicolas Baygert: "La NVA a investi 300.000 euros dans sa campagne virtuelle."

LES HOMMES AVANT LES PARTIS

Notre pays se distingue aussi par la façon dont la communication politique est gérée. Chez nous, les spin-doctors œuvrent au sein même des partis et sont par la même occasion adhérents; le rôle des agences de pub est moindre. « En France, ce sont des agences de com qui travaillent pour des candidats. Une même agence s'occupe ainsi de différentes personnalités. Le problème des communicants qui appartiennent aux partis, c'est leur absence de regard critique. Au Chili, la présidente Michelle Bachelet avait dans son staff de communication des gens de la droite assez dure pour comprendre comment fonctionnait l'adversaire. Une distance et un sens critique par rapport au candidat est nécessaire, » affirme Nicolas Baygert. Souvenez-vous du cas d'école DSK. L'ancien patron du FMI était, jusqu'à son retour en France, épaulé par une garde rapprochée estampillée Euro-RSCG (Havas Worldwide), le « G », à savoir Jean-Michel Goudard, de la même agence travaillant pour Nicolas Sarkozy. Rien de tout ça en Belgique, les agences refont surface à la veille des élections ou en cas de rebranding.

Aujourd'hui, nous assistons à une franche peopolisation des hommes et femmes politiques. Mis en vedette par les médias, ils prennent le pas sur leurs partis. Prenons l'exemple d'Elio Di Rupo, « il adore son job de Premier Ministre. Il est dans la stratosphère et devoir retourner dans l'arène et sur les estrades ne lui plait pas. Sa stratégie, à la tête du gouvernement, a été d'avoir des porte-flingue en les personnes de Paul Magnette et Laurette Onckelinx. Elio Di Rupo pratique un storytelling gouvernemental sur les réseaux sociaux: Facebook, Instagram, Twitter... II est le seul à le faire. C'est une grosse erreur de la part de tous les autres partis qui ont aussi contribué à ce bilan! On assiste à une OPA du PS sur le bilan du gouvernement, via la figure de proue neutre du Premier Ministre. A l'occasion d'une conférence, je l'ai vu prendre la parole à côté d'un drapeau belge. Il est le seul à avoir compris l'intérêt de capitaliser sur la marque Belgique. » Chaque parti a naturellement sa star. Le CD&V joue la carte du leader avec Kris Peeters, alors qu'il n'est même pas président du parti. Le FDF est personnifié à travers son président Olivier Maingain. Le SPA voit émerger Bruno Tobback. « Il est charismatique et commence à percer. Il n'y a pas beaucoup d'hommes ou femmes charismatiques. Quelqu'un qui est trop dominant est taxé d'arrogant, alors qu'il faut l'être en politique, » précise notre analyste. Et de donner l'exemple de Didier Reynders, pénalisé par une image de personnalité suffisante. Quant à l'homme panda, orfèvre en communication, même ses ennuis de santé ont été exploités dans sa communication. Mais finalement, centrer le discours politique sur une personnalité, n'est-ce pas réducteur pour le débat démocratique?