Tablets / Le défis de la complémentarité
Passé le cap de la présence d’un journal sur tablette, il reste encore aux éditeurs de nombreux défis à relever. Les paramètres économiques sont différents du Nord au Sud, même si en termes d’applications, tout le monde est plus ou moins logé à la même enseigne. Interactivité, socialisation des contenus, nouveaux formats publicitaires… voilà des enjeux qui font le quotidien des différents responsables digitaux que nous avons rencontrés.
· Des journaux en manque d’interactivité
· Une rentabilité à géométrie variable
La récente étude du Pew Research Center, basée sur des données transmises par 38 journaux américains, appartenant à six groupes différents, atteste que ces titres réalisent encore 92% de leur chiffre d'affaires grâce à l'édition papier. L’autre réalité est la diminution récurrente de leur diffusion. Un schéma que connaît nombre de titres européens, avec une exception flandrienne. Ceci étant, même si le journal subit une érosion de son lectorat, lorsqu’il est associé à sa dimension digitale, on observe une embellie. Les derniers chiffres de diffusion de la presse quotidienne attestent de cette réalité. Ainsi, De Tijd, L’Echo et Le Soir présentent respectivement une évolution de leur diffusion payante négative, soit: -6,80%, -5,72% et -3%. Lorsque la diffusion prend en compte leurs ventes digitales, la vapeur s’inverse: +3,88%, +1,20% et -2, 05%. Aujourd’hui, la presse a multiplié ses plateformes numériques. Outre les sites internet, la plupart des titres ont souscrit à une application qui leur permet de prendre pied sur les tablettes et smartphones. Rayon liseuses, c’est naturellement l’iPad d’Apple la référence; celui pour lequel les éditeurs formatent leurs titres. L’expérience est enthousiasmante, mais n’est pas sans soulever des problèmes. «C’est à moitié satisfaisant. Au pire, nous ne pouvions intéresser personne et dans les rêves les plus fous, on en séduisait 100.000! » témoigne Philippe Laloux, Digital Media Manager du Soir. «Il y a plusieurs soucis. Premièrement, le mode de paiement reste compliqué. On n’a pas encore trouvé une formule ultra simple. Les gens sont obligés d’avoir à portée de main leur petit terminal. A l’occasion d’une campagne promotionnelle d’abonnement, 700 personnes ont été jusqu’au bout de la procédure … et au moment où on leur demande finaliser avec le terminal, elles laissent tomber! Deuxièmement, on doit encore améliorer le service, sa stabilité, les flux, l’ergonomie… Il reste des petites failles. Troisièmement, les gens sont-ils prêts? Les lecteurs ne voient pas la différence entre le flux gratuit et payant. Nous essayons d’être très différenciant entre l’information gratuite, très périssable et la payante qui l’est moins, qui a de la profondeur et qu’on peut relire. Les gens sont-il prêts à payer? Il y a deux bons exemples: le New York Time et De Standaard qui réussissent. Or leur offre n’est pas tellement différente de la nôtre.»
Applications et rentabilité
Le Soir comme De Standaard se sont offerts une nouvelle application l’été dernier. L’une et l’autre ont un profil assez semblable. A ce jour, c’est au rayon téléchargement que le fossé se creuse. Le quotidien flamand en totalise à ce jour quelques 95.000, tandis que le Vespéral en est à 40.000. De Standaard compte 6.000 lecteurs quotidiens de sa version iPad. Le titre propose trois types d’abonnements. L’abonné au papier avec accès aux éditions numériques, l’abonné 100% digital (4,3% des abonnés) et l’abonné via iTunes. « Nous avons une stratégie multiplateformes. Les tablettes représentent une nouvelle opportunité. C’est plus agréable de lire sur ce support que sur un pc. » nous dit Johan Mortelmans, digital innovation manager, chez Corelio. «Nous avons des applications pour nos trois titres De Standaard, Het Nieuwsblad et L’Avenir. Et nous allons encore investir davantage. Nous voulons marquer la différence entre le contenu du site et celui des applications.» Et la rentabilité dans tout cela? Chez Corelio, le titre de référence a franchi le break-even. «C’est le cas pour De Standaard, même s’il est difficile de la mesurer en regard de la répartition des coûts au niveau des contenus. L’Avenir s’inscrit dans une approche innovatrice, tant au niveau papier que digital. En tant que journal régional, c’est aussi plus difficile. Car leur lecteur est aussi moins équipé en tablettes que celui du Standaard. » Chez Mediafin, la rentabilité du digital est au rendez-vous. «Nos éditions sont déjà rentables depuis longtemps. » note Frederik Delaplace managing editor de Mediafin. «Notre régie publicitaire est intégrée, les mêmes équipes gèrent le papier et le digital. On ne peut pas attribuer un rédactionnel ou un coût régie à l’un ou l’autre canal. Pour nous, l’abonnement digital et l’accès au site internet sont aussi rentables que la vente d’un abonnement classique. C’est un tout. Il y a très peu de choses chez Mediafin qui sont scindées entre le papier et le digital. Nous travaillons de manière intégrée Nous vendons des infos à des lecteurs intéressés par celles-ci. Notre canal digital ne cannibalise pas l’activité papier.» Alors que lesoir.be est à l’équilibre financier depuis seulement un an, la nouvelle aventure des tablettes pourrait connaître un développement plus rapide. Aujourd’hui, entre les éditeurs et Apple la hache de guerre est enterrée. Chacun s’accommode des 30% de commission prélevés. Il n’en va pas de même des 70% de la Kindle! «Les ventes par notre propre canal fonctionnent bien. Nous vendons plusieurs centaines d’abonnements par mois pour l’iPad. Mais nous avons tellement de canaux d’abonnement différents qu’il est difficile d’avoir une idée précise de leur nombre. Exemple: une action promotionnelle, menée avec Mobistar, dans le cadre du lancement de l’iPad 2 a généré près de 2000 abonnements. » précise Philippe Laloux. Entre les ventes opérées par Apple et celles des éditeurs, il faut savoir jongler. Ainsi l’abonnement mensuel iPad au Soir revient à 9,9€ via l’App Store. De son côté, Rossel propose un abonnement numérique, englobant le journal et sa version iPad pour 12€ et un autre à 8€ offrant un accès combiné iPhone / iPad! La plupart des éditeurs sont par ailleurs présents dans le Kiosque (NewsStand) d’Apple. Une preuve de la confiance accordée à la marque. Les médias présents dans ce présentoir abdiquent de leur icône et donc d’une certaine visibilité, au profit d’une présence, via leur Une, dans cette librairie personnelle à l’utilisateur. Du côté du Persgroep, on privilégie le smartphone. « Nous avons une application spécifique pour iPhone, mais pas pour iPad, où le journal est présenté tel qu’il peut être lu sur papier. » explique Patrick Van Waeyenberge, directeur du Persgroep Digital. Celui-ci juge le marché belge trop étroit pour investir davantage. « Aux USA, les articles du Financial Times sont retravaillés, on y ajoute des vidéos... Même pour De Standaard, qui a une très belle application, un article paru dans le journal, n’est pas retravaillé dans la journée. Pour moi, un journal digital doit continuellement être mise à jour. Or c’est quelque chose de trop couteux pour un marché comme le nôtre. En Belgique, comme en Flandre, le marché est trop petit pour se permettre de produire de l'info en continu sur ce support.»
Mobilité et interactivité
Faut-il considérer que le choix d’avancer à pas de loup au niveau des tablettes est le propre d’éditeurs, dont l’état de santé au niveau du papier est des plus florissant? La réponse est négative, en regard de l’électrocardiogramme des titres de Corelio. Chez De Persgroep, le digital conserve aussi toute son importance. «Le jour où nous déciderons d’investir davantage dans l’iPad nous réfléchirons à l'application la mieux adaptée à ce device, tout comme nous l’avons fait pour l’iPhone. Si nous avions voulu protéger à 100% nos journaux papier, nous n’aurions pas développé un site web comme celui que nous avons. Beaucoup d’éditeurs européens ont décidé de ne plus investir dans le journal pour se tourner vers internet. Il faut continuer à investir dans les deux. Si vous n’investissez plus dans le journal vous allez vendre moins. Le marché en Flandre est très compétitif au niveau du papier et nous sommes encore en augmentation en termes de vente.» se félicite Patrick Van Waeyenberge. «Aujourd’hui, en étant présent su iPad, nous offrons simplement à nos lecteurs la possibilité de lire le journal qu’ils n’ont pas eu l’occasion d’avoir entre les mains. Lorsqu’il y aura une importante audience sur tablette, avec un business modèle qui tient la route, nous développerons une application. » Volet smartphone, le succès est au rendez-vous. L’application HLN.be pour mobile a été téléchargée plus de 200.000 fois, elle est consultée par près de 100.000 personnes par jour… «C’est une application dont je suis très fier, qui s’inscrit dans look and feel de l’iPhone; 15% de notre trafic internet est généré via iPhone. Nous proposons des fonctions permettant aux utilisateurs de voir ce qu’il y a de plus important au moment où ils sont connectés: Le choix de la rédaction, des lecteurs, les articles les plus lus… Nous avons réfléchi à la manière dont une personne utilise un iPhone et construit notre application en ce sens. » En termes publicitaires, notre interlocuteur regrette «l’absence d’un réel marché publicitaire mobile en Belgique. Nous ne gagnons pas notre vie avec les revenus publicitaires engendrés par ce canal, alors qu’au niveau de notre site, nous sommes en équilibre depuis des années.» Chez Rossel, comme chez Corelio, on planche sur l’implémentation de nouveaux formats publicitaires pour tablettes dans le courant de cette année. Ceux-ci prendront place en symbiose avec les nouvelles versions des applications. « Pour l’instant, nous offrons une version électronique du journal papier. C’est un peu statique. Nous allons davantage déformater le papier et proposer, d’ici quelques mois, de nouvelles web app en HTML 5, indépendantes de l’univers d’Apple, mais compatibles avec les iPad et iPhone. » ponctue Philippe Laloux.
Quand les tablettes relègueront les journaux…
On le sait, considérer iPad et consorts comme les sauveurs d’un média sur le déclin est une mauvaise approche. Voici quelques années, c’était pourtant le rêve de nombreux éditeurs … Alors que l’iPad3 est lancé, plus personne ne considère cette dématérialisation réussie de la presse comme une planche de salut. « Il y aura toujours une place pour le papier. La lecture sur iPhone ou iPad se fait généralement dans un espace de temps limité. Cela s’inscrit souvent dans une recherche de l’actualité. Lorsque qu’il s’agit de prendre connaissance d’un dossier, d’une enquête, de plonger dans du life style, le support papier reste très important. » souligne Patrick Van Waeyenberge. « L’iPad ne va pas sauver la presse. Ce qui nous sauvera c’est le payant. » martèle Philippe Laloux. «On ne peut imaginer une seule seconde que nous allons fournir une information généraliste de qualité gratuitement. Nous vendons plus une expérience de lecture que du contenu.» A l’unisson, Johan Mortelmans ajoute: «Il était important pour nous de traduire le concept du Standaard du papier vers le digital. Nous avons réinventé le concept du journal. Les gens sont prêts à payer pour un journal, mais pas pour un site. Il faut aujourd’hui convaincre les lecteurs de payer pour une application. Celle-ci se doit donc de ressembler à un journal et non à un site. » Pour sa part, Frederik Delaplace n’envisage la disparition du papier que sur le très long terme. «Dans les 5 ans à venir, je n’y crois pas. Un nombre important de nos lecteurs sont des early adopters de cette nouvelle technologie, mais malgré ça c’est la combinaison des deux supports qui compte. Elle est très populaire. » Et de prendre pour modèle The Financial Time. « Ils ont commencé trois ans avant nous et sont leaders dans leur domaine. Actuellement, ils rentabilisent les réseaux sociaux. Nous nous devons étudier cette réalité, l’importance des réseaux sociaux est réelle. Notre modèle économique est différent de celui des généralistes. Le défi n’est pas aussi simple pour eux. Certains, comme The Guardian, font de l’excellent boulot. Ils traitent l’info en profondeur de manière intégrée et multimédia.» A l’heure où les tablettes se multiplient comme des lapins, où la télévision se les accapare pour jouer la carte du second écran, où les jeux vidéo en raffolent … Quelle sera la place réservée à la presse? La réponse à cette question est sur les starting-blocks des éditeurs…
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