Nous distrayons-nous à en mourir ?

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Novlangue, Big Brother, Police de la Pensée... En ces temps de fake news, d'éventuel espionnage via le smartphone et la smart TV, de réapparition de courants politiques dont nous pensions ne plus avoir besoin, ces trois concepts son plus actuels que jamais. - Wim De Mont
Buzz 1 Jack Black en George Clooney voor Nespresso
Novlangue, Big Brother, Police de la Pensée : nous devons ces concepts à Eric Blair, dont le nom de plume est George Orwell, qui a décrit, dans son roman 1984 qui reste aujourd'hui pertinent, les horreurs d'un régime totalitaire. Une lecture recommandée à chacun, surtout ceux qui évoluent dans le monde de l'informatique ou du marcom. M. Orwell a écrit ce roman en 1948, et a simplement échangé les deux derniers chiffres de cette année pour son titre, comme le savent les fans de Apple et Mac depuis 1984, même sans avoir lu le livre. En effet, en 1984, Apple Macintosh a lancé le spot légendaire qui dénonce les pratiques à la Big Brother de la concurrence (lisez : Microsoft). Nous sommes allés encore plus loin, et aujourd'hui, des entreprises telles que Facebook et Google sont régulièrement accusées de pratiques semblables. Quoi qu'il en soit, ce spot de 1984 était une forme d'advertainment. Tout comme nombre de spots, si on définit le concept d'advertainment comme du contenu qui amuse et informe le spectateur, lecteur ou auditeur de manière divertissante et qui est associé à une marque. Chose claire dans le cas des spots publicitaires, mais moins pour d'autres contenus. Cela va du choix du nom (Courses Red Bull Caisses à Savon) à l'émission de téléréalité qui est en vérité une campagne de recrutement (la série Ostenders), en passant par des spots si amusants que les gens les retrouvent sur un moteur de recherche et les partagent sur les réseaux sociaux (comme Game of Cookies de Oreo, que mentionne Sam De Win ailleurs dans ce numéro de PUB Magazine). Tout cela pour signifier que le terme « advertainment » revêt plus d'une définition.
Se distraire à en mourir
Revenons-en à George Orwell. En 1984, son livre a été l'introduction d'un discours de l'expert américain des médias et de l'éducation Neil Postman (1931-2003), donné à l'occasion de la Foire du livre de Francfort et portant sur l'avenir de la télévision. Dans Amusing Ourselves to Death: Public Discourse in the Age of Show Business, publié un an plus tard, il a décrit sa thèse. Il partait du principe que chaque évolution technologique provoquait des effets secondaires inattendus. Aussi bonnes les intentions soient-elles, les effets négatifs sont inévitables, et il y a des gagnants et des perdants. M. Postman pensait avant tout à la télévision, mais sa théorie peut sans difficulté être transposée au monde numérique. Internet a déjà prouvé son utilité pour l'éducation, les sciences et la société, nous ne pouvons ni ne voulons le nier. Nous n'allons pas non plus commencer à nous plaindre dans le secteur du divertissement. L'edutainment, qui consiste à apprendre de manière ludique, a également connu un véritable boost.  Le divertissement a lui aussi conquis la toile, avec des chats joueurs ou en chaleur. Les inconvénients possibles (perte de temps, « éducation » sexuelle douteuse, ...) paradent aux côtés des avantages (détente, possibilités d'interaction entre la marque et le consommateur). La théorie de Neil Postman (décrite ici de manière rudimentaire) reste pertinente, même si M. Postman (et encore moins George Orwell) ne connaissait pas encore les possibilités du monde numérique, qui en était encore à ses balbutiements.
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Advertainment
L'advertainment est une façon ludique d'atteindre le consommateur de manière implicite ou explicite. Push devient pull, la campagne est réussie si le consommateur recherche par lui-même le contenu auquel s'est rattachée une marque. Il n'est pas rare que des noms connus y soient associés, par exemple celui de stars du monde du sport, du cinéma ou de la musique. Parfois de façon plus crédible que d'autres. Le bon choix n'est pas toujours facile à faire, estime Hugues Rey, CEO de Havas Media Group Belgium : « Le défi est de taille. Il faut s'écarter des définitions sociodémographiques traditionnelles au profit d'une description de la cible en fonction de son comportement. À l'aide d'une étude comportementale, rendue compréhensible à l'aide d'une personne riche, par exemple. » Nous n'avons pas consulté Havas au hasard : au sein du groupe Vivendi, Havas est la société sœur de Universal Music. Une entreprise qui, justement, dispose d'un vaste catalogue de musiques et de films, qui participe de manière active avec du contenu, des licences, des événements et expériences, ainsi que du soutien marketing. Besoin d'une chanson pour un spot ? Besoin d'un visage pour une campagne ? D'événements exclusifs ou de contenu de marque ? Le divertissement s'immisce alors dans la publicité. Rien de nouveau, bien sûr, et Vivendi a des concurrents qui procèdent exactement de la même manière. Les acteurs, les chanteurs et les sportifs ont toujours soutenu des produits. Les panneaux d'antan ont cependant cédé la place à des stratégies de marketing alimentées par des éléments fondés scientifiquement (même s'il existe parfois des erreurs de casting amusantes ou des cas réguliers et critiqués de célébrités qui servent de marchepied à des causes considérées comme « politiquement incorrectes »).
Le juste choix
Hugues Rey confirme que le juste choix en matière de stars est devenu extrêmement important, maintenant que la « masse » de consommateur est vraiment divisée et maintenant qu'il existe tant de canaux de communication : « Nous évoluons des canaux de masse vers la combinaison productive d'éléments individuels à haute valeur ajoutée. » L'advertainment n'est cependant pas l'expression d'une forme de paresse (ou ce ne devrait pas être le cas, si on travaille sérieusement sur le long terme). L'advertainment peut parfaitement être utilisé pour améliorer la marque consommateur et les expériences médias à l'aide de contenus intéressants et divertissants. « C'est une réaction sensée au morcellement des médias traditionnels et à l'évitement des communications publicitaires traditionnelles grâce au blocage des publicités etc. », déclare Hugues Rey. « Le défi consiste à intégrer les marques dans la "vraie" vie du consommateur avec la musique qu'ils écoutent, les concerts auxquels ils assistent, les jeux auxquels ils jouent, les films et séries qu'il regardent, les réseaux sociaux qu'ils consultent... » L'étude Meaningful Brands de Havas conforte M. Rey dans son constat : 90 % des consommateurs s'attendent à ce que les marques apportent du contenu, même si 58 % de ce contenu est considéré comme non pertinent. Il y a donc de la marge pour s'améliorer. Mais le secteur apprend vite, et l'advertainment sera sans doute en pleine croissance dans les années à venir. Dans ce contexte, savoir quel consommateur est ouvert à quoi peut se révéler d'une grande aide.
Dans les pages suivantes, vous lirez comment les marques et les agences se servent de l'advertainment. Une question importante, dans ce domaine, consiste à connaître les retours sur investissement (réels ou potentiels) de l'advertainment. En effet, aucune mesure du GRP n'est encore possible. Même si l'objectif est et restera, bien entendu, que l'advertainment aboutisse à plus d'engagement, plus de fidélité, plus de représentation par des ambassadeurs et, au bout du compte, plus d'intentions d'achats et plus d'achats.