« Nous sommes là pour maximiser les valeurs. »

Thierry Van Zeebroeck en Chris Van Roey @designmuseum ADAM

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Fin d’après-midi par un jeudi maussade de janvier. Thierry Van Zeebroeck se trouve dans les embouteillages du pont Van Praet. Chris Van Roey doit donc patienter encore un petit peu. Quel est donc le mystérieux collègue qu’il devra interviewer ? En effet, pour les besoins de cette rubrique, nous ne dévoilons jamais l’identité des interlocuteurs à l’avance. Il est surpris lorsque c’est Thierry qui passe la porte du nouveau musée du design, ADAM. Les salutations sont chaleureuses et Thierry veut tout de suite se mettre au travail, pour compenser le temps perdu, car tous deux ont d’autres rendez-vous plus tard dans la soirée.

Comment ça ? D’autres rendez-vous après l’interview ? Cela ne nous étonne pas de la part de Chris Van Roey. Le CEO de la fédération des publicitaires UBA saute d’une réunion à un brainstorming à un rendez-vous informel, sans compter qu’il est également actif au sein de The House of Brands et Pitchpoint. Mais Thierry Van Zeebroeck n’a-t-il pas arrêté ses fonctions de CEO de Var ? Si, dit-il, mais il faut encore attendre un peu avant que son successeur ne soit connu. De plus, Thierry sera encore consultant pour Var pendant quelques temps. Nos deux hommes sont souvent en contact, mais ils doivent réfléchir un instant pour se souvenir s’ils ont déjà collaboré ensemble sur le plan professionnel. Ce ne fut pas le cas lorsque Thierry travaillait chez Euro RSCG, mais peut-être bien lorsque que Chris était chez Mobistar et Thierry chez Var. Mais comme dit précédemment, Thierry, dans la droite ligne de son attitude no-nonsense, veut rapidement passer aux questions pour ne pas perdre de temps.

Comment es-tu devenu directeur de l’UBA ? Je me le suis toujours demandé.

« J’étais en fait membre du conseil d’administration pendant un petit temps et du comité exécutif de l’UBA alors que j’étais chez Mobistar et j’avais rédigé avec quelques camarades – Hans Cools, Luc Suykens et Walter Gelens – un nouveau plan stratégique, car il y avait trop peu de renouveau. Je suis ensuite parti de chez Mobistar et on m’a alors demandé de prendre la tête de l’UBA. J’ai refusé à trois reprises, car je venais de commencer chez The House of Brands. Puis, dans un moment de faiblesse, je me suis dit ‘Et après tout, pourquoi pas ?’, mais entre temps, une annonce avait été publiée et il y avait tout à coup plusieurs candidats, ainsi qu’une procédure de recrutement en bonne et due forme. Et je suis arrivé en tête… »

As-tu toujours été du côté des annonceurs ?

« Oui, j’ai toujours été du côté des annonceurs, en effet. »

Qu’as-tu fait comme étude et quel a été ton premier job ?

« Après mes études en économie appliquée, je me suis tourné vers le Centre de Microcomputers de la KUL. Mon intérêt pour les ordinateurs et la technologie m’a ensuite mené chez Dolmen, Apple Computers et Mobistar, où j’ai été, entre autres, responsable du marketing produit, du marketing et de la communication. Cela fait maintenant sept ans que je dirige l’UBA et jusqu’ici tout va bien. Le conseil d’administration est satisfait : nous venons de clôturer une année formidable, avec 50 nouveaux membres et une croissance énorme de l’UBA Academy. Bien évidemment, ce succès n’est pas personnel, l’UBA c’est toute une équipe : les employés, le comité exécutif, le conseil d’administration et nos membres actifs. »

Est-ce possible ?

Une question peut-être plus délicate : comment peut-on combiner UBA et Pitchpoint ?

« J’avais déjà The House of Brands avant d’arriver à l’UBA. Aujourd’hui, à l’échelle internationale, nous sommes surtout actifs dans le domaine du positionnement de marques. A l’échelon national, nous serions tout de suite en concurrence avec des agences et c’est ce que je veux éviter à tout prix. Cela reste une activité limitée. Quant à Pitchpoint, au début, je me suis posé la question : « Est-ce possible ? » J’ai commencé par poser la question à l’UBA. Je suis parti d’un mécontentement – chez les annonceurs, mais aussi chez les agences – par rapport à la mauvaise gestion des pitchs. De plus, les pitchs consultants gagnaient plus du côté des agences que des annonceurs et cela n'allait pas. Bien sûr, les critiques ont fusé lorsque j’ai lancé Pitchpoint avec Martine Ballegeer et je comprends très bien pourquoi. Aujourd’hui, ces questionnements ont disparu. Notre business model est orienté à 100% vers les annonceurs et nous avons réussi à améliorer la qualité des pitchs en Belgique. Désormais, il y a même des agences qui nous envoient des annonceurs – et il va sans dire que nous respectons à la lettre les règles de l’UBA ! (rires). Pitchpoint n’est pas un cash cow, nous accompagnons entre 12 et 18 pitchs créatifs par an. C’est surtout le travail de Martine Ballegeer. Moi, j’accompagne au niveau de la stratégie. L’alternative, c’est que ce soit l’UBA qui le fasse, comme c’est le cas au Royaume-Uni, c’était une possibilité. »

L’embarras du choix

Quel est pour toi le plus grand changement dans le secteur, hormis la digitalisation ? Nous avons l’impression d’assister à un appauvrissement des connaissances des médias.

« Ca dépend, il y a beaucoup à dire. Enormément de choses ont changé dans notre domaine. En effet, la connaissance du métier s’est bien développée au sein des entreprises, sauf en ce qui concerne la connaissance des médias. La révolution ‘adtech’ a tout chamboulé. Le budget IT d’un département marketing dépassera celui du département IT d’ici deux ans. Il y a aussi beaucoup plus de touchpoints. Il y a huit ans, 95% des activités de l’annonceur passaient par des paid media, ça a bien changé. »

« Cela complique bien les choses… »

« Il y a maintenant l’embarras du choix. Il n’y a pas de bon modèle pour le retour sur investissements en communication. C’est de là que vient la crise qui a réduit de moitié – dans les meilleur cas – les départements marketing. C’est ainsi que nous avons perdu de la connaissance média. Et c’est peut-être ce qui fait le succès de notre UBA Academy. »

Quel est le plus grand défi pour les annonceurs ?

« Comment faire passer mon message par les touchpoints aux consommateurs qui ne veulent pas le recevoir ? La société est très critique envers la publicité et nous sommes très forts pour agacer régulièrement les consommateurs. J’ai un jour écrit un article sur les 10 péchés capitaux de notre branche. Nous les connaissons tous, mais nous continuons à les commettre. Cela concerne, entre autres, la qualité de notre communication, sa quantité, son moment inopportun, le fait que l’on interrompe le consommateur… Les adblockers sont une réaction évidente, mais en fait le ad avoidance existe déjà depuis longtemps. Regardez les boîtes aux lettres ornées d’un autocollant ‘Pas de publicité’. Le mérite des adblockers c’est d’avoir réveillé notre secteur et de lui avoir fait prendre conscience de ce que nous faisions : « Aïe, c’est nous qui avons fait ça ? We fucked it up ! » Nous devons faire passer notre message de façon agréable et créative. La publicité a sa place dans le monde numérique, les consommateurs n’ont rien contre les marques ! »

Le procurement joue-t-il un rôle dans l’évolution de notre secteur ?

« Le procurement est très critiqué par le marketing, mais on n’oublie parfois qu’il n’a pas que du mauvais. Les passations de marché stimulent de bons accords professionnels. Il ne s’agit pas toujours du prix, mais plutôt de ‘ce que l’on peut avoir pour son argent’. Lors des pitchs, on parle en long et en large du contenu avant d’évoquer la question du prix. Entre parenthèses, j’ai beaucoup appris de Kottler, mais il n’a jamais voulu ajouter le P de prix dans son modèle. Nous sommes là pour maximiser les valeurs. »

Big data

Qu’en est-il des big data ? J’ai l’impression que c’est comme le sexe chez les ados : tout le monde en parle, mais personne ne sait vraiment comment ça marche – à part le retail.

« Les big data ne sont pas vraiment nouvelles. Le nombre de points de mesures et d’appareils mène à une explosion des données disponibles. Depuis le début de notre conversation, mon iWatch a déjà mesuré 20 fois mon rythme cardiaque. Dans quelques années, nous porterons des appareils qui mesureront aussi nos émotions. ‘Emotion-tech’ et les ‘smart metrics’ seront à l’origine des nouvelles bases de la compréhension des consommateurs. Fin 2015, j’ai visité 25 agences new-yorkaises avec Martine Ballegeer pour voir comment évoluait le secteur. La technologie reste un moteur important et le adtech et le programmatic’ en font partie. Le ‘Data Driven Marketing’ (DDM) change fondamentalement notre façon de travailler. L’analyse évolue, les rapports anciens sur ‘ce qu’il se passe’ ou ce qu’ ‘expliquent’ les consommateurs se muent en une approche prédictive. Les ‘big data’ sont devenues un élément incontournable de notre écosystème et sont indispensables pour, d’une part, comprendre le comportement du consommateur et, d’autre part, personnaliser le marketing.

Du côté des annonceurs, le marketing est de plus en plus penché sur le adtech. Marketing technologist est en train de devenir un nouveau métier. Il y a de plus en plus d’aire de contact entre le marketing et la technologie. »

Sommes-nous en retard par rapport à l’étranger ?

« Nous n’accusons pas de véritable retard. Nous nous trouvons à un moment charnière entre l’époque où les big data faisaient le buzz et le moment où les big data pourraient vraiment donner une nouvelle direction à notre secteur. »

Y a-t-il un risque qu’à force de cibler la publicité, nous oubliions l’ensemble du groupe cible ?

« Les deux sont nécessaires. Le targeted advertising, c’est fantastique : je ne vois plus de publicité pour Pampers car mes enfants sont trop grands et je ne suis pas encore grand-père. Moins de waste, c’est une bonne chose. Mais les annonceurs ne doivent pas négliger la communication généraliste. L’activation, c’est une chose, mais il ne faut pas oublier la marque. Les marques sont loin d’être mortes, elles restent encore la meilleure façon de survivre. Les campagnes d’image peuvent toujours m’atteindre, même si c’est pour Pampers. Cela reste important d’atteindre le public général. »

La marge locale

Les annonceurs ont-ils encore suffisamment de marge locale ou tout est-il désormais internationalisé ?

« Il y a encore des acteurs locaux très solides, je suppose que tu veux parler des multinationales. Il y a toujours un mouvement de levier et depuis 2009, nous nous trouvons à nouveau dans une logique des coûts et de centralisation. Mais plus la marque est forte, plus vous pouvez laisser de la marge de manœuvre à l’échelon local. Orange, Apple, Coca-Cola : ils remportent des Effies et des titres APOY – comme Yves De Voeght de Coca-Cola – avec des campagnes locales. »

Imagine que demain tu deviennes directeur d’une agence de communication. Que ferais-tu ?

« J’ai beaucoup de respect pour les agences de communication. En Belgique, elles font du bon boulot. Il n’y a que quelques agences qui veulent tout faire et qui ne se positionnent pas. Les agences doivent commencer par mieux miser sur ce qui fait leur particularité. En général, elles ne mènent pas bien leur propre marketing. Elles doivent choisir leur public cible et utiliser leurs points forts. De plus, les agences doivent souvent devenir des ‘solution partners’, ce qui les met en concurrence avec des agences de consultance classique, c’est ce que j’ai pu constater à New-York. Les agences participent souvent au développement des produits. C’est difficile de prédire comment elles vont évoluer. Aujourd’hui, il existe plusieurs théories sur le sujet. ‘Mon’ agence commencerait par être un business partner pour les annonceurs et serait en même temps très orientée vers les services. »

Et maintenant un peu de consultance gratuite : que ferais-tu si tu dirigeais une régie ?

« Ce n’est pas tellement mon domaine… Il y a tant de médias et de touchpoints que c’est devenu très complexe… Je ne pense pas que je pourrais être un très bon CEO dans ce domaine, car je ne le connais pas bien. Ce que j’essaierais certainement de faire, c’est d’avoir une relation étroite avec le client final. »

Les annonceurs sont demandeurs de relations plus étroites, sans pour autant vouloir contourner les agences média. Le patron d’une agence média m’a un jour dit qu’il aimerait que je n’approche pas directement un annonceur. Cela a bien changé. Je lui avais d’ailleurs rétorqué que les annonceurs étaient plus fidèles envers le média qu’envers les agences média.

« A l’époque, chez Mobistar, nous avions décidé de ne pas investir dans les publicités en presse quotidienne. Il a fallu des mois pour que la régie d’un journal s’en aperçoive et ose nous passer un coup de fil. »

Une régie ne doit pas frapper à la porte des annonceurs, mais plutôt écouter…

« Je trouve ça bien qu’il y ait des discussions ouvertes avec les parties prenantes. Le native advertising est un sujet dont médias et annonceurs devraient parler. Comment faire ? Comment respectons-nous l’autorégulation ? L’UBA est d’ailleurs une excellente plateforme pour ouvrir le dialogue entre les différentes parties. »

Temps libre

Ton temps libre est-il aussi consacré au marketing, ou as-tu un vrai temps libre ?

« Le temps libre, c’est un concept inconnu des indépendants ! (rires) J’essaie de lire beaucoup, des livres spécialisés sur notre domaine, mais aussi de la fiction – et sur une tablette. Sinon, je fais du vélo et, avec ma femme, nous faisons de la randonnée. Nous aimons voyager et prendre des photos. Je reste un geek de la technique : donnez-moi une lampe avec wifi intégré, par exemple, et je joue avec pendant des heures. »

Quelle utilisation fais-tu des médias ?

« J’écoute la radio en direct dans la voiture et la radio sur internet quand je suis chez moi. Je lis des journaux et des magazines aussi, bien sûr, mais plutôt le soir. La télévision ? Presque jamais de façon linéaire, mais beaucoup à la demande. Nous ne regardions pas de séries jusqu’à ce que nous prenions un abonnement Netflix. Je suis actif sur les réseaux sociaux et je viens d’ailleurs de poster ma 500ème critique sur Tripadvisor. »

Et pour conclure, qui admires-tu ?

« Je ne suis pas quelqu’un qui adule des gens, mais j’ai énormément de respect pour plusieurs personnes avec qui j’ai eu l’occasion de travailler : le professeur Jacques Vander Eecken, Jo Colruyt, des gens de chez Apple – tels que Bill Atkinson et Nicholas Negroponte de MIT Media Lab, que j’y ai rencontré – et John Cordier chez Mobistar. Pas vraiment de gourou, mais plusieurs personnes qui sont une source d’inspiration. »

Nous nous connaissons déjà depuis longtemps, mais aujourd’hui, j’ai appris des choses à ton sujet !


 

ADAM?

Cette entrevue a eu lieu dans le musée bruxellois du design, Adam, ou « Art & Design Atomium Museum » (www.adamuseum.be). Le département expositions de l’Atomium souhaite organiser des expositions de grande envergure, ce qui n’est pas toujours possible dans l’Atomium. Dans le même temps, l’intention est de mieux profiter du Plasticarium, la collection exceptionnelle de design de Philippe Decelle.