Comme d'habitude

Philippe Hollander

Je me lève à 6h30. Je regrette, comme chaque matin, de m'être couché trop tard la veille. Je me douche, prends un café sur le pouce et saute dans ma voiture direction la gare. Sur le quai, des passagers, le visage blême, se croisent sans se dire bonjour. Le train arrive. Il n'est pas bondé, mais chacun défend sa place. Enfin non, pas sa place, mais celle d'à côté. Vas-y que je dépose mon gros sac, ma veste, ma valise, Métro... Tout, plutôt qu'un inconnu à côté de moi. À l'arrivée, Gare du Nord, c'est le rush. De chaque quai descendent des milliers d'employés ou de fonctionnaires, tous plus pressés les uns que les autres. Le couloir est noir de monde et pourtant, personne ne regarde personne. Tous avancent d'un pas décidé vers ses huit heures d'occupation quotidienne. Mais les choses ne vont pas comme d'habitude. Il y a un étranglement. La masse est à l'arrêt. Un attentat ? Un contrôle inopiné des billets ? Non, de jolies hôtesses Danone distribuent des Danio-mmmmmh-c'est-bon-c'est-quoi ? Las, les navetteurs tendent la main pour se saisir du Graal. Toujours pas un regard vers l'autre. Aussitôt agrippée, la barquette file dans un sac sans un merci, sans un mot, sans un son. Des dizaines de cartons vides jonchent le sol et le pauvre régisseur essaye de les ramasser sous le regard vide de quelques clodos qui traînent dans le coin. Vite, il faut se remettre en branle pour aller badger à l'entrée du bâtiment parce que chaque seconde compte. Je prends une pause. Je regarde tout cela en me disant que demain, l'agence de Com remettra certainement un joli petit compte-rendu de la fructueuse opération qui sera forcément une réussite. Elle présentera même un petit film de l'opération entrecoupé de plans de badauds filmant la scène avec leur smartphone, preuve irréfutable du succès ! Et tout le monde sera content.

Il n'y a pas de doute, on fait un métier formidable.