Diversité, cette chère amie au service de la performance économique !

Je m’appelle Salma, je suis une femme, née belge, de parents marocains, ingénieur de gestion. Je suis issue de groupes dits minoritaires, susceptibles de faire l’objet de discriminations croisées, voire, décuplées. Mon expérience s’est forgée au sein du monde de l’entreprise, des médias et de la sphère politique. Ces univers ne m’ont hélas pas ébahi par leur côté multicolore. Pour la pub Benetton, on repassera. Mais lorsqu’on parle de « diversité », le débat est malheureusement polarisé entre une vision subjective « tu es/je suis opprimé(e)» et une vision objective « prouvez-moi la discrimination. » Les deux se regardent en chiens de faïence version énervée, s’accusant l’un et l’autre de ne rien comprendre à la situation. Ce billet ne veut absolument pas entrer dans ces considérations morales et juridiques mais vous propose une implacable démonstration économique de bon sens. Je vais vous parler de l’importance de l’inclusion de profils divers dans des organisations comme une source de création de richesse et donc d’efficience économique.

Cette carte blanche vient en réaction à un article du magazine Pub (qui me fait le plaisir de me publier) reprenant le témoignage de ces publicitaires pour changer les choses : “2022, l’année de l’inclusion”, comme un award de bonne conscience. On y fait la découverte retentissante de tout un pan de la population ! Aveugles que nous étions ? Que nenni! La question n’est pas de parler à « ces groupes » car « nous les avons négligés » en « tant qu’hommes blancs insensibles ». L’on passe alors allègrement de minorités ignorées à d’autres caricaturées et le récit se teinte de victimisation et d’autoflagellation dont personne, à part la bonne conscience, n’a que faire. Non, inclure la diversité des profils dans le monde de travail n’est qu’une question de bon sens : c’est bon pour le business. Comme selon Marx, le travail définit la femme/l’homme, C.Q.F.D. (oui, j’ose citer Marx sans vergogne en plein ode au capitalisme.)

Avant toute chose, sachez que j’ai beaucoup hésité avant de prendre la plume. Nous, enfants d’immigrés, sommes confrontés à un dilemme : si on parle, on devient l’horrible « Arabe de service », alors que j’ai tant travaillé pour la reconnaissance ma légitimité professionnelle, presque comme un pied de nez aux discriminations qui me pendaient au nez. Sartre pourrait dire que j’ai versé dans l’inauthentique car j’ai tout fait pour faire oublier mes origines…  Un véritable paradoxe! Mais pour autant, se taire ne fait pas avancer le schmilblick.

Si j’ai ressenti des discriminations ? Elles n’ont jamais été visibles à l’œil nu. Cependant, je suis persuadée avoir dû travailler bien plus dur que d’autres hommes Belges allochtones pour en arriver là où j’en suis. Selon France Stratégies, l’entité gouvernementale d’évaluation des politiques publiques, la ligne de départ pour une femme maghrébine se situe 24 points derrière celle des groupes majoritaires. Je pourrais même dire que j’ai dû faire en sorte d’être vraiment meilleure pour être considérée à égalité avec mes collègues. C’est injuste, certes, mais d’une banalité consternante. Vous retrouvez des discriminations similaires dans les milieux à indice socio-économique faible. Oh, je n’y ai jamais vu aucune maltraitance ni malveillance, simplement de la méconnaissance. Sapiens est ainsi, il rejette ce qu’il ne connaît pas/ne comprend pas.

Mais revenons à notre besoin criant de diversité de compétences, car les faits sont incontestables, mais la manière d’y parvenir est, à mon sens, questionnable. Parmi toutes les raisons pour lesquelles il faut changer les choses, ce sont les raisons d’efficience du marché et d’épanouissement de l’individu qui sont les plus prometteuses. Toujours selon France Stratégie, 3 à 12 % de points de PIB seraient perdus chaque année par manque de diversité de talents dans les entreprises. Même la fourchette inférieure est vertigineuse. En Belgique, nous avons inscrit dans l’accord de gouvernement un objectif de 80% de taux d’emploi. Comment voulez-vous atteindre ces résultats lorsqu’une partie de la population, pour laquelle la collectivité participe via l’éducation publique, ne contribue ensuite pas à l’enrichissement de la société via le travail? Comment une société pourrait prospérer si elle laisse sur le côté du chemin toute une série de personnes appartenant à des groupes minoritaires? (Je fais un arrêt sur image : le fait que nous, les femmes soyons incluses dans ces groupes est une aberration statistique. C’est ainsi qu’on utilise le terme « minorisées » car il s’agit d’une majorité traitée comme une minorité). Selon Mc Kinsey, réduire les inégalités professionnelles liées au genre pourrait nous rapporter 12 milliards de dollars de PIB mondial. Du petit bois, n’est-ce pas ?

Fort heureusement, de nombreuses sociétés et organisations se réveillent ou “s’éveillent”  Thierry Geerts, Responsable de Google Belgique et auteur de Homo Digitalis, nous le confirme « Nous avons mesuré l'efficacité de prise de décision de groupes homogènes (p.ex. hommes blancs autour de 40ans) par rapport à des groupes diversifiés. Les groupes homogènes arrivent nettement plus rapidement à des décisions, mais les décisions sont de nettement moins bonne qualité : ils ne tiennent par exemple que compte des clients ou utilisateurs du même type qu'eux, alors qu'il ne s'agit en fait que d'une minorité des cibles de l'entreprise. Nous ne cherchons donc plus à engager des candidats qui ont 'la culture Google', mais bien des candidats qui rajoutent quelque chose à notre culture d'entreprise pour la rendre plus diversifiée ("Add Culture" au lieu de "Culture fit »). Des recherches menées par le World Economic Forum révèlent également que la diversité au travail stimule linnovation et de nombreuses études de cabinets de conseil vont dans le même sens.”

Tout cela est implacable, alors, me direz-vous, qu’attendons-nous? Là où l’on prête tous les maux au capitalisme, seul l’humain est responsable et peut changer le cours des choses.

Le vécu est forcément subjectif et c’est lui qui, pour le meilleur et pour le pire, façonne le monde dans lequel nous vivons. L’être humain a donc cette fascinante capacité à se mouvoir selon des vents contraires, qui l’amène à vouloir et à ne pas toujours pouvoir. C’est ce à quoi Hegel nous rend attentifs en proposant l’idée d’une subjectivité complète : oui le vécu personnel compte, mais la rationalité doit pouvoir montrer le chemin. Pour le vivre au quotidien, je sais que mon parcours et ma vision du monde créent bien plus de remous que chacun ne le voudrait. Ma façon de percevoir le monde s’accapare d’éléments socio-culturels pour exprimer ma vision du monde. Identifier des groupes uniquement par le biais de leurs origines s’avère non seulement moralement réducteur, mais surtout économiquement aberrant.

Voyez-vous, il ne suffit pas de vouloir, il faut pouvoir, nonobstant la morale. Comme le disait Aristote : "Une seule hirondelle ne fait pas le printemps; un seul acte moral ne fait pas la vertu." Alors, oui, faisons en sorte que 2022 soit pleine de nous tous.

 

Salma Haouach

Conseillère du Président, Relations Médias/En charge de l’Innovation et de la Transition M.R.